Montagnes Russes
5.8
Montagnes Russes

Album de Lujipeka (2021)

Lujipeka ne s'arrête pas, il continue avec moins d'amis (tristesse)

Columbine semble désormais n'être qu'un lointain souvenir. Voilà plus de deux ans que le groupe n'a pas sorti de morceaux et que nous avons peu voire aucune information sur le deuxième artiste qui portait le groupe aux côtés de ce cher Lujipeka: Foda C. Nous avons eu beau demander des news quand la lune s'est levée, elles sont restées endormies (comme quoi il y a bien que ma bi*e qui fait la nuit debout) et ont surtout accompagné un tragique événement: la fin de Columbine. Si certains vers de Meme tiré du précédent projet de Lujipeka pouvaient laisser paraître que leur relation s'était terminée en de mauvais termes, je préfère me dire que les deux avaient seulement besoin d'une pause et qu'ils reviendront de plus belle un jour...la naïveté dans mon bonheur, la vérité et sa douleur... La pilule est dure à avaler mais il faut l'accepter et désormais Lujipeka et tous les autres membres tracent leur route en solo, le premier avait tout de même invité les membres de Columbine dans son premier projet. Et donc en 2021, un des membres phares du groupe sort son premier album après s'être essayé au format EP l'année précédente : Montagnes Russes sort enfin le 5 novembre, précédé d'une attente assez élevée. Rapidement Lujipeka s'est révélé comme mon membre favori du groupe, tout d'abord il occupait la grande partie du morceau avec lequel j'ai découvert le groupe et qui est aujourd'hui mon préféré après Rémi: Pierre Feuille Papier Ciseaux puis il s'est avéré en écoutant la discographie de Columbine que c'est lui qui détenait mes passages préférés sur les morceaux puis ses solos étaient à mon sens plus convaincants que ceux de Foda (même s'ils étaient très bons évidemment). Grand chanceux que je suis j'ai appris à adorer le groupe au moment où il s'est séparé par conséquent je n'ai pas dû attendre longtemps pour voir Lujipeka s'illustrer en solo. En 2020 durant cette magnifique période qu'était le confinement il a  sorti deux EP, premièrement P.E.K.A et ensuite L.U.J.I, qui n'en forment au final qu'un seul et qui si on en croit les moyennes ont eu beaucoup de mal à convaincre la population. Pour ma part c'était évidemment moins bien que Columbine mais c'était un début sympathique, j'écoute encore aujourd'hui certains sons comme Contaminé et je me suis surpris à retourner ma veste pour des morceaux comme Le Soleil. Bref toute cette longue introduction pour dire que son premier album faisait l'objet d'une grande attente d'autant plus que les singles dévoilés en amont étaient encourageants. Ainsi dans la matinée du 5 novembre je lance l'écoute et ma première réaction est qu'une fois le fait que les sommets de Columbine ne seront pas atteints est accepté, le résultat se montre satisfaisant et les réécoutes seront des moments de plaisir. 


Sur un plan musical, la recette Columbine reste ici intacte, on commence à bien la connaître et c'est évidemment ce que j'attendais. Après un premier album qui partait dans tous les sens entre instrus bordéliques et punchlines pornographiques telles que "Je la recrute pour un blowjob d'été", le groupe avait su prodigieusement évoluer avec Enfants Terribles sorti en 2017 qui dessinait la direction artistique de Columbine, enfin des membres, d'aujourd'hui à savoir des morceaux chantés reposants abordant les joies et les moments difficiles de l'adolescence et du début de la vie d'adulte entre amour et questionnements de soi. Mais tout ça on y reviendra plus tard pour le moment je me concentre sur la forme bien que je n'y connaisse pas grand-chose. Ici on ne parlera pas de drums, de BPM, de mix, etc mais seulement de ressenti et celui-ci est très bon. Les sonorités sont assez variées et la voix de Luji est toujours aussi agréable. Il propose des passages plus rappés sur les couplets de 0.6 ou Éclipse, du presque parlé sur l'interlude et les couplets de L'autre univers et logiquement des passages chantés toujours aussi prenants comme le refrain de Pas à ma place, Juno ou Plus jamais ça. Les instrus sont également variées, la guitare sur l'Interlude est un délice, le mélange de piano violon (il me semble) sur Plus Jamais ça accompagne parfaitement la voix de Luji et sa montée en puissance lors du refrain, les "ouh ouh ouh" formés par je ne sais quel instrument sur l'instru d'Eclipse donnent un côté épique et voilà je vais m'arrêter ici avant que mon incompétence en matière d'instrument(ale)s ne se voie pas trop, retenez juste que je les ai aimées. 


