Le voici enfin. Nouvel album de Westside Gunn, l'outsider, la tête de proue du label GRISELDA RECORDS, qu'il a créé avec ses deux frères d'armes, Conway the Machine, et Benny The Butcher. 8ème volume de sa série Hitler Wears Hermes, un nom qui pose l'ambiance et le niveau de provocation du projet. Un titre faisant référence à l'expression bien connu, "Le diable s'habille en Prada", et c'est exactement ce qui caractérise l'univers dans lequel il évolue : une constante oscillation entre d'un côté, la violence, le rap gangsta dans sa plus pure tradition, décrivant sa vie dans la ville de Buffalo, entre vente d'héroïne, et règlement de comptes. De l'autre, cette appétence pour le luxe, tout ce qui brille, le schéma de l'ascension sociale de celui qui part de rien, et trace sa route jusqu'au succès, à grand coups de vestes Balenciaga, de montres Richard Mille, et d'instrumentaux sur-jazzy et classieux.
Après quasiment un an sans album solo, mais non sans collaborations (extrêmement prolifique le gars) c'est donc le moment du retour. Celui du prophète de ce nouveau visage du rap américain, plus old school, et street que jamais. Et honnêtement, pour ma part, c'est une franche réussite.


Casting Trois étoiles
Déjà faisons un point sur le choix des featurings sur l'album parce qu'il y a beaucoup de choses à dire. Évidemment, on se retrouve avec des apparitions de Conway The Machine, et Benny the Butcher, les deux comparses habituels. Dans les artistes gravitant autour de Griselda, on retrouve également le brillant Mach-Hommy, qui nous a proposé récemment un album d'une cohérence et d'une virtuosité rare avec son projet "Pray for Haiti". Également, Boldy James, le nouveau comparse du producteur The Alchemist, avec qui il vient de signer un superbe album "Bo Jackson", est présent sur deux titres. Jusque là, rien de trop surprenant. Là où la surprise arrive, c'est évidemment ce featuring de Lil Wayne, complètement en dehors de sa zone de confort, sur le morceau quasiment le plus sombre de l'album. Également, une apparition incroyable du rappeur Jadakiss, avec sa voix éraillée si particulière, qui vient kicker sur un morceau déjà légendaire. Et enfin, le choix, le plus ballzy de l'album : l'énorme mise en avant de rappeurs qui pour moi étaient des inconnus au bataillon : Rome Streetz, Sauce Walka, et surtout, Stove God Cooks. Et attention ce n'est pas une petite mise en avant, puisque ce dernier est présent sur pas moins de 5 morceaux sur les 13 de l'album. ça fait BEAUCOUP, BEAUCOUP de featurings, et c'est clairement la force de cet album : on se retrouve pensant que l'on va écouter un projet de Westside Gunn, et au final celui-ci se fait plutôt discret, fais des apparitions peu nombreuses mais justes, et disparaît même totalement de quelques tracks de l'album, pour revenir sur la fin. Un parti pris réussit, la diversité et la virtuosité de ces artistes, chacun bon dans leurs flows, leurs timbres de voix, leurs attitude très différentes les unes des autres, tous ces couplets qui se mélangent, s'enchaînent, parviennent à former un projet étonnement cohérent et solide. Chapeau les artistes.


