Louder Than Hell
6.6
Louder Than Hell

Album de Manowar (1996)

Démiurge, Manowar a crée son propre univers, son propre style, ils ont bouleversé les traditions du heavy metal en le sublimant, en lui insufflant sa hargne, ses narrations épiques, sa puissance, son goût prononcé pour les batailles. Ils avaient surpassé le heavy metal traditionnel pour être un groupe à part entière, un groupe qui se démarque non pas par ses seules qualités musicales, mais surtout par sa personnalité sans cesse guidée par ce besoin d’être les meilleurs, d’être les rois. Là où Louder than Hell surprend, c’est qu’il est un album de heavy metal traditionnel, mais joué par Manowar.

Louder than Hell, c’est Mozart qui interprète une sonnerie de récréation au collège, c’est Raphaël qui remplit un livre à colorier, Gustave Doré qui dessine un bonhomme avec un rond et des barres, Victor Hugo qui écrit une notice de montage d’un meuble Ikea, Auguste Escoffier qui enfonce deux carrés de chocolat noir dans un croûton de baguette. Les rois décident de nous offrir du heavy metal pur et dur, avec des riffs entendus et entendus, les poncifs du genre. Que donne le résultat de ce mélange ? Quelle naissance va nous offrir l’accouplement entre du basique manipulé par les quatre dieux de la guerre et leurs marcels en cuir ?

Déjà, il faut célébrer le retour de Scott Colombus à la batterie. En effet, le « Warlord » est à l’honneur, et la chanson qui introduit l’album lui est dédiée. Le guitariste David Shankle a aussi mis les voiles, et c’est un certain Karl Logan qui le remplace, un gratteur au style beaucoup plus néo-classique qui fait virevolter ses phalanges sur les six-cordes dès qu’il en a l’occasion. Il possède aussi une frange et une attirance sexuelle envers les jeunes enfants. Il jouera pour Manowar jusqu’à ce que cette passion discutable soit découverte, soit pendant environ quinze ans.

Return of The Warlord est très classique. La rythmique est simple, cinglante et saccadée, le refrain est sympa, mais les vroum-vroum des motos me gonflent profondément. Bon, pour encore faire référence à Marc-Aurèle, ce genre d’artifice bruyant fait partie du côté guignolesque de Manowar, donc bon, je passe l’éponge, mais uniquement parce que ce groupe me fait atteindre des intensités émotionnelles monumentales sur d’autres albums ! Sur cette chanson, il y a un passage que je trouve aussi très drôle : celui où Adams chante accompagné par le seul batteur. Ce qu’il dit, et la manière dont il le dit, cela m’a toujours fait marrer.

Brother of Metal est du même acabit, sauf pour le tempo, qui est moins rapide. Refrain efficace et entraînant, paroles redondantes mais Manowaresques, sympathique mais sans plus. Heureusement qu’Eric Adams, qui n’a rien perdu de son inénarrable talent vocal, permet d’assaisonner ce morceau fade pour le rendre épique et grandiose pendant quelques secondes, au moment du pont, lorsqu’il glorifie par sa voix les frères du metal, qui trinquent si fort en l’honneur du pouvoir et du son qu’ils génèrent des secousses telluriques dignes du tonnerre.
The Gods Made Heavy Metal est un autre basique, mais il se distingue par son riff précédant le refrain, très accrocheur et entêtant. C’est avec allégresse et inconscience qu’on opine du chef en rythme avec la guitare. Le son de Karl Logan est d’ailleurs plus propre que celui de ses prédécesseurs, plus léché, plus net. Sa virtuosité se dévoile dans le solo, où l’on peut découvrir son penchant pour le shredding et le tapping (je hais les anglicismes, écrire cela est un calvaire pour moi).

Courage est une ballade très niaise et sauvée du naufrage par les cordes vocales du chanteur. La prestation orale fait figure de petit tuba aquatique, mais tout le reste prend l’eau. Comment un tel groupe peut-il produire une telle chanson ? Comment les dompteurs de la sauvagerie, les maîtres de l’épique, les géniaux compositeurs et interprètes de Dark Avenger ont-ils pu donner naissance à Courage ? Cette ballade totalement creuse et banale me fait penser à l’eau de végétation d’une endive. Heureusement pour l’auditeur, le talent d’Adams fait à la fois le jambon, le fromage et la béchamel. Mais on n’en prendra qu’une fois.