Lujipeka n'a certes pas une plume incroyable, je suis même d'accord avec une remarque que j'avais vue sur Twitter disant que c'était parfois enfantin mais justement ce type d'écriture va bien avec les thèmes abordés par Columbine et par Lujipeka. Il me semble important de se focaliser sur les thématiques que Lujipeka chérit, tout d'abord car elles s'affranchissent des habituels trafics de drogue ou drive by et parce qu'il est plus facile de s'identifier à elles quand on vient d'un milieu isolé de la France. L'album commence avec un morceau qu'on connaissait depuis cet été: Poupée Russe. Derrière son aspect de chanson d'amour niaise, Lujipeka nous raconte en fait sa relation avec une femme malade. La poupée russe est ici une métaphore faisant office d'euphémisme pour désigner la maladie, une poupée russe c'est une poupée avec plein  d'autres poupées dedans vous le savez sûrement et ici ces autres poupées sont la maladie, le "monstre caché dans son corps". L'euphémisme on le retrouve plus tard à la fin du 1er couplet avec "me reposer à l'hôpital" le second couplet avec la phrase "Elle dit que les médecins sont des menteurs / Qu'on le devine à la façon dont ils dessinent les cœurs", si son cœur est mal dessiné c'est sûrement à cause de la maladie... Chose intéressante ces litotes s'opposent au champ lexical des choses négatives (très précis ça) "venin", "sang", "monstre", "enfer", je trouve que ça marque bien le fait que malgré l'horreur que vit sa petite amie, il reste avec elle et la soutient. De plus l'artiste utilise un autre champ lexical, celui de la mer "mer", "plage", "vague", ça donne un côté poétique plus prononcé. Bref dès le premier morceau on retrouve ce qu'on aime chez Columbine: de l'amour, du chant mais également de la tristesse, belle entrée en matière donc (d'autant plus que le morceau était attendu par beaucoup de personnes). 


Le deuxième morceau avait été également dévoilé avant la sortie de l'album et Lujipeka a décidé de changer complètement de sujet. Pas à ma place comme son titre l'indique parle du chanteur qui ne se sent pas à sa place... "Demain ressemblait à hier et j'me suis dit c’est plus la peine / J'veux pas tout miser sur une vie qu'j'aurais peut-être à 40 ans" le morceau commence par une antithèse pour dire que l'artiste en a marre de sa vie qu'il juge monotone, d'ailleurs cette phrase peut faire écho à celle de Rémi "Je veux une vie d'adulte j'ai pas eu d'adolescence" (prononcée par Foda), en bref c'est pas un thème nouveau chez Columbine. Après les phrases qui signifient qu'il ne se sent pas à sa place, pas comme les autres s'enchaînent et le premier couplet se termine avec "pouls" et "BPM de leur cœur" qui passe pour une opposition alors que c'est presque des synonymes, c'est malin je trouve. L'écriture est assez simple et directe, il se sert surtout de figures de répétition pour accentuer son propos comme dans le refrain où il utilise 3 expressions pour dire la même chose ou dans le 3ème couplet composé d'épiphores le long des trois premiers vers. Il inclut également quelques phrases en guise d'hymne à la liberté "Te crois pas libre parce qu’il y a assez de place pour courir dans ta cage". Ici le chant est encore plus appuyé avec le refrain, on est dans du pur Columbine que ce soit dans le thème abordé ou la forme. 