Structure de l'album / Analyse Track par Track


On se retrouve face à un album de 13 tracks donc, avec une construction plutôt réussi. On oscille entre les morceaux très street, grimy, lourd, pesant même, caractéristiques de l'univers Griselda, et les beats plus léger, très jazzy, lofi, classieux. Après une intro bien sombre, on commence sur des rythmes plutôt jazzy, avec ce morceau ou parle AA Rashid intitulé "Blessed Times", et on rentre directement dans le lard, avec "Mariota" : un sample de soul en boucle, magnifiquement choisi, et un Westide Gunn qui arrive en forme sur l'instru, accompagné de Stove God Cooks qui prend le relai. Enorme Vibe, belle énergie, clairement un des meilleurs morceaux de l'album à mes yeux.
On enchaîne sur Vogue Cover, avec une instru bien saturée, dégradée, et le même duo gagnant que sur le précédent titre. Petite audace, ce break qui arrive en plein milieu, comme si de rien n'était, avec un changement d'instru qui dure 20 secondes, avant de revenir au beat de base. ça ose tout chez Griselda.
Suite avec la plus lofi-esque des instrus, celle de "Margiela Split", magnifique production, et un Mach-Hommy qui ne surprend pas par rapport à d'habitude, on est pas sur son meilleur featuring, mais ça reste très solide (cette voix, ce flow...). Comme souvent avec lui, mon avis changera peut-être après plus d'écoutes, et je finirais par trouver son couplet au dessus de tous les autres. Énormément de plaisir avec cette outro du morceau, un tutoriel pour prononcer "Richard Mille" à la française, la marque de montre suisse que tu pourras jamais te payer (200 000 euros la montre en moyenne). Toujours plus d'excès dans le luxe, une outrance qui a tendance à me faire rire, et qui colle vraiment à l'univers musical de Westside Gunn.
On attaque les morceaux plus sombres, avec le morceau "Draymond". Ou Rome Streetz nous étale toute sa palette de flow, sur une batterie monstrueuse de lourdeur. Egalement , Stove God Cooks, à nouveau, nous offre un couplet avec une énergie de fou.
Arrive "Peri Peri", peut-être le plus old school des morceaux, on se croirait sur un vieux skeud de Nas à sa grande période, avec sample de piano, et ce duo Westside Gunn/Rome Streetz, qui kick sec. C'est pas pour me déplaire.
Peut-être enfin mon morceau préféré de l'album, "RIGHT NOW", (all caps) une instru incroyable, avec un question réponse entre un vieux synthé, et une ligne de basse minimaliste et groovy. Un Stove God Cooks qu'on retrouve encore, avec cette fois-ci un refrain entêtant, quasi chanté, terriblement efficace, un Westside Gunn égal à lui-même, et surtout, un Jadakiss qui vient foutre le feu sur l'instru. Une présence, un flow incroyable, pour moi le morceau le plus marquant du projet.
On part ensuite sur un délire Jazz expérimental, avec ce sample dissonant, sans beat, avec Stove God Cooks qui nous sort un couplet/refrain ahurissant, lunaire, fou, sur le morceau " Westheimer". Décidemment lui je le connaissais pas, mais j'ai pas fini d'écouter ce qu'il fait, c'est une folie. Gros contraste avec l'arrivée sur la seconde partie de Boldy James et son flow dépressif, boueux, et si classe, qui fait définitivement penser à certains morceaux de Snoop. Efficace, rien à redire. enfin, un couplet signé Sauce Walka, inconnu au bataillon, très technique, il réussit à tenir tête aux deux monstres, ce qui n'est pas rien.
Arrive "Bash Money", le titre le plus grimy, noir, sombre. Là on est en terrain connu, Westside Gunn découpe ça comme il l'a toujours fait, on le sent à l'aise. Et arrive Lil Wayne, léger autotune sur la voix, qui se prête au jeu du old school. Peut-être un peu monotone, mais carré, et ça fait du bien de le voir sur d'autres types d'instrus. A mon goût, son couplet manque un peu de folie, et est un poil long, mais clairement, il montre qu'il sait kicker. Plutôt sympa.
On passe à "Claire Backs", morceau en 6 minutes, avec une première partie ou Westside Gunn se la donne pendant 3 bonnes minutes, sa plus longue intervention de l'album. Arrive ce break de milieu de morceau : l'instru qui change, une guitare bien sombre qui débarque, et Conway the machine qui débarque et qui délivre sûrement l'un de ses meilleurs couplets. ça prend aux tripes, c'est sombre, inquiétant, une énergie de fou, une prod incroyable pour le soutenir. Masterclass. Benny the Butcher prends le relai pour son seul featuring sur l'album, bien vu, ultra à l'aise et technique comme à son habitude.
On débouche sur une fin d'album d'une beauté et d'une finesse rare, avec ce duo fraternel entre Westside Gunn et Conway The Machine, sur "Spoonz" : Un sample avec un bon choeur de soul, une flûte traversière qui vient flotter là, une batterie jazzy minimaliste, et un question réponse d'anthologie entre les deux rappeurs. Le chill est maximal.
Enfin, dernier morceau surprenant, sombre, lunaire, en ft. avec Boldy James qui clôture ça bien. Le choix est osé pour terminer. Arrive une fin ouverte, instrumentale uniquement, qui contraste, un beat jazzy, qui démarre, et qui clôt la dernière minute de cette album sur une note plus enjouée, flottante. Une outro qui fait office d'un moment de digestion de cet album que l'on vient de se prendre en pleine poire, une trompette, un clavier fender Rhodes, un feeling nuageux, comme un remerciement, une dédicace à celui ou celle qui est allé jusqu'au bout de l'album. Un moment doux et sincère, plein de gratitude et de réconfort.


Pour conclure
Cet album n'est pas fait pour tout le monde. Ce n'est peut-être pas la meilleure porte d'entrée pour rencontrer le travail de Westside Gunn et du label Griselda. Mais quand on s'y laisse aller, et qu'on est client de cette nouvelle Vibe de rap New-Yorkais, exigent, classe, technique, on est pour moi sûrement sur l'album le plus radical et abouti de sa carrière. Un moment de maturité, un travail sur le son, (Prod/Mixage/Mastering) phénoménale, un tourbillon d'énergies, de flows et de sentiments différents, une véritable masterclass de kickage en bonne et dû forme. L'album sait quand aller dans l'expérimental, sait quand en revenir, et réussit parfaitement son dosage pourtant pas facile pour une musique aussi pointue. On y retrouve un westside Gunn qui excelle dans son style, et qui laisse sa place à une ribambelle d'artistes talentueux qui ont tous le droit à leurs instants de gloires, une superbe démonstration de tout ce dont cette scène incarnant le renouveau du rap Old School a dans les tripes. Pourtant, que c'est difficile de sortir un album quasi en même temps que Dieu-Kanye. Cet album restera pour moi une œuvre jusque-boutiste, avant-gardiste, sans concession, et qui montre clairement qu'on a affaire à l'un des artistes majeurs de cette décennie. A déguster sans modération, à toutes les sauces, accompagné de la plus luxueuse des bouteilles, pour un moment de hip hop raffiné, et rare.


Et comme dirait le philosophe : "DOU DOU DOU DOU DOU - TRLRLLLLLLLLLL - PAW PAW PAW"


NB : En fait y'a que moi qui connaissais pas Sauce Walka, c'est pas du tout un nobody, donc sorry, my bad

Nathan_Alhachim
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le 30 août 2021

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