Les trois chansons suivantes sont de la même facture. J’ai la désagréable sensation de souvent me répéter lorsque j’écris mes critiques à propos de Manowar, mais là, je ne saurais absolument pas comment évoquer ces trois copier-coller sans user encore et toujours des mêmes poncifs descriptifs déjà écrits. Eric Adams est grandiose à la fin de King, mais ça ne surprend plus personne. Outlaw et Number 1 sont des purs remplissages, des morceaux interchangeables sans identité. Enfin si, ils ont une identité : ils permettent de définir les défauts de cet album, ils représentent ce qui ne fonctionne pas, ce qui déçoit. Qu’un groupe unique et dantesque comme Manowar produise ce genre de morceau que n’importe quel groupe banal de heavy metal pourrait pondre, c’est blessant. Heureusement, il leur reste l’enrobage, mais la substance est antinomique avec le talent du groupe.

Cet album, tout aussi poussif qu’il soit, a tout de même le mérite de contenir le seul et unique morceau instrumental de l’histoire du groupe (non wagnérien, j’entends). Son titre : Today is a Good Day to Die. L’enchaînement d’accords me rappelle Celestial Voices, le magnifique morceau de Pink Floyd, présent dans la chanson Saucerful of Secrets. Bon, si les accords évoquent un chef d’œuvre pareil, un interlude qui prend aux tripes, c’est que le morceau de Manowar prend lui aussi aux tripes ! Eh bien oui, même si, soyons honnêtes, nous nous trouvons plusieurs crans en-dessous de Pink Floyd en matière de beauté musicale. Today is a Good Day to Die n’en demeure pas moins poignant, les coups de tambours, graves et froids, évoquent la dignité solennelle nécessaire lorsqu’on veut regarder la faucheuse droit dans les yeux. L’émotion est là, les neuf minutes passent vite, malgré le tempo lent du morceau. La guitare, mêlée aux effets sonores figurant un orage funeste lourd et calme, parvient à mélanger force, gravité et délicatesse. Elle se substitue à la voix et nous permet d’imaginer les émotions du guerrier qui, fier, digne et sûr de son épitaphe, se tient prêt pour le voyage outre-tombe.

My Spirit Lives On est un solo de guitare superfétatoire, on en a entendu d’autres. On était habitués à Joey qui faisait le zinbouinbouin avec sa basse, mais là, c’est Karl Logan qui s’y colle. Dont acte.

The Power est taillée du même bois que les trois chansons interchangeables évoquées plus haut. Pour reprendre l’analogie, c’est comme si les maîtres absolus et divins de l’ébénisterie, connus pour avoir sculpté l’orgue d’église réservé aux doigts divins de Dieu en personne (oxymore), s’attelaient maintenant à la sculpture d’un guéridon banal et voué à être commercialisé en masse. Eric Adams est monumental à la fin de morceau. Il faut, de nouveau, le signaler.

Poussif, Louder than Hell désarçonne l’auditeur aguerri du quatuor en cuir par son approche beaucoup plus classique du heavy metal et son absence de personnalité réelle. Le sel du groupe fait ici cruellement défaut, on se demande où sont passées les paroles inspirées, les thèmes mythiques et guerriers bien exploités et originaux, la fougue et la fureur inhérente à ces bougres, l’unicité musicale mêlant puissance, mégalomanie, ostentation qui les caractérisait. Les morceaux épiques aux allures d’apocalypse sont mis de côté dans cet opus. En aval, on s’aperçoit que Louder than Hell préparait le terrain pour ce que deviendra le groupe, assure la transition entre la fougue guerrière des premiers albums et le son plus traditionnel de la suite, que l’on retrouvera dès Warriors of the World.

Un opus qui demeure tout de même abordable, sympathique à écouter et qui peut plaire à un profane de Manowar. Mais pour quelqu’un qui connait les standards du groupe, pour un fanatique qui sait à quel point cette formation peut donner naissance à des émotions à l’intensité insoupçonnable, la déception est nécessairement au rendez-vous. Entendre Eric Adams s’abstenir de pousser son cri fétiche lors de certains passages où il l’aurait certainement fait avant est un symbole du laisser-aller auquel le groupe a sûrement dû faire face.

Ubuesque_jarapaf
7

Créée

le 9 août 2022

Critique lue 37 fois

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