Et voilà que je retombe par hasard sur ce disque, que je n'avais pas écouté depuis des années, que j'avais fini par oublier. Ce disque d'un groupe qu'il y a 7-8 ans j'aurais cité sans hésiter parmi mes favoris dans le registre metal. Comment et surtout pourquoi en suis-je arrivé là, un tiers de ma courte vie plus tard ? Et que me vaut le plongeon dans le passé que je suis en train d'effectuer désormais ?

A l'époque, je découvrais le metal par moi-même, sur internet, via quelques forums assez laids et archaïques, de vrais capharnaüms où se logeaient de nombreuses pépites pour mes oreilles friandes, ainsi que d'innombrables scories et autres portes résolument closes, voire dangereuses. J'étais certes curieux, mais pas tout à fait prêt à n'importe quelle expérience sonore. J'adulais donc depuis quelques mois des groupes tels que Metallica, Iron Maiden ou encore Black Sabbath, logiques et dignes successeurs dans mon éducation des Led Zeppelin, des Deep Purple, des ACDC et des Queen. Mon père n'aimant guère le metal à quelques étranges exceptions près (Rammstein, Nine Inch Nails, bref des trucs industriels parfois bien froids et bien bourrins, souvent germaniques ou belges) et ma mère fuyant tout ce qui quittait le monde magnifique et délicieusement suranné de la mélodie avant tout (ce qui la conduisait à apprécier Iron Maiden ou Rhapsody, étrange chose tout de même), il fallait bien que mon désir s'assouvisse par lui-même.

Bien sûr, je n'étais pas seul dans ma quête. Des aînés ou des amis de mon âge qui avaient déjà parcouru ce long chemin me conseillaient : untel qui m'avait ouvert la voie à Black Sabbath fut mon initiateur au doom, au death et au black (tout de même !), tel autre, un ami d'enfance violoncelliste aux goûts étonnamment éclectiques, me parlait de ce groupe finlandais qu'il adorait, car exclusivement composé de violoncellistes. Et comme le nom revenait souvent sur internet dès lors que je cherchais à élargir ma culture autour de Metallica, je succombai rapidement à la tentation.

Qu'était-ce donc qu'Apocalyptica, à l'époque ? Il faut bien savoir que cet album a aujourd'hui bientôt vingt ans, qu'au milieu des années 2000 il en avait dix et que le groupe avait déjà évolué alors. Mais le net accusait toujours un beau retard sur le réel, et les gens qui en parlaient n'avait d'ouïe que pour ce premier jet et ses directs successeurs, alors je dois bien concéder que pour moi, Apocalyptica, même en 2005, c'était toujours quatre violoncellistes aux cheveux longs, et rien d'autre. Le concept initial du groupe et de ce disque fondateur, c'est bien de réunir quatre amis violoncellistes et de s'adonner à un exercice stimulant, mais peut-être un peu vain, celui de l'épreuve des limites. Limites de l'instrument, en termes de capacités, de son, de tessiture, de timbre, d'ambitus. Limites aussi de la transposition d'un corpus au matériau varié et variable pour un quatuor de violoncelles électrifiés. Belle ambition, où les talents de compositeurs et d'arrangeurs n'ont d'égal que le talent des musiciens interprètes pour donner vie à ce projet un peu fou. Il faut tout de même préciser que le violoncelle est l'instrument, avec le haut-bois, que l'on estime le plus proche du timbre de la voix humaine.

Ainsi, un violoncelle dans un registre aigu s'occupe de transposer les lignes de chant, deux violoncelles font une base rythmique qui rend tant bien que mal la basse et la batterie, à grand renfort de pizze, de staccato vigoureux et de crissement de crins endoloris. Le dernier lui, fait la mélodie de la guitare lead et quelques soli. Le choix de Metallica pour cet exercice est culotté. Depuis, la transposition a donné naissance à des horreurs (l'infâme Harptallica - je vous laisse deviner) ou à des absurdités (quiconque en possession d'un yukulélé est passible de mon courroux) en tous genres. Mais ici, l'idée comme l'exécution se tiennent. Quelques classiques majoritairement issus de quatre albums des Four Horsemen se succèdent comme pour un étrange best of. Ride the Lightning, Master of Puppets, And Justice For All, Black Album. Soit probablement les quatre disques que j'écoutais à l'époque le plus.

Bien sûr, la transposition et les capacités limitées d'un instrument à quatre cordes frottées ou pincées, quatre fois multiplié, devant l'exigence des compositions métalliques d'origine ne facilitent pas les choses. Exit donc les parties trop complexes, trop aigües, trop rapides. Exit donc, le solo, déjà technique à la guitare, de "Master of Puppets",pour ne citer qu'elle. Bonjour les tempos volontiers ralentis, les chansons légèrement déstructurées ("Harvester of Sorrow", belle réussite avec ses rythmiques et ses riffs alambiqués), et aussi les quelques pains liés à la difficulté de l'exercice, de l'enregistrement, et à la faiblesse des moyens alors à la disposition pour le groupe.

Mais si l'album est plutôt passionnant pour quiconque connaît le matériau d'origine (c'est à dire quand même pas mal de monde), je doute qu'il séduise autant pour les néophytes. La transposition est un exercice de style, qui a du panache certes, mais n'est pas sans une part de vanité, de redondance, de démonstration. C'est la principale limite de ce disque instrumental, qui finit par lasser quelque peu et ne présenter des univers sonores si proches qu'ils en perdent leur couleur, pourtant si belle à l'origine. Par la suite, le groupe publiera un ou deux albums dans la même veine, où des groupes tels que Pantera ou Sepultura rejoindront les Four Horsemen sur la table de dissection. Viendra enfin la célébrité, les shows spectaculaires et un peu idiots, et puis finalement la perte du concept et de l’identité fondatrice : guitares, batterie, et même chant squatteront peu à peu les nobles instruments, achevant de faire d'Apocalyptica la grosse machine metal que le groupe rêvait au fond de devenir un jour. Au risque de perdre en route quelques auditeurs,au fin fond de l'oubli, du désintérêt et de l'ennui. Sad, but true.
Krokodebil
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le 21 déc. 2013

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Krokodebil

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