Dure à bouger, cette langue française !
Dès les premières notes à l’orgue Hammond, j’ai plongé dans les années 60, dans la soul, le rythm n’ blues, l’âge d’or de la musique afro-américaine, toute une époque. C’est comme ça l’orgue Hammond, c’est magique. Sauf qu’ici, il y a un problème. Problème posé par la langue qui va avec. Il paraît que la langue de Molière est très dure à faire groover, et c’est…vrai. L’intro : Il y a Longtemps, installe l’ambiance, c’est cool. Deux belles voix, qui s’accordent très bien. Si La Vie Demande Ça, ce morceau par contre me sort par les yeux. J’en suis sevré de ce morceau. Les radios me l’ont tellement matraqué sur la tête, qu’ils ont fini par me dégouter. Pourtant il n’est pas mauvais, mais usé jusqu’à l’os, avec un riff R&B très daté, même si c’est dansant. Pas Le Temps, qui lui aussi est très R&B, avec des claviers lumineux, c’est bon, rien à redire. Belle mélodie, on pourrait même dire moderne, rarement entendue en français, avec une trompette en sourdine, mise à la fin pour épicer le plat. Les voix sont là, chaudes et claires, et sont installées sur un tapis sonore, ça déroule grâce à l’utilisation, (abusive ?) de synthés, machines, au rythme binaire qui tapent assez, mécaniquement. Et patatras. A partir de là, on retombe dans le ron ron de la chanson formatée, à la française.
Un texte, deux voix, et la mélodie qui compte de moins en moins, le groove, encore moins. Une accumulation de sonorités mode, un Trip Hop par ci : Terre De Feu, le séduisant puis redondant Emmène-Moi, par-là, le morceau de remplissage, Les Yeux De Velours. Ça reste dans l’air du temps, mais empêtré dans sa sauce, on ne plane plus. Pas de doute, elle est dure à faire groover cette fameuse langue française. Trop compliquée à danser, sur-descriptive à mourir, littéraire, plein de chichis, académique, une langue qui se regarde parler, et qui se lit plus qu’elle ne se chante. « You think too much ! » dirait Ray Charles. Malgré le talent des filles, on sent des paroles « collées » sur un rythme qui n’est pas le leur. Ça marche au début parce que les Native, on sent qu’elles ont baignées dans la culture soul, elles ont dû écouter que ça, elles connaissent leurs classiques par cœur, (Tiens une reprise de Prince !). Et elles en ont retenues quelque chose. Elles sont assez talentueuses pour faire illusion, mais pas sur tout un album.
Et la magie n’est pas morte, j’allais oublier le meilleur. Tu Planes sur Moi, une perle, un piano-voix, slow magique, au développement sans faille, qu’on attend immanquablement le chœur gospel derrière. Moment de grâce, et de bonheur. Le reste est beaucoup trop formaté pour faire un tel effet. C’est à la mode, c’est tout. J’imagine le même album, avec les même machines, avec une programmation tout aussi d’époque, mais qui survole vraiment l’air du temps, (comme le ferait un certain serge G.), plutôt qu’y adhérer froidement, sans se poser de question. Et toujours chanté en français, bien sûr.
Et puis, ce type de son très home studio, avec des rythmes à la mode, vieillit vite. Album des années 90. Ils ont tous le même syndrome. Ils vieillissent souvent vite et mal. Un morceau comme, Quand C’est Pour Moi, ne sert à rien. La New jack, c’est un rythme très artificiel, même dans un album américain, j’ai toujours trouvé ça nul, alors chanté en français… Bon, dans l’ensemble l’album se laisse écouter. C’est original, c’est chanson française, c’est du R&B à la française. C’est le truc que tout le monde attendait à l’époque, en France. L’essai est concluant car le succès est au rendez-vous, artistiquement je trouve ça pas mal, mais ça aurait pu être plus. Encore plus. Et puis, qu’est-ce- qu’elle est dure à bouger cette langue française !