Love Is Dead
5.9
Love Is Dead

Album de CHVRCHES (2018)

Le guilty pleasure dans tous ses états

Qu’est-ce qu’un guilty pleasure ? Nous allons le montrer à l’aide d’un exemple concret.


Visualisez la scène. Vous êtes en soirée chez un pote. 4 heures (et 8 verres de punch) se sont écoulées, la tarte thon-moutarde-andouillette-poireau bio sans gluten (et sans cuisson) que vous avez eu le malheur de goûter est finalement digérée, et votre vision (ainsi que votre ambition de footing du lendemain matin) commence à se troubler. On s’approche tranquillement mais sûrement du point de non-retour, ce fameux moment où le « petit apéro tranquille à la maison » se métamorphose en « immense traquenard assorti d’une gueule de bois pour les 48 prochaines heures ».


Mais il manque une étincelle pour embraser ces sombres desseins. Car malgré l’expansion progressive du doux sentiment d’euphorie provoquée par l’ivresse croissante des invités, c’est au niveau de la musique que le bât blesse. Kévin, le maître de maison, a en effet tenu à nous faire partager sa playlist electro-chill summer hits 2018 sponsorisée NRJ Fun Radio, dont la seule véritable utilité est de combler les silences gênants qui accompagnent chacune de ses remarques d’une lourdeur implacable (il s’appelle Kévin, rappelez-vous). Et pas question de toucher à sa playlist, le Kévin n’est pas prêteur, c’est là l’un de ses nombreux défauts.


Mais ça, c’était avant que Samantha, jeune fille dotée d’un, je cite Kévin, « sacré pétard, et je parle pas de 14 juillet », décide de prendre les choses en main. Devant les arguments déployés par la charmante jeune femme à la « sacré carrosserie, et je parle pas de voiture », Kévin abdique et rend les armes, laissant à son hôte le soin de décider de la nouvelle tournure de la soirée.


Que tous ceux qui sont dans la vibe… LEVE LE DOIGT !!!


Ni une, ni deux, tout le monde à l’exception de Kévin se lève et reprend en cœur la douce cantate. Claude François, Spice Girls, O-Zone, Kyo… Ils y passeront tous, pour le plus grand bonheur de votre future gueule de bois. À Samantha la patrie reconnaissante.


Voici donc ce que sont les « guilty pleasures » : ces morceaux, ou artistes, condamné par la brigade des mœurs musicales au nom de je ne sais quel élitisme malvenu, mais secrètement appréciés par un grand nombre d’entre nous passé un certain taux d’alcoolémie. Ceux-ci peuvent s’inscrire au niveau régional (les reprises bretonnes de Nolwenn Leroy), national (Diam’s, paix à son âme) voire international (Avril Lavigne). Tout un programme.


Seulement voilà, il est bien souvent difficile pour un contemporain de déceler un guilty pleasure, celui-ci devant d’abord résister à l’épreuve du temps avant d’acquérir ce statut tant convoité. Dans la catégorie des titres en voie de guiltérisation, on retrouve notamment en France des pointures comme Maître Gims ou Vianney. Et de l’autre côté de la Manche ? Et bien, sachez gentes demoiselles et damoiseaux, que je suis prêt à parier que Chvrches et son dernier album Love is Dead, est bien parti pour s’imposer comme un futur guilty pleasure en puissance.



Feel good music



Et même pas besoin d’écouter ce CD pour deviner son contenu : La couverture est digne des pires montages photos de skyblog gothique emo 2008, la chanteuse Lauren Mayberry paraît tout droit sortie d’un anime japonais bas de gamme, et les deux autres membres semblent être restés tant vestimentairement que mentalement à leurs années lycées.


Vous vous attendez à une critique au vitriol et êtes déjà prêts à me sauter au cou pour m’étrangler devant tant de préjugés extra-musicaux ? Détrompez-vous, car cet album est la parfaite illustration de tout le paradoxe des guilty pleasures : bien qu’ils soient attaquables sur à peu près tous les fronts, prévisibles à l’extrême, et flirtant tantôt avec le ridicule ou l’insupportable, ils n’en restent pas moins diaboliquement efficaces et addictifs, et font preuve en ce sens d’une beauté aussi paradoxale que calculée.


Car les ressorts employés par les trois écossais sur cet album sont très grossiers : des claviers synth-electro-pop jusqu’à l’écœurement sur des mélodies simples et entraînantes, des paroles dignes du niveau littéraire d’un collégien qui vit sa première rupture amoureuse, des refrains créés sur mesure pour être chantés à tue-tête en concert par la première Samantha venue… On est là pour tirer sur le pathos de la ménagère et l’étirer dans tous les sens, réveiller l’adolescent(e) qui sommeille en chacun de nous, et viser les papillons dans l’estomac qu’on éprouvait au moment de notre premier roulage de pelle.


Le pire dans tout ça ? C’est que ça marche ! Comment ne pas être scotché par les deux premiers morceaux Graffiti et Get out, qui viennent nous frapper en plein cœur sans temps d’échauffement, comment ne pas éprouver de frissons sur la ballade sentimentale My Enemy, ou faire semblant de ne pas fredonner le refrain de Never say die après deux minutes d’écoute… Plus pop que les deux opus précédents, Love is dead nous propose également suffisamment de diversité dans les morceaux pour éviter d’avoir l’impression de tourner en rond (nouveau paradoxe de ce projet, étant donné que c’est bien la même recette qui appliquée sur quasiment tous les morceaux). La seule véritable déception étant Miracle, bien trop proche d’un titre EDM à la sauce épique semblant avoir été calculé pour passer à la radio entre Imagine Dragons et Ed Sheeran. Le reste de l’album est un concentré de morceaux qui rentreront dans votre crâne et vous hanteront pour une semaine au minimum, satisfait ou remboursé.


Pour résumer, on pourrait dire que Love is Dead est insupportablement bon. Les défauts sont visibles depuis sa couverture jusque dans les moindres recoins de chacun de ses morceaux. On sait très bien à quelle sauce nos oreilles vont être mangées, et pourtant, on en ressort satisfait et heureux. Car oui, le guilty pleasure a aussi quelque part ce petit côté sadomasochiste.


Le seul doute que l’on pourrait émettre concerne sa date de péremption : à quel moment le guilty prendra-t-il le pas sur le pleasure ? À cela, je réponds : rendez-vous dans cinq ans chez moi pour un apéro tranquille à la maison. Y’aura Samantha.



  • En quelques mots : Paramore et Imagine Dragons baisent sur un synthé

  • Coups de cœur : Graffiti, My Enemy, God’s Plan

  • Coups de mou : Really Gone, Heaven/Hell

  • Coups de pute : Miracle

  • Note finale : 6+

JLTBB
8
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le 3 nov. 2018

Critique lue 209 fois

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