Le morceau d'après est enfin un son inconnu et c'est également un son pour lequel je n'ai pas grand-chose à dire. C'est tout simplement Lujipeka qui croise une fille à une soirée et qui part à la recherche de son 0.6 parce qu'il l'avait déjà vue dehors mais il y avait toutes ses copines... comme il le dit si bien il a "faiblesse lyricale" pour ce morceau mais je le trouve quand même très cool. 


Le quatrième track est le son qui aurait dû être le titre éponyme de son troisième EP de 2020, finalement il se retrouve ici. Et encore une fois le titre est assez explicite, Lujipeka indique ici que sa vie est un bordel...Et pour accentuer ça il y a un très beau vers qui mélange antithèse et oxymore "Un très mauvais ange pour un parfait démon". À part ça pour rentrer dans la critique je trouve qu'une instru plus bordélique à la Clubbing for Columbine ainsi qu'une écriture qui part dans tous les sens auraient été plus judicieuses pour traduire cette idée de bordel, Luji n'est pas allé assez loin et c'est dommage, ceci étant je trouve le morceau tout de même très sympathique et évidemment on apprécie la référence au vers de Fireworks "Dans mon album solo je ferai un son pour ma mère". 


L'autre univers selon la première annotation de Genius aborde la timidité mais à mon sens le rappeur décrit ici l'état d'ivresse, la consommation d'alcool et de drogues. Il est vrai que les deux premières lignes peuvent nous amener sur la première piste mais si la personne est bizarre c'est sûrement parce qu'elle a trop bu. Je remarque un seul procédé d'écriture intéressant dans ce track, le changement de pronom entre les couplets et les refrains. "Tu" devient "je", Lujipeka s'inclut dans son récit et cette opposition des pronoms peut signifier que le Lujipeka normal ne reconnaît pas le Lujipeka ivre. Et sur la forme, les couplets presque parlés s'opposant aux refrains chantés vont aussi dans ce sens d'une sorte de dédoublement de la personnalité. Ce qui me fait donc dire que le cinquième titre n'est pas sur la timidité, c'est le "je" qui désigne Lujipeka, et à mon humble avis il y a plus de chances pour qu'un rappeur soit ivre. 


Hollywood est un morceau assez vide finalement, je l'aime bien mais l'artiste n'était pas très inspiré pour l'écriture. Je retiens peut-être la métaphore "Mais comme je vis dans un film, dans une réalité parallèle / J'vais aller jusqu'au générique / Juste pour voir la dernière scène" mais honnêtement ce n'est pas très original comme image. 


La septième chanson de l'album, Plus jamais ça, est une de mes préférées. Néanmoins un vers dans le refrain prend un double sens qui ne me plaît pas trop "On n'est plus des enfants", ce n'était peut-être pas le but mais évidemment j'y vois une référence à Enfants Terribles et ça montre que Lujipeka veut s'affranchir de Columbine... même si la phrase qui suit "mais on pleure toujours autant" peut vouloir dire que l'ADN du groupe est encore là et qu'il n'a pas oublié. Bref on fait abstraction de ça pour éviter de nous noyer dans nos larmes (et d'y tremper nos cookies) et on se concentre sur l'essentiel du morceau: la rupture ou du moins les difficultés amoureuses. Lujipeka commence par "Dans les silences et les soupirs" et plante rapidement le décor: son couple va mal, l'absence de la communication et les soupirs qui font office de métonymie pour désigner la lassitude sont des choses que la plupart des gens voudraient éviter dans leurs relations. On saute la métaphore "J'ai fermé la porte sur nos souvenirs" parce que ça me rappelle mes cours de philosophie sur Freud, Nietzsche et l'inconscient pour arriver directement à une punchline que je trouve plutôt belle: "Si chaque dispute n'était qu'une goutte / C'est qu'j'me suis noyé dans un océan de doutes". On observe ici une métaphore qui se file dans le vers suivant, une gradation entre "goutte" et "océan" puis l'ingénieuse mise en parallèle de "dispute" et "doutes" qui ont la même étymologie. Puis le refrain intense arrive, on en a déjà un peu parlé mais je tiens à dire que je trouve le vers "J'ai le mal de mer sous la pluie" tristement beau et ensuite j'ai mille et une façons de surinterpréter "Plus de batterie" (référence à Laylow et son Trinity, double sens avec l'instrument qui signifierait qu'il n'y a plus de rythme dans le couple ou annonce d'un feat avec Damso) mais on va passer au second couplet. Lujipeka se souvient du bon temps avec sa petite amie sauf que tout est perdu. D'ailleurs l'utilisation de l'imparfait et du passé composé indiquent bien que la relation est terminée. "On s'croirait dans un mauvais film" fait directement référence au morceau précédent, si toutes les histoires d'amour ne finissent bien qu'à Hollywood s'ils sont dans un mauvais film... Puis la métaphore qui suit "Le problème venait pas de l'arbre mais des racines" est très triste, cela signifie que leur problème était présent dès le début, de plus le passage d'arbre à racine indique une chute. Il enchaîne avec la litote "C'est pas étanche dans ma rétine" qui est également une synecdoque pour dire qu'il pleure, c'est beau. En résumé c'est ce genre d'écriture dont Hollywood avait besoin. 


