Nocturne
6.5
Nocturne

Album de Girls in Hawaii (2017)

Nous sommes en 2017 et les Girls in Hawaii n'ont plus rien à prouver : après avoir été la révélation en 2003 avec From Here to There, ils ont su se relever des obstacles (euphémisme) qui leur ont été imposés sur Everest. Il ne serait pas exagéré de dire que les Girls font partie des plus importants groupes de rock belges, aux côtés de dEUS et Ghinzu. Cela fait 15 ans depuis leur premier album, et ils sont à deux doigts de finir comme un groupe dinosaure. D'ailleurs, il semblerait qu'ils ont considéré Everest comme leur chant du cygne : la version Deluxe contenait des morceaux de leur premier EP tel Fireworks, le single Grasshopper qui aurait dû figurer sur Plan Your Escape, la première version de Wars très différente de celle de l'album, des reprises... une sorte de compil rétrospective.


C'est vrai, cela fait longtemps que le rock alternatif n'est plus au top des ventes, remplacé par le rap et l'électro. Et c'est d'ailleurs vers cette dernière tendance que va lentement se glisser le groupe avec leur dernier opus, Nocturne.


Entendons-nous, l'usage de sonorités électroniques n'est pas nouveau au groupe. Les synthés sont présent depuis le premier album et déjà en 2005 ils utilisaient la boite à rythme dans ce liveDenis Wilemans, le batteur, s'était cassé un bras après un accident (décidément). Si la boite à rythme sur Bees & Butterflies c'était pas terrible, attendons de voir ce que ça donne sur une musique plus récente, et adepte de ce genre de son. Et surtout Everest faisait déjà la part belle aux joujoux synthétiques (Mallory's Heights, Rorschach*, Wars pour ne citer qu'eux)


D'abord, après un Everest pesant (mais c'est pour ça que c'était bien), on est heureux de voir que les Girls in Hawaii ont repris goût à une certaine insouciance, comme on peut le voir dans le premier single diffusé Guinea Pig : un petit morceau délicat, comme au bon vieux temps. Enfin, le son a quand même considérablement évolué, les guitares sont biens habillées de diverses sonorités électroniques (boîte à rythme, petit synthé...). C'est tout ce qui fait la beauté de Nocturne : l'electro n'est pas une excuse pour faire semblant de s'adapter à la mode actuelle, mais une affinité vers laquelle tend le groupe. Il n'y est pas question de réfuter le folk/rock dans lesquels les Girls ont baigné pendant 15 ans. S'il fallait une unique preuve, ce serait Cyclo dont le chant rappelle la voix lyrique et torturée de Thom Yorke, et les arpèges de guitares qui finissent de compléter le crew Radiohead.


Mais là où Nocturne séduit, c'est dans sa synthèse de ces différentes facettes, tout en apportant une évolution. Comme déjà dit, il y a l'aspect folk incousciant de From Here to There dans Guinea Pig, This Light, Cyclo. Si Indifference est déjà bien plus électro, elle se confond avec les pistes précédentes. À cela s'ajoute aussi Overrated, qui n'est pas sans rappeler les morceaux énergiques "rock d'ado" de la première heure. Et Walk, la piste la plus électrorock dansant du groupe. Mais notons aussi le caractère mélancolique (pour ne pas dire dépressif) d'Everest, retranscrit dans ce qui sont clairement les chef d’œuvres de l'album : Blue Shape et Willowe Grove.


Blue Shape : probablement un des morceaux les plus puissants des Girls In Hawaii, qui suit le même schéma que Mallory's Heights (sûrement mon morceau préféré du groupe). Un long crescendo intense, mais là où Mallory's Heights choisissait un registre entraînant, Blue Shape file plutôt dans une lourdeur mélancolique. D'abord, une première partie relativement simple : une ballade piano, chantée. Et puis, un riff minimaliste, une rythmique complexe, qui se répètent, se répètent, qui s'enchevêtrent, pour former une boucle acharnée... Heureusement que Walk vient détendre l'atmosphère juste après.


La dernière partie de Nocturne est sûrement la plus intéressante, puisque c'est aussi la plus éloignée que ce que le groupe a pu faire. D'abord Monkey et sa structure complexe, fait définitivement la part belle à l'électro qui domine ce morceau bien plus que les autres, notamment au niveau des basses (équipez-vous de bonnes enceintes, sinon vous ne risquez d'entendre qu'une vieille batterie toute seule). Et puis Willow Grove, un autre grand moment de l'album, puisque son refrain puissant et percutant se distingue tout de suite des couplets langoureux. Et ce petit solo de guitare western à la fin qui achève cette rythmique entraînante et mélancolique.


