Metz Noire
7.1
Metz Noire

Album de Noir Boy George (2013)

Ça commence comme une grosse blague de fin de soirée. Quand la gratte traîne une note dégueulasse, à peine accordée, elle tourne et la canette aussi, ça fait un fond sonore qui tout de suite paraît signifier quelque chose. A vrai dire presque rien.


Quand tout le monde s'en est allé, rejoindre son foyer, retrouver sa misère, l'autre qui attend peut-être. Peut-être pas.
Quand le silence pèse plus lourd que jamais, quand la solitude atteint son paroxysme.
La guitare ne grince plus, n'est plus rien qu'illusion rock dépassée.


Ça commence par une nappe synthétique mal fichue, qui va et vient au rythme du son saisi au vol, amateurisme de circonstance. De l'heure, du moment présent. Rien d'autre.
Quelques phrases perdues dans les vapeurs lo-fi du jour naissant, entre boîte à rythme et non-lieu d'existence. La canette vissée à la main gauche, ils sont partis, elle est restée.
Une grosse blague de squat, comme un Didier Super des mauvais jours, bon pour l'oubli, l'amorce d'un sourire en coin.



Avec pour seul espoir cette bière, qui refroidit tes doigts



Mais cette blague n'est pas drôle. Et les yeux grands fermés. Et tout autour les âmes en peine qui s'enfoncent dans la ville. Et tu ne les vois pas, sous les ponts, sur les trottoirs, tout à côté de toi, laissés pour le compte du bien commun, du franc sourire capitaliste, les oubliés de la grande déconnade insouciante.
Il est là pourtant Noir Boy Georges, sa cave et son synthé et le regard sanglant de celui qui a eu le malheur de zieuter d'un peu trop prêt le manège de ses pairs. Alors il aspire sans filtre et à plein poumon l'essence nauséabonde d'une société gangrénée par nature et la recrache rageusement au visage du premier venu.



Il y a deux choses qui font un homme : sa mère et sa drogue



La bouffée est infâme, à gerber. Ce synthé monomaniaque, on voudrait l'achever, lui fermer son sale clapet. Il insiste, il appuie sans fin ses notes larmoyantes. Il y a une étrange beauté là-dedans. Mais le corps n'est pas prêt, affaibli par des années d'endoctrinement, de litote et de subversion punk banalisée, monde sans saveur, royaume du demi-mot. Le rejet viscéral, instinctif.



Sale histoire



Et c'est l'histoire de voisinnage. C'est l'histoire de ce clampin que chaque jour tu croises, la sempiternelle boîte en fer à la main, ce type que tu ignores avec le dédain derrière lequel on t'a appris à protéger tes sentiments, ce voile que tu appliques, sans même y penser, sur tes yeux fragiles.
C'est l'histoire de presque rien, de quelques hères abandonnés, laissés pour compte, faciles à mépriser.
Mais aujourd'hui ils parlent et sans artifice.



Et si ça se trouve c'est un monde meilleur, peuplé de clochards et de
8-6



Et la conscience de s'éveiller, ne serait-ce qu'un tout petit peu, le cerveau ramolli par l'écran qui lobotomise de s'interroger enfin.
Si finalement tout n'était pas rose? Si l'occident allait droit dans le mur? Si tout ceci avait un sens? Si il était temps, finalement, de s'inquiéter de ce voisin solitaire, Bavaria au bec du soir au matin? Si il était temps de lui parler et puis surtout de l'écouter? Il te dira sûrement que tout ne va pas si bien, mais qu'il ne tient qu'à toi de faire que ça aille mieux.

-IgoR-
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le 7 juil. 2016

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