Kelis Was Here
6.1
Kelis Was Here

Album de Kelis (2006)

Au début du clip de Bossy, Kelis s'éveille, s'assied face à la coiffeuse et taille d'un coup de ciseau impitoyable dans le massif tire-bouchonné qui fit sa renommée. Quelques plans plus loin, montée sur talons hauts, moulée dans une robe mini mini, la tignasse lissée, la lèvre humide et l'œil mi-clos, elle se secoue le bas des reins dans un fantasme de discothèque olé-olé : le genre où des nanas en sueur se frottent contre des mecs en marcel qui gobent des huîtres en se vautrant sur des tapis persans (je raconte de mémoire). Egaré au milieu de cette orgie, un caniche à pompons turquoise est le seul à évoquer l'époque (Kaleidoscope, 1999) où Kelis débarquait dans les charts telle une furie psychédélique. Adieu sucettes, milk-shakes et boucles flashy, la gamine peinturlurée donnera dorénavant dans la vulgarité sophistiquée, s'enfilera du beat carré au kilomètre, se la jouera totale salope. Montre-moi tes cheveux, je te dirai pour qui tu te prends...

Sur une poignée de titres, ce virage porno-chic s'opère pour le meilleur : avec son chant obscène, sa basse à décoller le papier peint et sa mélodie qui tinte comme un collier de perles se déversant dans une flûte de champagne Cristal, Bossy, par exemple, est l'un des titres les plus accrocheurs du moment. C'en est par contre fini de la trame vocale complexe des premiers disques, entrelacs de feulements, de soupirs et de cris rageurs, de passages rappés et de fulgurances pop : ne reste qu'un timbre standard, banalement éraillé (Till The Wheels Fall Off, Living Proof) ou bêtement vindicatif (le sautillant I Don't Think So, spécimen pas indigne, cela dit, de pop-rock jetable façon Pink). Plus grave : Kelis, par moments, semble se foutre royalement de son propre disque, laissé en pâture à une armée de producteurs de seconde zone et d'invités en roue libre. L'interminable première demi-heure est ainsi dominée par un son electro-funk dont on s'est déjà lassé au moment où s'achève le premier solo de batterie hexagonale. Plus loin, une ribambelle de gimmicks faciles - featuring de la Castafiore sur Like You, espagnolades sur Have A Nice Day, musique de cirque sur le morceau caché - retiennent l'attention... par leur absolue incongruité.

En de rares occasions, cette mélasse est tout de même effleurée par la grâce. Avec son tambour de guerre et ses synthés entêtants, Blindfold Me (duo torride entre Kelis et son petit ami d'alors, le rappeur Nas) lorgne carrément sur l'indépassable Get Ur Freak On jadis offert par Timbaland à sa grosse muse Missy Elliott. Sur Aww Shit!, Shondraé - déjà repéré sur Bossy - se substitue avec brio aux Neptunes, absents du générique pour la première fois en quatre albums : avec deux bouts de ficelle, une grosse caisse et un bourdonnement bizarroïde (agonie amplifiée mille fois d'un moustique se débattant dans un verre d'eau ? Donald Duck faisant des bruits de trompette avec son bec ?), le jeune producteur géorgien affronte crânement Pharrell Williams et Chad Hugo sur le terrain minimal et obsédant de Drop It Like It's Hot, leur géniale collaboration avec Snoop Dogg. Le midtempo Lil Star finit lui aussi par nous avoir... en traître : on pense griller une banale cigarette, on finit le cortex explosé par les effluves capiteux de la voix de Cee-Lo Green.

On est tombé amoureux, il y a quelques années, de l'idée qu'une musique dominante - le RNB - en vienne à puiser ses valeurs principales - déconstruction, répétition, dénuement des arrangements, musicalité des sons du quotidien - au cœur même de l'avant-garde : d'un brillant single à l'autre (Bossy et Blindfold Me inclus) s'invente une forme de variété mutante et inouïe, davantage redevable aux savants fous façon Autechre qu'à n'importe quelle résidente braillarde des casinos de Las Vegas. Dès lors quand, dans un mouvement inverse, les marges même du RNB se rapprochent de son ventre mou, quant ses électrons libres acceptent de passer à la tondeuse et de marcher au pas, on est forcément un peu triste, un peu désabusé. « I'm the bitch y'all love to hate! », assène Kelis sur le refrain de Bossy. Bon, si c'est ce qu'elle veut... Mais, jusque là, on se contentait de l'aimer. Tout court.

(posté précédemment sur kweb.be)
Kaboom
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le 7 nov. 2012

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