P-Town
6.9
P-Town

Album de Jazzy Bazz (2016)

Le bitume c'est son paysage

Bon clairement j'attendais ce P-Town depuis beaucoup trop longtemps, c'était quasiment devenu une arlésienne depuis son annonce juste après la sortie du premier EP en 2012. Entre les deux, Jazzy Bazz a lâché à peu près autant de sons que le parti socialiste a fait passer de lois socialistes, et si l'album de l'Entourage renfermait quelques uns des couplets dont il a le secret, bon voilà quoi, ça reste l'album de l'Entourage (que celui qui l'a écouté plus de 3 fois en entier me fasse signe). Je dois bien dire que dans un premier temps, ce disque a été une déception à cause de son manque de prises de risque, il me faisait limite un peu tiep avec des chansons tiédasses jamais contrebalancées par de vrais moments de bravoure, mais rapidement, après avoir mieux digéré le truc, j'ai presque envie de dire que cette prudence est sa principale force.


Déjà pour une raison toute simple : les quelques pistes où il sort de sa zone de confort sont les moins réussies. Je pense surtout au Trompes de Fallope et son délire gainsbourien complètement pété, et aussi au feat avec Freddie Gibbs, dont l'annonce m'avait foutu une mi-molle comme à peu près tout le monde, mais qui au final me met juste mal à l'aise, obligé à chaque fois de constater que le Bazz se fait cintrer par son camarade américain.


A côté de ça, les meilleures chansons de l'album au contraire jouent sur le terrain où le gars était attendu. Y'a par exemple 3h33 et Adrénaline, portées par une atmosphère qui sent bon l'errance nocturne. On peut aussi citer Le Roseau, où le mec s'occupe d'une prod vaguement iamesque avec la délicatesse d'un Ryan Gosling dans un ascenseur. Une autre dont on a peu parlé et à tort, Visions, approfondit cette écriture à la fois abstraite et intimiste qu'il avait esquissé dans des titres comme Dans ma tête, et montre tout le chemin parcouru depuis 4 ans par une plume devenue plus incisive, entremêlant sans forcer son imagerie mentale avec ses formules percutantes. Le refrain de Bonnie Banane, aussi beau et froid qu'un cornetto, la consacre définitivement comme le chef d’œuvre du disque.


Également, le triptyque de morceaux ayant pour thème la ville en elle-même est une vraie réussite : si séparément elles cassent pas trois pattes, leur rôle de colonne vertébrale de l'album fonctionne à merveille. P-Town, morceau écrit à l'époque de Sur la route du 3.14, est une introduction dessinant un pont parfait entre les deux projets, décrivant un quotidien qui n'a pas bougé d'un poil en plusieurs années. A l'inverse, Fluctuat Nec Mergitur capture la capitale à un instant T aussi unique qu'indescriptible, histoire de clore l'album sur une frappe pleine lulu à la Pedro Miguel. Et au milieu de la tracklist, Le Syndrome est la déclaration à la fois frontale et ambivalente qui résume cette relation quasiment physique que le rappeur entretient avec son environnement. Trois manières d'aborder Paris donc, à la fois différentes et complémentaires.


Enfin, c'est dans la musicalité de l'ensemble que les choix de Jazzy Bazz apportent définitivement quelque chose de fort. L'album compte un grand nombre de beatmakers différents, on aurait donc pu s'attendre à un patchwork de sons partant complètement en couille, écueil récurrent pour un premier album (si jamais tu te souviens de Feu, par exemple). Sauf qu'ici, le mec arrive avec une vraie vision pour son projet, et en ne l'écartant jamais de sa couleur initiale, il arrive au final à réunir une vraie dream team de producteurs sans jamais sacrifier la cohérence globale. Il faut aussi saluer le mixage et le mastering réalisés par Lionel Elsound, homme de l'ombre qui a incontestablement compris les intentions de Jazzy Bazz, et par le légendaire Bob Power qui a dû apporter le petit plus d'expérience nécessaire. Ainsi, l'album trouve le bon équilibre entre une variété indéniable au niveau des instrus et une identité qui lui est propre, identité s’inscrivant dans une longue tradition rapologique tout en restant moderne.


Tout ça pour dire que P-Town porte bien son nom : Jazzy Bazz a choisi de rapper ce qu'il connaît le mieux, de faire ce qu'il sait faire le mieux. Et pour un premier album, est-ce que c'est pas finalement tout ce qu'on lui demande ? 56 minutes de musique trois-quatorzienne pour poser les chroniques d'un amoureux de Paname, de son béton et son macadam.

Yanga
7
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le 5 août 2016

Critique lue 622 fois

8 j'aime

Yanga

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