On va rapidement passer sur l'interlude en raison de sa courte durée mais dès le titre on retrouve l'aspect enfantin évoqué plus haut. Un morceau qui donne l'impression que Lujipeka parle de son enfance, notamment vers la fin du morceau avec je pense une référence à la rencontre avec Columbine: "Un enfant d'la tempête énergisé au désespoir / Dans l'sens inverse de la fête on s'est croisés dans un couloir" le premier vers désigne le jeune Lujipeka et sa vie bordélique, pleine de désespoir dont il se sert (il réutilise cette idée dans Éclipse avec "Mais putain c'est beau tout ce qu'on a fait de nos échecs scolaires") et la deuxième la rencontre avec Foda C, Lorenzo, Chaman & Sully dans les couloirs du lycée alors qu'ils fuient la fête car déprimés dans le club à peine rentrés dedans. Le gros défaut de ce morceau en fait est sa durée de 1min28 dont la moitié est constituée d'instrumentale acoustique. 


Le morceau qui suit sort de la mélancolie habituelle de Columbine sur une prod électrique de Cerrone qui en 2020 avait offert à Laylow un morceau de dingue. Dans ce titre, Lujipeka nous invite à faire la fête, à vivre, à sortir avec des gens, il est bien loin de l'isolement décrite dans les morceaux de Columbine. Un vrai morceau d'espoir comme on a rarement vu avec le groupe et avec Lujipeka en solo, un morceau qui invite à incarner la fureur de vivre et de temps en temps ça fait du bien, surtout que c'est original dans la discographie de l'artiste. 


Plusieurs écoutes ont été nécessaires pour que j'accroche à Putain d'époque, le premier extrait de l'album. Le rappeur aux longs cheveux blonds, les mêmes que Kurt Cobain se la joue ici Orelsan dans un morceau qui dénonce la société actuelle de manière assez banale. Là encore c'est vrai que c'est assez originale venant de Lujipeka, il s'essaie ici à un rap plus conscient mais malgré tout je n'avais pas été enthousiasmé à la première écoute et à celles qui ont suivi jusqu'à la sortie de l'album. Désormais mon avis est plus positif et contrairement à ce que je pensais, je ne passe pas le son aux réécoutes de l'album. 


