Seven Years in Tibet (OST)
7.3
Seven Years in Tibet (OST)

Bande-originale de John Williams (1997)

Depuis le temps que je voulais voir Sept Ans Au Tibet après avoir écouté sa somptueuse Bo, j’en ai enfin eu l’occasion, et je fus assez surpris en constatant que la musique est loin d’être aussi utilisée que ce que j’avais imaginé, étant donné les magnifiques envolées lyriques que nous offre John Williams dans la très belle œuvre qu’il a composé pour le film.


C’est vraiment tout en finesse qu’il choisit d’accompagner les aventures d’Heinrich, soldat autrichien arrivé au Tibet dans un lieu qu’il voulait conquérir, mais auquel il va peu à peu s’intégrer en découvrant une terre plus pacifique que l’Europe ne l’a jamais été.


Par conséquent, on peut relever deux grandes parties dans la Bo, qui se confondent et interfèrent très souvent, mais qui développent les deux grandes thématiques du film : la première est celle du déracinement d’Heinrich, qui paye le prix de son départ et de son engagement militaire, et la seconde est la découverte d’un lieu paisible apparemment loin de tout conflit. La musique dans son ensemble est vraiment utilisée avec beaucoup de parcimonie dans le film, où l’on entend quasiment que les 5 grands thèmes de la Bo, avec une très intéressante variété mélodique et instrumentale selon les leitmotivs.


Le principal est bien sûr celui d’Heinrich, mais là est la grande différence entre la Bo et son utilisation dans le film : John Williams choisit de citer directement le thème dans sa version orchestrale complète aux violons dès sa séparation avec Ingrid « Leaving Ingrid », cet évènement le touchant personnellement en marquant à jamais un tournant dramatique dans sa vie. Mais Annaud estime d’une part qu’il n’a pas encore conscience de cette déchirure, mais surtout qu’il ne s’agit pas du thème de n’importe quel Heinrich : celui qui se purifie peu à peu de ses défauts en découvrant les terres et le peuple tibétain. Là où Williams axe son thème sur la mélancolie et la souffrance que subit Heinrich (avec ses grands intervalles ascendants, débouchant sur une mélodie plus fluide et descendante), le film choisit de ne citer le thème que lorsqu’il entre en phase avec le Tibet (premier leitmotiv à la flûte lorsqu’il aperçoit pour la première fois les chaînes de montagne) : c’est à ce moment que la personnalité d’Heinrich changera progressivement. Cela paraît plus judicieux à première vue, mais Williams avait justement pensé à cela : il veille à ne quasiment jamais citer deux fois le même leitmotiv, en donnant à son thème une grande souplesse. Dans la mesure où ce motif incarne Heinrich à différents moments de son parcours, il propose un nombre impressionnant de variations mélodiques selon le contexte, en plus des variations instrumentales : leitmotiv ascendant voulu plus douloureuse « Leaving Ingrid », en résolution prématuré voulu plus sombre « Heinrich’s Odyssey », descendant plus harmonieux « Regaining A Son », modulant voulu plus poignant « Seven Years In Tibet », arpégé lui aussi plus sensible « Heinrich’s Odyssey », chromatique vraiment torturé « Quiet Moments », …


Le second thème, qui vient immédiatement après le premier dans « Seven Years In Tibet » (qui représente tant dans la structure que dans les thèmes tout ce que peut offrir la Bo et le film, la suite parfaite), y est étroitement lié : en effet, il reprend les caractéristiques du premier thème, à savoir une mélodie conjointe aux violons, ainsi que de grands intervalles avec une mise en suspens fonctionnant comme un appel, mais évoque un aspect légèrement différent de la personnalité d’Heinrich. Si celui que l’on vient de voir représente son épanouissement à venir (grands appels pouvant être interprétés de moult manières), le deuxième n’est cité que trois fois, dont deux dans le générique avec « Seven Years In Tibet » ^^ Il est donc purement musical, et reprend les caractéristiques du premier thème. C'est ce qui le rend très suave et harmonieux, représentant une forme de tendresse naissante chez Heinrich, notamment avec cette alternance très rapide entre une note et sa tierce dans la résolution, qui donne une sensation de fragilité et de sensibilité : sa reprise au célesta dans « Palace Invitation » lui confère une connotation … j’allais dire céleste, mais c’est ça ^^ à la fois lointaine et irréelle, comme une preuve de la renaissance d’Heinrich.


