L’histoire est un éternel recommencement et plus particulièrement celle de la musique.


Les Jesus and Mary Chain ne déroge pas à cette règle. Vers la fin des années 1990 et comme c’était le cas après Darklands, ils reviennent aux fondamentaux en remettant du nerf et des guitares hurlantes dans leur potion magique après avoir volontairement montré leur facette la plus douce à leur public. Autrement dit, c’est presque un retour aux sources. Les frérots retournant également sur le mythique label qui les avait découverts au milieu des années 1980 : Creation.


En poussant le cynisme loin, on peut légitiment se questionner sur l’honnêteté d’une telle tentative, surtout quand on sait qu’elle a déjà été faite auparavant avec le marquant Automatic. Une méfiance qui s’envole à l’écoute de « I Love Rock 'n' Roll ». Une chanson galvanisante au possible et une des plus belles déclarations d’amour qu’on pouvait faire au rock. Le genre de morceau qui fait pardonner le moindre écart, même le mollasson Stoned & Dethroned.
Munki n’est en vérité que ça, une confirmation de l’affection qu’éprouvent les Écossais envers le rock. Que ce soit dans ses moments les plus râpeux ou les plus doux. Ils sont définitivement l’incarnation de la morgue, de la classe et du talent. Écrivant des chansons très accrocheuses sur fond de saturations bruyantes (« Virtually Unreal »).


Si « Perfume » fait tache car trop flemmarde (en dépit de la présence d’Hope Sandoval) et malgré son identité plutôt inspirée, on reste témoin d’un retour en grande forme de ce sacré duo sur les dix premiers titres. « Birthday » est une comptine à la perversité jubilatoire et « Cracking Up » invente les Black Rebel Motorcycle Club à lui tout seul avec ces accords qui résonnent loin autant que dans la vallée de la Mort. Une BO parfaite pour les bikers en tout poil. Quant à « Commercial », en plus d’être une de leurs rares compositions dépassant les 7 minutes, elle est aussi lourde et lobotomisante que du Godflesh ! Ou quand des popeux envoient autant la purée qu’une bande de metal.


Hélas, ce disque s’égare après le sympathique « Supertramp » (aucun rapport avec le groupe de pop rock progressif, on est plus proche de Nine Inch Nails) et a du mal à passionner. Même si quelques instants sont appréciables à l’instar du piano mystérieux de « I Can't Find the Time for Times » et le refrain de « Black », pas spécialement transcendant mais assez catchy. Une perte soudaine d’inspiration s’expliquant avec sa durée excessive (70 minutes). Parce que si Munki n’hérite pas du statut de double album à cause du passage au format CD plusieurs années auparavant, il s’agit en vérité d’un double vinyle. Un souci qu’on ne retrouve pas seulement dans le rock et la pop, mais dans les musiques de toute sorte. Condenser le meilleur de soi-même sur des enregistrements de longue durée demande une auto-discipline frustrante pour les personnes aux égos surdimensionnés.


La fratrie Reid n’est pas ce qu’on appelle des gens modestes et cela leur cause, une fois de plus, du tort avec une sortie qui aurait pu être excellente mais s’avérant simplement bonne.
Heureusement, en bons punks qu’ils sont, ils gardent une surprise pour la fin. Un doigt d’honneur envers le business du rock qui leur aura bien cassé les pieds. "Je déteste le rock & roll et je vais mettre un paquet de larsens pour bien vous le faire comprendre". Une conclusion au poil pour une formation dont la provocation, envers une industrie musicale consensuelle, fut essentielle dans l’évolution de la musique alternative des années 1980 et 1990.
« I Love… » et « I Hate »… Deux faces d’une même pièce pour deux frères se supportant de moins en moins et qui préféreront en rester là. Avec un album éclaté et incitant à ne pas se laisser marcher sur les pieds. Les Jesus and Mary Chain étaient les derniers représentants d’une musique aussi bien capable de séduire beaucoup de monde (donc pop) que d’être dangereuse (alors rock).


S’il ne s’agit pas de leur meilleure œuvre, ils s’en fichaient puisqu’ils n’avaient plus rien à prouver : leur place dans le panthéon des plus grandes rock stars était gagnée d’avance. Munki n’en est que la confirmation.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
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le 11 janv. 2016

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