À ce stade de l'album ça semble devenir une coutume mais Lujipeka nous propose une fois de plus quelque chose d'original avec Juno, un storytelling sur l'avortement d'une jeune fille, et encore une fois il utilise le "je" donc est-ce autobiographique ? Surtout que les auditeurs ont encore en tête "Sa copine qui avorte, il sait pas s'il regrette" de Pierre Feuille Papier Ciseaux donc la question est je pense légitime. Mais outre cette question, le morceau est probablement dans mon top 5 du projet, s'il ne l'est pas il est sixième. Le chant dans ce morceau fait un peu berceuse et pour une histoire qui traite de l'avortement d'une adolescente c'est parfait. "Elle est en retard sur ses trucs" une phrase dans la droite lignée de l'écriture enfantine pour décrire deux personnes un peu naïves qui ne savent pas ce qu'elles font. La métaphore/analogie "Pas un nuage dans la pièce, je n'me couvre pas" est également dans l'idée de personnages naïfs, qui ne voient pas le danger, parce qu'on le sait très bien, le calme vient avant la tempête. Ensuite le vers "Mais je n'sais pas trop c'qui nous attend au bout du tunnel" bénéficie d'un double sens: la pénétration et la sortie du bébé, de plus il dit "je ne sais pas" naïveté tout ça tu connais... Il reprend le double sens dans le refrain "Je n'ai rien dans le ventre" (j'avoue que je l'ai remarqué en regardant l'annotation Genius) puis utilise encore une figure d'adoucissement, l'euphémisme "sirop qui fait les enfants" pour désigner le liquide séminal, c'est mignon, c'est sûr que ça change de Kaaris qui te refait la déco avec une faciale. Dans le second couplet il s'adresse au fils qu'il n'aura jamais tout en faisant comprendre que c'était bel et bien une erreur de l'avoir fait avec Juno qui n'était pas la personne avec qui Lujipeka (je commence à être de plus en plus persuadé que c'est autobiographique) imaginait avoir des enfants. Sur la forme rien de forcément notable, tout comme dans le troisième couplet qui évoque la relation entre Luji et sa copine après la nouvelle, il dit les choses clairement et réussit dans l'émotion je trouve par exemple "J'sais toujours pas trop quoi dire, donc j'lui ai dit "je t'aime" " déjà c'est la troisième fois qu'il répète qu'il ne sait pas trop, un effet de panique se traduit ici et le" je t'aime" apparaît comme une antiphrase presque, l'aime-t-il vraiment ? Pas sûr. 


J'ai beaucoup moins de choses à dire sur le morceau suivant, Le seum, il est cool mais pour ma part je n'y trouve pas grand intérêt ou grand-chose à analyser. 


On s'attaque maintenant à un autres gros morceau de l'album, un de mes favoris, 2 âmes qui une fois de plus s'inscrit dans une certaine originalité et qui pousse le storytelling un peu plus loin puisqu'ici le doute n'est pas permis, ce n'est pas autobiographique. L'artiste s'attaque ici a un sujet d'actualité, à savoir les violences conjugales et le résultat est plus que convaincant. Tout d'abord "Depuis tant d'années" est souvent répété, c'est une histoire qui dure depuis trop de temps maintenant, la figure de répétition indique que la vie de Léa est régie par ça. Les répétitions seront donc très présentes dans ce morceau on observe notamment une anadiplose (c'en est pas totalement une mais ça y ressemble): "Je m'appelle Léa, j'aime Nicolas / Mais Nicolas est en colère / En colère, Nicolas, il boit / Et quand il boit, Nico s'énerve" quatre vers et quatre fois le prénom Nicolas et son diminutif Nico apparaissent ce qui montre bien que celui-ci a le total contrôle de la vie de Léa à la manière d'un Vincent Cassel dans Mon Roi de Maïwenn. Les phrases presque horribles s'enchaînent "J'y vois presque un brin de douceur car moi, je ne sens plus la douleur" Lujipeka utilise une paronomase pour dire que Léa a tellement l'habitude de recevoir des coups qu'elle ne ressent plus la douleur. "Si Nico m'a volé mon corps" ici c'est l'absurdité qui est utilisée car il est impossible de voler un corps mais malheureusement la situation vécue par Léa y est bel et bien semblable. Elle en arrive à dire "J'ai cru que cette fois serait la dernière" déjà ça fait réagir mais Luji renchérit avec "Dans une lueur d'espoir", c'est dur je trouve. Il utilise une fois de plus un euphémisme "Je tombe dans l'escalier tous les soirs", assez explicite je pense. Et arrive la chute "L'enfant est seul, dans la baignoire"... Pas de mot sur le refrain hormis le fait que je le trouve assez dansant, ça entre en totale opposition avec le thème abordé (#analyse) et traduit bien l'idée que cette femme cache ses marques bleues sous les manches longues, comme la plupart dans cette situation. 


