Depuis une bonne dizaine d'années maintenant, pas grand chose à se mettre sous la dent du côté de Marilyn Manson. On le voit occupé sur tous les fronts, tenter de se créér une image de dandy décadent (avec un épisode Dita Von Tease) alors qu'il commence en fait à ressembler de plus en plus à un Nicolas Cage trop maquillé. Pourtant, à une époque, Marilyn Manson avait des idées, pas toutes les siennes, mais tout de même. Je ne vais pas tenter d'expliquer le phénomène, ceux qui seront intéressés par sa carrière après le très bon "Holy Wood" pourront aller fouiller ça et là et trouver quelques clips volontairement provocateurs, pompés sur Jodorowsky supportant des morceaux insipides et oubliables. Mais alors "Mechanical Animals" ?


J'arrive.


L'album a marqué une rupture dans l'évolution du personnage. Il quitte la peau squameuse de l' "Antichrist Superstar" pour revétir celle d'un blanc laiteux de cet Omega dont l'album raconte la trajectoire. La couverture, comme le son de l'album est épurée, là où "Antichrist Superstar" grouillait littéralement de détails visuels et sonores. A travers ce personnage de créature venue d'ailleurs, le chanteur entend bien vampiriser toute la musique de sa jeunesse : David Bowie est la source la plus évidente, avec non seulement le personnage de Ziggy Stardust dont le destin est similaire mais aussi son Thomas Jerome Newton de "L'Homme qui Venait d'Ailleurs", son Thin White Duke et même sa curieuse période plastic-soul. Mais on retrouve aussi énormément de Gary Numan, un des parrains de l'indus et son étrange personnage maquillé, étriqué et glacial. Les plus acharnés découvriront une filiation transparente avec Alice Cooper et sa période synthétique "Flush the Fashion", "Special Forces", et même quelques tranches de Beatles au détour d'un #9 devenu #15 et certaines sonorités piquées à "Abbey Road" (le mellotron de la fin de "You Never Give me your Money"). Marilyn Manson s'est créé ce personnage sans âge, sans sexe, sans couleur, un fantasme de Michael Jackson qui aurait mal tourné en somme.
Mais alors ? Ce n'est rien de mieux qu'une pâle copie ?


Pas tout à fait.


En quittant les ténèbres pour les strass et les paillettes, Marilyn Manson n'a pas vraiment adouci son message. Les mêmes sujets hantent ses paroles, le rejet de Dieu, la drogue, le sexe un peu, la colère et la vanité. Le rock quoi. Et c'est bel et bien un album rock, très abordable, teinté de punk et de glam mais aussi de pop, oui, que nous livre l'androgyne pas encore boudiné dans ses tenues. Les morceaux sont répartis entre Marilyn Manson, le vrai, et son personnage fictif, ils se bousculent dans le désordre au cours de l'album. Les premiers sont tendus de nappes synthétiques et globalement plus "mélancoliques". "Great Big White World" en forme d'introduction mécanique et désespérée, "Mechanical Animals" plus énervée mais dépressive également, "Dissasociative" lente et presque contemplative avec son "dead astronaut" qui en rappelle un illustre du nom de Tom, "Speed of Pain" dont on ne sait dire si l'émotion est réelle ou induite par quelque substance chimique (Thin White Duke ? C'est toi ?), la très réussie "Fundamentally Loathsome" et sa mélodie désuète mais inquiétante comme surgie d'un vieux juke-box de Twin Peaks. "Last Day on Earth" ballade robotique à la Numan ne manque pas d'émotion et "Coma White" qui conclut l'album de façon douce amère avec guitare accoustique et sa rythmique mise en avant possède un charme mélancolique indéniable.
Pour ce qui est des chansons attribuées à Omega, c'est un peu la fête ! "The Dope Show" est fantastique, lancinante et dansante à la fois, numéro de cabaret aux paroles acides et...drôles ! "Rock is Dead" semble prouver le contraire de son titre, dans une version déglinguée d'un glam-rock à la T-Rex ou Gary Glitter ("Rock'n'roll Part 2" en tête) qui donne envie de bouger et de casser des trucs en prenant des poses de mannequin de temps à autre, "Posthuman" évolue d'un rock débridé à de l'electro façon Prodigy du plus bel effet avec ses paroles blasphématoires au passage, "I Want to Dissappear" est coincée entre glam et punk comme une petite soeur des New York Dolls totalement dépravée.
"I Don't Like the Drugs (But the Drugs Like Me)" est un superbe exercice de style à mille bornes de l'Antichrist. C'est dansant, il y a des choeurs façon soul et gospel et une guitare de Dave Navarro funky en diable. "New Model #15", plus punk (mais avec des pastilles glam) très entraînant, "User Friendly" et ses choeurs en "tuu tuu tuu tuu" est très drôle, avec un irrésistible "I'm not in love, but I'm gonna fuck you till somebody better comes around". Ouf ! Il y aurait de quoi se perdre si le concept ne donnait pas une cohérence improbable à l'ensemble.


Ce qui frappe donc dans cet album, c'est qu'il est peuplé de bonnes CHANSONS. Efficaces, marquées par un retour à un rock plus basique, les guitares de John 5 n'y sont pas pour rien puisqu'il rejoint le groupe à ce moment. Les synthés ne sont pas en reste et contribuent à créer ce climat étrange, lumineux, coloré et menaçant à la fois qu'on n'attendait pas chez ce supposé suppôt de Satan. Les fans ont hurlé au scandale (ce qui est plutôt bon signe) face à cette évolution imprévue et supposée commerciale (genre Marilyn Manson était un artiste indé) de leur idole. On regrette qu'il n'ait pas poursuivi sur cette lancée même si "Holy Wood" en garde quelques stigmates. Avec cette expérience en forme de déclaration d'amour à tout un pan de la musique des années 70-80, Marilyn Manson nous offre un album savoureux, personnel malgré son bagage de références, un peu comme à cette époque bénie où, quand on voulait faire plaisir à quelqu'un, on lui tendait ce bout de plastique désormais oublié en lui disant : "Tiens, je t'ai fait une cassette !".

I Reverend

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