Le morceau titre commence par des notes de piano qui viennent tout droit des cieux : c'est comme une tragédie grecque, une sentence contenue au bout des doigts sous tension de McCoy Tyner. John Coltrane, lui, ne se fait pas prier, ni attendre : le son et l'âme dégagés de son saxophone soprano sont puissants, humbles et universels. « Le but n'est pas de jouer toutes les notes, mais les notes justes », a dit un jour Miles Davis, citation que s'est ensuite attribué Eric Clapton - l'imposeur. Une fois cette maxime prononcée, il ne faut pas simplement l'appliquer, mais aussi et surtout mettre toute son énergie, toute sa souffrance et toute son âme dans les sons, et enrober le silence des plus belles notes, les plus suggestives ...ce qui est peut-être l'exercice le plus difficile.


N'importe qui pourrait écouter ce morceau (je parle là des plus fins détracteurs du jazz), qui a un aspect résolument pop dans sa structure, avant de partir en improvisation pour oublier de quoi il s'agit. Un morceau de jazz dans la grande tradition du genre s'identifie par une succession de phrases mélodieuses et accrocheuses, se rapprochant du format pop, avant de galoper vers des horizons d'improvisation, de maîtrise et de dextérité. Mais la force qui se dégage de "My Favorite Things" n'appartient ici qu'à Coltrane. Toute sa mélancolie, sa vie, la souffrance issue de la violence raciale propre au contexte des années 50 – 60's doit être contenue, retenue ici, toute en finesse, avant de se libérer vers des horizons plus free et optimistes : quand le grand Coltrane a bouclé la boucle, quand le thème a été dit, c'est le bout du tunnel, c'est le temps du solo, où il fait toujours mieux vivre, c'est le soleil et le moment de libérer les vieux démons, toutes les notes sont permises, tout est beau, tout est bon, d'un amour suprême, lâcher les chiens, les chevaux, la calèche va tomber, le carcan contenant des premières notes du morceau implose, tout est libéré, c'est comme une bouffée d'air exotique, Olé Coltrane, Olé ...c'est comme un cheval sauvage qui ne voudrait jamais être dompté, c'est tout cela un solo de Coltrane.


Il est toujours aussi difficile et fastidieux de décrire un morceau de jazz, bien souvent en majeure partie composé d'un solo jamais envahissant mais déconcertant par ce qu'il renvoie et surtout, existant pour rompre avec cette mélodie pop qu'on voudrait pourtant entendre à l'infini, comme une boucle ininterrompue. "Everytime We Say Goodbye", "Summertime" & "But Not For Me" sont les trois autres perles de l'album : titres qui s'élèvent très haut, et qui gardent l'excellence constante. Mais le pic de la perfection, le sommet divin des émotions contenues, restera éternellement "My Favorite Things". Alors tant pis pour les trois autres morceaux, ils sont beaux, mais je n'en parlerai pas ici. Faites-vous donc votre idée vous-même. Sachez juste que se sont les petits frères du morceau-titre, le plus magnifique, le plus grand, et qu'il mérite à lui seul toute votre attention. Point final.

ErrolGardner
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs albums de jazz, Ma discothèque idéale. et Les meilleurs albums de John Coltrane

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le 11 janv. 2016

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Errol 'Gardner

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