Pour ce troisième disque, l’artiste Pop québécoise s’est séparée de son frère, qui assurait une grande partie de la production et de l’arrangement de ses deux premiers albums. Si ce changement peut paraître anodin, il s’inscrit dans une véritable évolution en maturité et en confiance : le nouveau projet de Klô Pelgag est en réalité une métamorphose vers une Pop bien plus ambitieuse et maximaliste que ses (déjà très bons) premiers projets. Une Pop plus unique enfin, riche de personnalité et de poésie.


Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, car c’est le nom de ce nouvel album, peut nous inspirer un projet assez sombre au premier abord, de par son nom et sa pochette. Ce n’est pas exactement le cas : tout comme l’île dont est tiré le nom de l’album, il se trouve en réalité être une place chaleureuse, un lieu où l’on se cale dans le fauteuil avec son chocolat chaud et son plaid, et où l’on est bien, mais également un endroit isolé, et qui est bien plus fragile qu’il n’en a l’air. Les deux premiers morceaux de l’album jouent par ailleurs sur cette thématique de ténèbres et de lumière se cachant au sein de l’autre. En effet, si l’introduction Notre-Dame-des-Sept-Douleurs se trouve être une courte pièce d’Ambient assez crépusculaire et à l’atmosphère plutôt pesante et mélancolique, elle se termine sur l’ouverture de Rémora, chanson bien plus groovesque et lumineuse…en apparence du moins. Car si musicalement il s’agit d’un morceau Progressive Pop assez enjoué, on y décèle tout de même une certaine mélancolie et inquiétude. Et pour cause, il s’agit en réalité d’un morceau parlant de relations toxiques via la superbe métaphore du rémora, se fixant sur les poissons plus gros que lui et s’y accrochant coûte que coûte. Tout fait sens à l’explosion finale du morceau, moment absolument glorieux et puissant, qui laisse bouche-bée et nous indique la ligne directrice définitive de l’album à venir : un endroit confortable, certes, mais où les traumatismes sont présents, et où on tente d’y guérir, tant bien que mal. Un lieu chaleureux, mais vulnérable.


La troisième piste, Umami, est une chanson ressemblant un peu plus à ce que Klô faisait sur ses deux premiers albums : un tube Indie Pop aux paroles un peu cryptiques, mais faisant grand sens dans la continuité de l’album. Morceau introspectif donc, entraînant et efficace, qui prend le contre-pied de Rémora dans son final : contrairement à ce dernier, le morceau n’explose pas dans une gerbe libératrice et cathartique, mais s’efface en une partie Ambient quasiment psychédélique contemplative et extrêmement cohérente thématiquement - et surprenamment musicalement également. Le morceau suivant, J’aurai les cheveux longs, est lui encore plus classique : piano-voix avec un arrangement plus orchestral en fond, il brille cependant absolument par son texte et sa poignance émotionnelle. Il est effectivement un manifeste à l’attente et au souhait de réconciliation, diablement efficace et touchant, montrant qu’il est encore possible d’écrire de grandes chansons sur ces bases simples en 2020.


Après ce court passage plus classique, Notre-Dame-des-Sept-Douleurs reprend en nous proposant un nouveau tube original : À l'ombre des cyprès, morceau baroque aux influences Synthpop. Aussi chanté que vocalisé, il dévoile un univers féérique assez cryptique et poétique. Le pseudo-refrain y est irrésistible, tout comme les ponts au piano, et la structure y est bien plus intéressante au fil des écoutes qu’elle ne peut le sembler au tout premier abord. Suivant ce passage lumineux, le morceau retombe une fois de plus dans l’obscurité, avec le dévastant La fonte, morceau déchirant au piano écrit en hommage à son père décédé au début de l’année 2020, empreint de poésie tragique et magnifique. Certaines des plus belles paroles de l’album y sont : “Ma vie est une légende, je n’y ai jamais cru”, “Je t’ai vu dans les nuages, je crois que j’y ai vu ton visage”. Une véritable clé de voûte de l’album.


Le passage suivant est malheureusement le plus faible de l’album. Soleil est en fait un morceau très baroque, aux cuivres extrêmement présents, et plutôt joli, mais malheureusement un peu creux dans son instrumentation et manquant de folie. Il souffre également d’une longueur trop étendue par rapport au nombre réel d’idées présentes dans celui-ci, mais reste malgré tout plutôt agréable à écouter. Für Élise, quant à elle, est une chanson très jolie avec une instrumentation superbe, assez sombre et tragique, et bien écrite, mais manquant malheureusement légèrement de puissance ou peut-être de folie : si ç’aurait pu être un des morceaux majeurs de l’album, elle finit donc comme étant “juste” une très jolie et efficace balade. Mélamine, 9ème piste de l’album revient à ce mélange de lumière et de ténèbres des premiers morceaux de l’album : lumière de par son côté dansant et Synthpop, ténèbres par son texte introspectif tragique évoquant notre difficulté à porter un regard objectif sur nous même et notre monde, et par ses breaks super catchy à base de vocalisations étranges.


Cette ligne Synthpop est maintenue par le morceau suivant, Où vas-tu quand tu dors ?, chanson théâtrale, magistrale et ultra engageante avec son refrain semi-vocalisé unique en son genre, et sa structure progressive mais accrochante. Son bouquet final est une explosion de cuivre et de cordes, qui n’est pas sans rappeler celle de Rémora dans l’idée. Puis vient l’ultime morceau. Chanson remarquable et sensationnelle, à l’atmosphère et à l’émotion folle, un piano-voix une fois de plus, mais accompagné de nombreux bruits de natures et inspirations classiques. Il épitomise la lumière et la ténèbres s’embrassant qu’incarne cet album, le tout jusqu'à un ultime build-up absolument magnifique et éblouissant qui se finit par une série de cordes absolument dantesque. Et puis, rideau. Enfin presque. La véritable fin de l’album se cache dans Notre-Dame-des-Sept-Douleurs II, qui reprend la mélodie de l’introduction de l’album, avec une différence notable : l’utilisation de synthétiseurs, qui montrent ainsi l’émergence de la lumière dans ces ténèbres, et l’espoir dans le noir.


Notre-Dame-des-Sept-Douleurs est probablement un des meilleurs albums Pop de l’année 2020. Tout au long de ses 43 minutes, il nous offre une musique baroque, progressive, originale et au parfait équilibre entre ténèbres et lumière. Une musique dans laquelle la beauté émerge de l’obscurité, des tragédies et des drames de l’humain. On s’y perd dans sa mystique, dans son royaume enchanté mais torturé, on le dévore comme on aurait écouté un conte de fée plus petit.


Klavor
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le 4 avr. 2022

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