Et puis Up on the Hill, qui conclue l'album. L'intro avec cette rythmique étrange, pleine d'écho, ultra synthétique, prouve encore une fois que les Girls veulent toujours aller plus loin. Et ce couplet d'une lenteur, qui accompagnante du reste des instruments nous offre une nonchalance mélancolique à faire plus que pâlir Balthazar. Il était osé de finir un album là-dessus. et pourtant, c'est l'une des plus belles conclusions qui me soient arrivées d'écouter ; une sorte d'au revoir pas vraiment assumé qui retarde absolument la fin. Dommage que la chanson ne dure pas quelque minute de plus, car là aussi c'est un grand moment de l'album.


Et voilà, les Girls c'est déjà fini, et il va falloir attendre 4 ou 5 ans avant d'avoir des nouvelles. Il m'attriste de voir cet album si mal noté, alors que c'est l'un des plus beaux du groupe. Ils sont tous beaux, certes, mais Nocturne a vraiment quelque chose de spécial. Jamais l'insouciance n'aura été si forte du temps de From Here to There, et jamais le spleen n'aura été aussi puissant du temps d'Everest. L'album est sûrement le moins accesible pour des fans de la première heure, mais allez-y, forcez un peu, je vous jure qu'il vaut le coup ! Nocturne n'est pas parfait (j'ai beaucoup de mal avec Indifference qui me semble ultra répétitive, la faut à son refrain récité 36 fois à la fin, j'ai compté !), mais c'est le mieux construit ; coller des morceaux aux ambiances contraires, c'était osé, mais qu'est-ce que ça coule de source !


Je dis pas que Nocturne est mon préféré des Girls. En vérité, ce sont tous mes préférés, je suis incapable de choisir. Mais chaque album présente une facette différente du groupe, qu'il m'est impossible d'en faire un classement objectif. Encore une preuve que derrière son apparent simplicité, Girls in Hawaii est possiblement l'un des meilleurs groupes rock de la scène franco-belge.

poulemouillée
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs albums belges

Créée

le 26 mai 2020

Critique lue 111 fois

poulemouillée

Écrit par

Critique lue 111 fois

D'autres avis sur Nocturne

Nocturne
elio22
9

Nocturne : Mon coup de coeur d'Octobre

[...] Je ne connaissais pas le groupe avant, mais apparemment Nocturne est une première pour le groupe en terme de composition puisqu’il  insère de l’électro aux pistes qui composent l’album. A...

le 20 oct. 2017

2 j'aime

Nocturne
poulemouillée
8

L'automne

Nous sommes en 2017 et les Girls in Hawaii n'ont plus rien à prouver : après avoir été la révélation en 2003 avec From Here to There, ils ont su se relever des obstacles (euphémisme) qui leur ont été...

le 26 mai 2020

Nocturne
YasujiroRilke
3

Critique de Nocturne par Yasujirô Rilke

C'est-à-dire que... comment à la production peut-on laisser certains choeurs aussi neurasthéniques ? Comment peut-on encore singer des chalalas, mal masqués par des nappes électro vaguement...

le 2 déc. 2017

Du même critique

Stup Forever
poulemouillée
5

Cinquième ère : Il est temps de mourir

Comme un peu tout le monde, je suis surpris par la sortie de cet album auquel personne n'imaginait sa venue. Il faut dire que Stup Virus, sorti il y a déjà 5 ans de ça, était déjà un album un peu...

le 16 sept. 2022

28 j'aime

12

The Lamb Lies Down on Broadway
poulemouillée
10

Voyage au bout de l'enfer

Comment présenter le Genesis des années 1970 ? Simplement, on pourrait dire que Genesis se fait remarquer sur la scène progressive non seulement pour sa musique, au structures complexes mais très...

le 1 sept. 2018

18 j'aime

1

Larks’ Tongues in Aspic
poulemouillée
8

5e Roi Cramoisi : L'imprévisible

Après le succès plutôt mitigé d'Islands, Robert Fripp, le leader du groupe (même s'il n'aime pas être nommé ainsi) décide de jeter tout le monde, y compris Peter Sinfield son plus ancien...

le 26 mars 2017

16 j'aime

2