Le titre suivant constituait le deuxième extrait de l'album et on va rapidement passer dessus car il n'est pas très intéressant... C'est bien évidemment une petite boutade parce qu'en réalité Éclipse est peut-être le meilleur morceau de l'album. Un morceau totalement introspectif dans lequel Lujipeka n'hésite pas à se livrer sur ce que la vie d'artiste lui a apporté. Tout d'abord le titre Éclipse, qui renvoie au dernier vers "c'est déjà la fin de mon éclipse solaire" peut signifier que la vie d'artiste l'a caché, ou alors c'est la déprime qui l'a effacé. Dans ce morceau Lujipeka fait un bilan de sa vie, d'où l'utilisation de l'imparfait dans le premier vers. Un bilan assez négatif au final car malgré ce qu'a pu lui apporter la vie d'artiste, elle l'affecte également dans le mauvais sens. Cette vie l'enferme "Quand vient la fin d’semaine, j’regrette de plus trop voir mes potes", "Et quand elle gueule pour que j’vienne me coucher, moi, j’écris le plus beau des couplets" ce vers me fait penser à Yeux disent de Lomepal "Mais ce jour-là je ne l'ai pas écoutée j'avais des rimes dans la tête", "Derrière les portes insonorisées, on n'entend pas les appels à l’aide" ici on remarque une périphrase pour désigner le studio et dans le studio personne ne l'entenda crier, "J’vois que mon reflet quand je regarde par la fenêtre" il ne voit plus le monde qui l'entoure. Il critique un peu l'industrie "T’aurais voulu être un artiste dissident mais c’est les réseaux qui choisissent / Confondons pas les fans avec les statistiques, les maths et la musique / Que ça d’vienne pas qu’une autre façon d’taffer à l'usine / En-d’ssous du code barre d’un disque, il manque la date où il périme" ce dernier vers critique peut-être l'hyper productivité demandée par les labels qui conduit à l'oubli par la population du projet précédent. C'est également un milieu qui n'est pas comme il l'imaginait, plein d'illusions "Laissez-moi vivre la vie que les gens pensent qu'on mène", "Je suis pas le petit prince juste un grand débile" ici l'antithèse petit/grand accentue l'idée d'illusion. Tout ça mène à une déprime: "L'autotune était triste toute l'année" cette métonymie signifie que lui-même est triste "Mais ça n'a fait que me renfermer sur moi-même", "J’fais qu’en fonction des peurs que j’m’invente", "J’ai pas perdu la flamme mais on m’a volé mon briquet" cette belle métaphore signifie pour moi que la passion (la flamme) est toujours là mais la motivation (le briquet) est de moins en moins là à cause de ce qui l'entoure. Ainsi viennent les remises en question, la peur que ça finisse "Tu sais, mon feu va s’éteindre au petit matin" qui répond aux vers cités précédemment, "Finalement on est que des artistes ratés", "Faites comme si j’étais pas là, moi, je suis que d’passage", "Sur la feuille je n'ai plus rien à gommer". La nostalgie s'installe aussi quand il parle des nouveaux acteurs mauvais, de ses souvenirs dans sa ville natale, de ce qu'il regardait durant son enfance, Dragon Ball Z et ce qui l'occupait, les jeux vidéos "Allons faire descendre nos barres de vie" . Mais malgré tout ça, la vie d'artiste l'a aidé au moment où il n'y avait plus aucun espoir et donc il mentionne logiquement Columbine "Tu te rappelles l'époque où on chantait Enfants Terribles avec mes potes ?". C'est une voie qui l'a fait évoluer "j'ai commencé à capter un peu plus qui j'étais" quand il était à la période de la recherche d'identité, l'adolescence, il voulait carrément se suicider "Moi à la base je suis un loser à 14 ans je voulais mourir" (Virgin Suicide), "Quand tout ça a commencé, j’me suis dit qu’la vie allait enfin débuter" il utilise 2 synonymes pour illustrer que sa vie est liée à sa carrière musicale, "J’veux plus être dans la moyenne j’ai déjà donné" il a appris à accepter ses différences. Et donc il rend hommage à sa discographie un peu: "Faire un album c'est résumer sa vie en 3 ou 4 grands thèmes" c'est ce qu'il nous a fait avec Montagnes Russes qui a pour thèmes principaux: l'adolescence et le passage à l'âge adulte, l'amour et la célébrité, "Qu'est-ce que ça veut dire déjà quand elle a plus ses règles ?" fait référence à Juno évidemment et à la fameuse ligne de Pierre Feuille Papier Ciseaux, "Je sais que gérer mon Insta comment tu veux que je sois stable" fait référence à son mode de vie bordélique. Je ne savais pas trop dans quelle catégorie mettre ces passages, je pense que ça serait sur la vie selon Luji: "Faut qu’j’évolue dans l’bon sens pour ça j’me donnerai dix ans tous les dix ans / On sait plus quoi inventer pour s’sentir vivant", "J’voudrais la paix mais dans ma trachée, j’n’ai qu’haine et colère" on a une antithèse "paix" "haine" qui traduit les deux aspects de la vie d'artiste ainsi qu'une métonymie "trachée" pour dire qu'il est tout le temps en colère, le regard noir et le cœur serré. Le morceau bénéficie par ailleurs du bonus référence à Marvel avec "me demande pas si je vois je suis pas Daredevil" voilà ça fait plaisir. Enfin arrivé au bout de l'analyse de ce morceau je ne se sais pas pourquoi mais ça m'a pris énormément de temps alors qu'il peut être résumé en un seul oxymore, le plus connu: "obscure clarté". Mais il en valait la peine, c'est vraiment un super son. 


