De la Russie à Bagdad , “Shéhérazade Annie” nous ensorcelle pour milles et une nuit

On ne peut parler de ce groupe sans parler d'abord d'Annie Haslam, la chanteuse.

Sirène envoutante du rock progressif elle a mis les oreilles et les voix de toutes les autres chanteuses sur des récifs, condamnée celles-ci à s'incliner devant ses cinq octaves et sa puissance “opératique”! Annie Haslam est la chanteuse phénoménale du rock progressif. Une sorte de Callas qui aurait eu comme passion de chanter sur une musique rock-symphonique. Il faut écouter sur cet album live Renaissance Live At Carnegie Hall et son solo de voix phénoménal d'Ashes are Burning. Les vocalises s'envolent pour le grand frisson final du show (boule disco qui s'allumait aussi à ce moment pour métaphoriser son chant étoilé ?) . On touche ici à une dimension jamais vue dans l'univers du rock, progressif ou non. Écoutez attentivement la tendresse qu'elle porte sur Ocean Gypsy ou la force musclée de sa voix sur Mother Russia qui exprime tout le désespoir de l'écrivain Russe Solzhenitsyne (sur un texte magnifique de leur librettiste Betty Thatcher). Sur la grande suite de Shéhérazade il faut écouter particulièrement la douceur et la sincérité de Love Theme.

On l'écouterait pour milles et une nuits.

Ceci dit le rock symphonique de Renaissance surtout développé à partir de Turn Of The Cards (l'album précédent) est d'une puissance subtile, d'une richesse unique dans l'histoire du rock. Je fuis en général ce genre rock symphonique, super orchestré qui 99% du temps est d'une prétention indéfinissable et qui flirte avec une guimauve dégoulinante. Rick Wakeman en étant le meilleur exemple avec son Journey To The Center Of The Earth/ The Knights Of The Round Table ou ELP et son Live au Stade Olympique de Montreal ( une horreur,voire Nice aussi) et ses prétentions de reproduction classiques sans aucun intérêt me les feraient exécuter en moins de deux si j'étais Sultan de Bagdad!

Mais Renaissance est dans une classe à part. Son utilisation de l'orchestre sert ici enfin le groupe dans ses intentions artistiques musicales. Ici tout est précis : de la délicatesse de Fugue for the Sultan et sa flute envoutante et son piano vaguement Russe au grandiose de Mother Russia jamais pompeux mais musclé, viril et décapant. Le grand frisson.

Les enchaînements sont étonnants , le passage de Fugue For The Sultan à Festival sur Song Of Sherazade avec ce xylophone merveilleux est d'une beauté et d'une force discrète hypnotisante. Il faut dire qu'on a un maître aux orchestrations (Tony Cox) qui travaille étroitement en studio avec le groupe pour Shéhérazade, ledit album qui coûta une fortune à produire et qui est considéré comme plusieurs comme la référence du rock symphonique.

Bon vous vous dîtes le rock symphonique c'est pas mon truc! L'exception confirme la règle ici. Et de plus un côté de ce live est sans orchestre. Avec la version de 22 minutes de Ashes Are Burning Renaissance donne ici sa partition la plus achevée de ce morceau percutant. Originellement le morceau se finissait par la présence du musicien invité Andy Powell (Wishbone Ash) pour un solo de guitare électrique hallucinant, le seul solo de guitare électrique de l'histoire du band. Andy Powell ne fut pas invité à jouer à Carnegie Hall contrairement au concert précédent de New-York en 74 à l'Academy of music.(écouter le box set de l'album Turn Of The Cards pour une version sublime live avec Andy) Ici le solo de voix d'Annie Haslam remplace Andy Powell. À lui seul ce solo et ce morceau valent l'achat de triple cd. Oui les cendres brûlent comme la voix d'Annie.

Les six merveilles que Renaissance produisit dans les années 70 de Prologue à A Song For All Seasons sont des incontournables. C'est une oeuvre d'une richesse exceptionnelle (en plus de réédition contenant des bonus souvent extraordinaires live) Ce triple album enregistré à Carnegie Hall sur trois soirs (et dont sont tirées les meilleurs versions desdits soirs) est considéré par beaucoup comme l'album live parfait du rock-progressif voire symphonique (pour mettre tout dans une case) . Pour moi il l'est avec son opposé Vital ( de VDGG).

Par un chemin différent, ils touchent tous les deux le coeur de l'auditeur, tant soit peu qu'il abolisse ses préjugés et se laisse séduire par les contes des milles et une nuits de ce groupe gargantuesque comme un orchestre symphonique. Oui une symphonie!

PS: Le disque bonus ici est un live à la BBC, un peu redondant, mais qui permet de comparer les versions avec et sans orchestre symphonique. Une curiosité.

RockNadir
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le 20 mars 2023

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