Eccentric blues for the mind and body.

1967, l'année de tous les dangers. Un excellent milésime hippie, représentatif d'une période où tout était permis musicalement, même si les mods, puristes de blues et de jazz ne juraient malheureusement et logiquement que par des sons résolument traditionnels et rassurants.

Le terrain de la « pop » music dans toute son acception fut complètement défriché durant cette époque faste où l'ouverture d'esprit brillait de milles feux ardents, et où la compétition entre les groupes de rock était inexistante, ou à tout le moins très saine. La plupart des compositeurs s'admiraient mutuellement et abhorraient les trouvailles des uns et des autres, avant que l'ego moderne de la star de rock ne fasse subitement son apparition comme du chiendent. Tout était à faire, tout était possible, de l'incorporation des sitars, tablas et congas dans des chansons pop à la bande passée à l'envers, du fuzz à la pédale wah wah, du trémolo de Quicksilver Messenger Service au second degré des Mothers Of Invention. Des émules, un point c'est tout.

Naïveté, motivation, mélomanie, envie et toxicomanie, un savant mélange « d'états » d'esprits nécessaires à la création d'un son qui pouvait sans fausse modestie être qualifié du difficile superlatif de « nouveau ».

En Californication, le stakhanoviste Don Van Vliet créa un drôle de blues inimitable, extravagant, décalé, au grain rauque, sec, et brut de décoffrage, à l'image des deux premiers morceaux de "Safe AS Milk", « Sure 'Nuff 'N Yes I Do » et « Zig Zag Wanderer », qui sont inoubliables. A la guitare, Ry Cooder en personne, oui mon bon monsieur, encore méconnu à l'époque, qui venait agrémenter de licks de slide inspirés les chansons de ce « captain » sensible franc du colier, possédé par la folie des démons du blues du Mississippi qu'il s'empressait de canaliser dans ce blues psyché spontané, immédiatement accrocheur, au groove irrésistible, loyal, honnête et droit.

Le riff de « Dropout Boogie », braque et gras, accompagné par le chanté-parlé parfaitement synchro du Don, illustrait le manque de sérieux du groupe, idem pour « Yellow Brick Road », un titre décalé en puissance.

Cet authentique capitaine Coeur de Boeuf démontrait que, s'il pouvait hurler au point d'en plier son pied de micro, il pouvait aussi bien assurer comme un chef en « crooner », tel que sur ce « I'm Glad » calme et posé, qui permet de souffler un peu avant d'entendre un nouvel enchaînement excentrique d'accords de guitare bluesy à travers le singulier « Electricity », qui viendra délicieusement chatouiller l'oreille de n'importe quel auditeur, au point que le quidam, surpris d'entendre pareil fantaisie sonore viendra forcément poser la question qui lui brûle les lèvres au « gars-qui-a-mis-le-disque » : « bon sang, mais c'est quoi ça ?! »

« Plastic Factory », à l'harmonica farfelu et déjanté, interroge : pourquoi jouer calmement d'un instrument, l'harmonica en l'occurence, quand on peut être complètement barjot ? « Abba Zabba », énième camembert électrique de l'album, est une perle saugrenue de plus à écouter dans ce qui constitue là à la fois le premier disque et le premier classique du Captain, et, vu que tous les morceaux flamboient d'une bizarrerie unique en leur genre, même pour l'époque, et que je ne sais plus quel qualificatif utiliser pour évoquer la singularité de chacun d'eux, et que par ailleurs il est grand temps de finir cette critique, il ne reste plus, pour le lecteur heureux qui ne connaît pas l'album dont il est question dans ce texte, ...qu'à les découvrir.
ErrolGardner
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le 14 juin 2014

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