En 1976 et 1977, alors que Londres « brûlait » sous les coups de butoir des hordes punks, que faisait donc Neil Young, qui venait d’émerger d’une période d’intense et douloureuse créativité, clôturée en 1975 par l’électrique Zuma ? Eh bien, totalement déconnecté de « l’état du rock » de l’époque, il se repliait dans sa zone de confort : préférant sa guitare acoustique, il retournait, peinard, vers la country music, la folk music, ou, au mieux, le country rock. Chantant plutôt l’amour et la tranquillité d’esprit (à la quelle il aspirait, mais qui lui échappait encore et toujours), il assumait – temporairement, on le sait – de faire de la musique moins épidermique. Le problème étant que, malgré la qualité de ses compositions, Neil n’était jamais content non plus : autour de cette période « en creux », il enregistra une multitude de titres, dans des versions différentes – mais pas toujours tant que ça -, sans jamais trouver réellement une structure d’album lui convenant. D’où ces soit disant « albums perdus », c’est-à-dire pas publiés à l’époque comme prévu, devenus légendaires auprès des fans : des disques constitués en fait d’un nombre pas si élevé que ça de chansons, que le Loner laissa filtrer, peu à peu, dans ses albums suivants. Bref, un vrai chaos pour les collectionneurs…

Un chaos que, contrairement à ce qu’on pensait / espérait au lancement du projet, les fameuses Archives du Loner n’allaient pas organiser, mais au contraire complexifier, au grand dam de ceux – et nous en sommes, avouons-le – qui aspiraient à une meilleure compréhension des « événements » et du processus de créativité de Neil Young : multipliant les publications d’albums, en dehors des Archives, contenant à chaque fois des versions désormais connues, de nouvelles versions, et, rarement, des inédits, Neil Young prouvait surtout que ses propres « archives » étaient littéralement sans fond, mais brouillait aussi complètement la logique de sa discographie, qui devenait tentaculaire à force d’y ajouter des extensions nouvelles.

Et ce n’est pas la parution d’Oceanside Countryside, un album présenté avec une certaine audace comme un « inédit de 1977 » visant à enrichir la série « Analog Original Series » (qui nous semble à nous, nouvelle, mais nous avons dû perdre le fil quelque part) qui va arranger les choses. Car ce « nouvel » opus, enregistré entre mai et décembre 1977, soit la période couverte également par Comes a Time qui sortira, lui, en 1978, ne contient aucun titre inédit, seulement pas mal de versions inédites des 10 chansons qui le composent. Logiquement, comme dans Comes a Time, on parle ici d’un style country / folk plutôt peinard, et les deux albums ont trois titres en commun (a priori, il s’agit des mêmes versions) : Goin’ Back, Human Highway et Field of Opportunity. Pourtant, même si l’on comprend bien que les possesseurs de la discographie originale du Loner, qui se sont en plus saignés aux quatre veines pour se payer les coffrets Archives, hésiteront devant de nouvel achat, Oceanside Countryside est un album remarquable. Un album de plus dont aucun « vrai » fan de Neil n’acceptera de se passer.

Explications : il est construit en deux faces, la première face (Oceanside), offrant des interprétations solo réalisées aux studios Triad en Floride et Indigo à Malibu, alors que la seconde (Countryside, donc) a été enregistrée à Nashville – where else ? – avec le trio Ben Keith (à la guitare steel), Joe Osborn (basse) et Karl T. Himmel (batterie), auquel s’ajoute Rufus Thibodeaux au violon pour la touche « country roots ». Ce qui est beau, magnifique même ici, c’est le sentiment de « naturel », d’authenticité qui se dégage de l’assemblage de ces versions de titres connus, comme si, en effet, naissait de cet amalgame de chansons disséminées jusqu’alors sur tout un tas de disques et de compilations hétéroclites, une cohérence qu’on ne pensait pas y trouver.

Répétons-le, les différences avec les versions déjà connues de certaines chansons sont souvent infimes : on nous explique que Lost in Space, Captain Kennedy et The Old Homestead, tels qu’on les entend sur Hawks & Doves, sont issus d’enregistrements réalisés en 1980, et que, sur Field of Opportunity et Dance Dance Dance, les chœurs sont assurés par Neil Young lui-même, alors que Nicolette Larson y participait sur les versions déjà connues. La belle affaire ! On remarquera surtout que It Might Have Been, titre de jeunesse de Neil (présent dans Archives I, à vérifier !) apparaît ici dans une nouvelle version acoustique, et que Pocahontas est joué de manière sensiblement différente.

Mais le plus important est bien que Oceanside Countryside exsude un sentiment précieux de grâce, de beauté, que l’on ne retrouve ni dans Comes A Time, ni dans Hawks & Doves : si Neil l’avait publié tel quel en 1977, on l’aurait sans doute considéré avec beaucoup plus de respect que celui auquel ont eu droit ces deux albums.

(Critique écrite en 2025)

https://www.benzinemag.net/2025/03/10/neil-young-oceanside-countryside-retour-en-1977/

EricDebarnot
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le 10 mars 2025

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Eric BBYoda

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