Les deux derniers titres font malheureusement partie de ceux que j'aime le moins, c'est dommage de ne pas avoir d'outro digne de ce nom, à mon avis l'album aurait gagné à avoir Éclipse en tant qu'outro. Mais bref dans Avant de dormir, Lujipeka utilise l'anaphore "Avant de dormir" pour décrire tous ses questionnements, ses remises en doute tard le soir. C'est intéressant, là encore le morceau fait office de bilan mais en réalité je n'ai pas tant de choses à dire que ça. Le rappeur conclut donc son album avec Oublier, sorte de reprise de Ton invitation de Louise Attaque, qui parle une fois supplémentaire d'amour. La différence ici c'est que Luji ne semble pas souffrir, il provoque limite l'autre personne: "Tout le monde a ses raisons pourtant t'as tort" antithèse mixée avec un syllepse, c'est un peu humoristique ce jeu de mot et ça va bien dans la provocation je trouve. Cette provocation se renforce avec la prétérition "On va pas tirer à la corde", juste un souci avec cette phrase c'est que je ne sais pas si c'est une erreur pour "tirer sur la corde" ou s'il fait référence à la lutte pendant le jeu du tir à la corde mais c'est plus ou moins la même idée. Un morceau plutôt cool comme tous les autres mais pour une outro ce n'est clairement pas assez marquant même si avec cette critique je me rends compte que c'est mieux écrit que je ne le pensais, juste je ne vois pas l'intérêt de ce genre de morceau dans l'album et encore plus à la fin. 


En conclusion, Lujipeka réussit haut la main l'exercice du premier album. Une ligne directrice toujours claire, des mélodies que joue sa corde sensible plaisantes et des thèmes bien abordés. C'est malheureusement assez inégal sur l'écriture, on passe de morceaux comme Éclipse à des morceaux tels que Le seum et ça fait un peu tache. Cependant force est de constater que le fanboy de Columbine que je suis a été conquis et a pris, et prends encore, beaucoup de plaisir à écouter cet album. Du plaisir oui mais l'amertume s'installe également quand il parle de Columbine car l'enfant terrible a grandi, il est devenu un adulte toujours attaché à son adolescence certes mais qui s'en affranchit de plus en plus. Entre les beaux moments et les coups durs, la gloire et l'asile, le titre Montagnes Russes semble être parfait. Bref, c'est vraiment beau ce qu'il a fait de ses échecs scolaires. 


(le peuple réclame aussi des nouvelles de Foda C) 

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le 25 nov. 2021

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