Le choix du système pentatonique pour le thème du Tibet n’est pas dû au hasard : typique des contrées orientales, il apparaît pour la première fois lorsque les deux compagnons Heinrich et Peter atteignent enfin les contrées verdoyantes des plateaux tibétains, qu’ils n’hésiteront pas à qualifier de paradis sur terre les années passants. De plus en plus présent tant pour accompagner le dalaï-lama que le peuple tibétain en général, il est doté d’une légère connotation folklorique au violoncelle, et fait preuve d’une grande noblesse au cor, notamment dans « Peter’s Rescue », où il est contraint de s’effacer peu à peu devant l’intensité dramatique imposé par les cloches lointaines, les timbales sourdes et feutrées, ainsi que les hautbois et violons fatalistes lorsque les troupes chinoises évoluent à l’intérieur des frontières tibétaines. Les tierces mineures inhérentes au mode appellent à l’apaisement et au calme, et s’opposent aux demi-tons plus plaintifs du mode mineur occidental, cette fois propre au thème de la Séparation (« Leaving Ingrid », par exemple), relatif à Heinrich. Lui aussi rattachable à son thème principal, c’est le thème le plus « tragique » de tous, très présent tout au long de son aventure, représentant les tourments qui l’accablent et ne le quittent pas, avec une nouvelle fois beaucoup de violons dans un registre cette fois pleinement élégiaque (les variations seront ici essentiellement instrumentales, avec les hautbois ou les flûtes).


Le cinquième thème est plus secondaire, il s’agit du thème du Risque, tout simplement des violoncelles et altos en octaves parallèles qui ont l’air de reprendre les 4 premières notes du thème d’Heinrich, mais se dirigent en fait vers des horizons plus sombres et incertains, avec une mélodie difficilement saisissable et un rythme évoluant assez brusquement, incarnant un danger qui peut être tant apparent qu’implicite (les troupes britanniques et chinoises, l’ascension périlleuse de la montagne mais surtout la faim et la soif qui faillit les perdre) : « Harrer’s Journey » le montre bien.


L’orchestration est très axée sur les cordes, très souvent mélancoliques avec un aspect tragique subtilement suggéré, jamais ouvertement affiché. Violons (ici en nombre impressionnant), altos ou violoncelles, ce sont vraiment des instruments caméléon s’adaptant aisément à tous les registres, capables d’émouvoir tous à l’unisson, de maintenir la tension ou de suggérer la menace. Les nombreuses octaves parallèles procurent une certaine intensité harmonique à la mélodie : très suave dans les aiguës à l’image des thèmes cités dans « Seven Years In Tibet », elles seront saisissantes dans les graves, avec notamment les variations irrégulières du thème du Risque (passages chromatiques dans « Heinrich’s Odyssey »).


L’abondance instrumentale est soigneusement gérée ; les passages forts aux violons arrivent à point nommé sans jamais créer une impression de tutti, de jaillissements soudains de tous les instruments de l’orchestre : le thème d’Heinrich (tout comme celui de la Séparation) aux moments les plus poignants, ne font intervenir que les cordes (dont la harpe) et quelques bois (flûtes et hautbois).


Cette parcimonie dans l’orchestration est vraiment la grande force de cette Bo, rendant le propos beaucoup plus authentique compte tenu de l’histoire à raconter. Rester dans la zone de la mélancolie sans tomber dans le larmoyant, tel était le défi, ne pas ampouler son sujet. Ici, de nombreux dialogues entre six grands instruments permettront d’exploiter le charme de chacun d’entre eux : le violoncelle, les violons, le cor, la flûte, le piano et la harpe. Tous suffisamment feutrés et variés pour dépeindre tant l’amertume de l’anti-héros que ses découvertes et ses rencontres. « Approaching The Summit » contient un somptueux échange thématique entre deux instruments. La flûte cite le thème d’Heinrich tendrement ; celui-ci contenant de nombreuses pauses, le violoncelle répète alors en léger différé les mêmes motifs, mais cette fois de manière plus élégiaque. Il finit par couvrir la flûte, et poursuit sur une autre phrase en citant cette fois le thème de la Séparation : la mélancolie finit par le rattraper.


