Dans la catégorie "albums renvoyant à une période donnée de la vie", I Often Dreams of Trains apparaît pour moi comme l'exemple parfait.
Si la musique permet d'accompagner à merveille des instants, je ne pensais pas qu'un jour j'associerais cet album à une invasion de limaces.

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Pour expliquer un peu l'histoire, il faut se remettre dans le contexte :
Fraichement débarqué de mon lycée et balancé dans une nouvelle ville pour mes études, j'emménageais dans un petit studio calme loin du centre-ville. Un petit studio n'ayant rien d'exceptionnel, à part une douche situé dans la chambre même. Le genre de détail qui tue, mais bon ça baissait le prix de la chose.

A la même époque je fis donc l'acquisition de l'album de Robyn Hitchcock. Sorti en 1984, il est son troisième opus solo. Robyn Hitchcock avait auparavant œuvré chez les Soft Boys, et leur album de folk/rock psyché "Underwater Moonlight" est aujourd'hui considéré comme culte.
Le précédent opus d'Hitchcock, l'expérimental "Groovy Decay", l'avait déçu au point de ne plus rien faire pendant deux ans. Puis il se remit soudainement à réenregistrer, pris d'un éclair d'inspiration, et boucla en quelques jours ce qui allait s'appeler "I Often Dreams of Trains".
Ma première écoute de l'album se passa donc dans mon studio. C'était l'automne et les températures baissaient de plus en plus. J'étais seul et je découvris mon studio allait battre des records d'humidité, jusqu'au point d'avoir un froid matin le bonheur de me réveiller et d'observer, à quelques mètres de mon lit, rampant joyeusement dans mon salon-cuisine-douche, des limaces.
Oui oui. Sorties de nulle part quelques limaces visqueuses grimpaient sur les murs de ma douche et sur le sol. Les nombreuses traces brillantes laissées sur ce dernier me faisaient penser que les gluants gastéropodes devaient s'éclater depuis un bon moment déjà.

Quelque peu interloqué par la situation, j'éteignis mon réveil qui passait le second morceau de l'album : "Sometimes I Wish I Was a Pretty Girl" (les paroles étaient "so I could wreck myself in the shower", coïncidence ?)
Je dus donc passer les jours suivants à tenter de mettre fin seul à ce mélange de Dark Water et d'une note de Boulet, avec toujours en bande originale "I Often Dreams of Trains" qui passait derrière mes affrontements avec les limaces.
Et autant dire que l'album ne pouvait être que parfaitement adapté à la situation. Ce qu'on remarque tout de suite dans l'œuvre de Robyn Hitchcock, c'est d'abord le coté acoustique et minimaliste. Les instruments utilisés se limitent à la guitare, au piano, ou même parfois à quelques rares accompagnements de cuivres. L'absence de batterie donne ainsi à l'album une teinte singulière. Les morceaux, pourtant loin d'être mous, dégagent une impression de solitude tenace.
Mais pas une solitude triste. Car à ce point s'ajoute le caractère surréaliste de Hitchcock, déjà présent chez les Soft Boys. Les paroles sont un fabuleux mélange d'humour noir et de fantaisie, transformant les morceaux d'apparence nostalgique en comptines hallucinées. On pourrait par exemple prendre "Flavour of Night" comme une ballade matinale, jusqu'au refrain où la voix particulière et doublée d'Hitchcock nous sort un superbe "You, yeah you, with your ice-cream hands... you, yeah you, are my friend."
Hitchcock a en plus un talent inné pour la mélodie. Les morceaux ont tous leur propre personnalité, véritable témoignage de l'esprit riche et bizarre de leur auteur. L'album pourrait presque être pop si il n'avait pas des paroles aussi déjantées et une ambiance si particulière, tellement les mélodies sont efficaces.
Au final, on se rend compte que ce mélange dissonant est étonnamment addictif. On écoute l'introduction "Nocturne" et ses notes hésitantes de piano pour ensuite passer à de la folk rythmée, à des ballades aux teintes irréelles ("Trams of Old London" est magnifique sur ce plan) et même à de fantastiques morceaux a cappella ("Uncorrected Personnality Traits" et "Furry Green Atom Bowl"), la transition se faisant toujours avec un naturel surprenant.
On a donc un album totalement unique, semblant être conçu pour l'écouter à l'aube, compagnon d'insomnies. Ou de moments absurdes dans lesquels on peut se battre seul contre une invasion quotidienne de limaces, tous les matins d'un froid mois de novembre. Je n'ai jamais su comment elles faisaient pour entrer, mais elles ont fini par déguerpir. Moi pendant ce temps, je continue de revenir dans le monde de Robyn Hitchcock. Un monde à l'univers très personnel mais qui n'en finit pas de me surprendre, écoute après écoute.
Mellow-Yellow
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le 13 août 2014

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