Là où le timbre grave et vibrant du violoncelle procure une sensation de plainte, allant jusqu’à explorer divers dissonances et chromatismes, ceux de la flûte et de la harpe sont beaucoup plus doux sans être chaleureux pour autant : elles représentent une évolution très lente et progressive d’Heinrich vers le pacifisme et la raison. Le piano se veut plus polyvalent, à la fois sec et touchant, n’hésitant pas à exploiter lui aussi certains chromatismes inattendus pour nous désorienter, notamment lors de la lecture des deux réponses fatidiques (subtils point de synchro).


Mais surtout, il est donné un joli écho au cor et aux autres instruments à vent, ce qui nous mène à la notion d’immersion. En effet, ce ne sont pas tant les instruments folkloriques qui l’instaure, mais davantage l’apaisement qui se dégage de l’ensemble. Ce fameux écho intensifie leur beauté naturelle en maintenant chaque note dans une douce résonance (elles paraîtront plus profondes, particulièrement pour la flûte), avec cette impression d’espace et d’immensité du cadre. Le cor, avec son timbre naturellement étouffé, est beaucoup exploité dans ce sens, ce que permettrait moins un trombone ou une trompette.


Présents mais discrets dans le film, ils sont tout aussi subtils dans le développement musical (« Palace Invitation », surtout, « Reflections », mais aussi « Ceremonial Chant ») : la harpe, le célesta, les chimes le triangle, également le violoncelle (récurrent tout au long de la Bo), ainsi que plusieurs flûtes traditionnelles feront des apparitions qui n’auront jamais pour but d’être remarquées (les cloches et les percussions type timbales sont probablement le meilleur exemple).


Bon, là je parle de la fin. Pour ceux qui ne veulent pas la connaître en détail, je vais me contenter de vous dire que la musique est géniale =) Voilà ^^ !


« Regaining a Son » est la résolution du film, où il peut enfin partager avec son fils ce qu’il a vécu sept ans au Tibet, et ainsi retrouver les amis qu’il y a laissé. Il s’agit d’une véritable réconciliation entre violons et système tonal d’une part, qui incarnaient alors l’amertume et la mélancolie, et l’apaisement qu’Heinrich espérait tant (jusque-là retranscrit par le système modal) : retrouver son fils est la seconde renaissance d’Heinrich, la musique développe par conséquent une magnifique mélodie ample et éthérée soutenue par une harmonie tonale cette fois plus lumineuse, qui rend le moment très touchant.


D’une subtilité remarquable, Sept Ans Au Tibet est l’un des ((très) nombreux) chefs d’œuvre de John Williams, exploitant son orchestre avec un sens de la mesure remarquable : donner tant de couleurs sans créer une surabondance d’instruments, ni s’éloigner de son propos était un challenge de taille ! Avec un style fluide et doux (à l’image de la harpe à laquelle il a donné beaucoup d’importance, elle ouvre et ferme « Seven Years In Tibet », ce n’est pas rien), il a composé parmi les plus beaux thèmes de sa carrière, et les restitue avec une grande souplesse (il est loin de se limiter aux modulations pour ce qui est des variations) et qui les rendent tout simplement géniales à écouter et à réécouter. Il s’agit de l’une de ses Bo les plus touchantes, mais aussi les moins connues du maestro. Son potentiel est insoupçonné pour quelqu’un n’ayant vu que le film, où elle n'apparaît que pour quelques secondes la plupart du temps, alors qu’elle fait bien au contraire partie des Bo qui peuvent être considérées comme des œuvres à part entières (bien qu’il y en ait des centaines dans ce cas, n‘oublions qu’il ne s’agit que d’une minorité).


J’en déduis donc que Sept Ans Au Tibet formerait un foooormidable ciné-concert (qui ferait connaître la Bo à plus de monde encore, ce serait fantastique). J’ai hâte. Quelqu’un aurait des sous pour le produire ^^ ?

Soundtrax
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le 27 sept. 2015

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