On ira pas jusqu’à dire qu’on ne l’a pas vue venir, mais avec Sometimes I Might Be Introvert (SIMBI) la musicienne et actrice anglaise Simbiatu Ajikawo (aka Little Simz et... Simbi) réalise un véritable tour de force qui sera au-delà de la plupart des attentes. Adoubée assez tôt par ses icones de jeunesse Kendrick Lamar, Lauryn Hill ou encore Dizzie Rascal, Little Simz est néanmoins restée relativement méconnue jusqu’à la sortie de son album Grey Area en 2019, une gemme de hip hop anglais inattendue alors que les rappeuses les plus scrutées étaient naturellement américaines (Jean Grae, Rapsody, Noname…). De cet album m’apparaissaient trois choses : Simbi était peut-être la plus prometteuse de toutes avec un mélange de technique, de timbre de voix et d’accent street londonien qui donne du poids aux lignes hargneuses et du charme aux morceaux plus doux ; elle a la tête sur les épaules ; et enfin, à une époque où beaucoup des champions de la scène indépendante sont dans l’expérimentation voire une sorte de post-modernité, on a là un des rares artiste qui a le talent, le style, l’ego et l’ambition pour espérer concilier reconnaissance critique et populaire.


Cela étant, il y avait de quoi être sceptique en découvrant la liste des morceaux : un peu plus d’une heure de musique et des interludes à la pelle quand la brièveté de Grey Area permettait d’éviter une baisse de qualité ou une lassitude par rapport au rap remarquable mais un peu monotone de Simz. Le bref EP sorti en 2020 n’était pas nécessairement rassurant non plus. C’était sans compter sur son ambition et sa lucidité, et SIMBI est un album fleuve mais constant et éclectique, à mi chemin entre le tour d'honneur insolent et la copie appliquée de l’élève qui recherche encore plus de validation. On peut y voir une suite à son deuxième album Stillness in Wonderland, avec plus de maturité et cent fois plus de budget.


Si j’ai beaucoup parlé de Simz, il serait honteux de ne pas mentionner l’importance du producteur Inflo (une collaboration permanente depuis Grey Area, ça devient rare) et l'apport crucial de la chanteuse Cleo Sol. En fait, c’est la plus grosse différence avec Grey Area, qui mettait déjà la barre très haute en terme de rap et abordait des thèmes similaires : féminisme et conscience sociale, violence urbaine, les relations et les regards dans le rétroviseur. Ici les beats sont plus riches, plus beaux, plus variés – plus propres aussi, et si on peut regretter le côté brut et mordant typique du hip hop anglais sur Speed par exemple (en deçà de Offence dans Grey Area), il faut vraiment être devenu allergique à la vague néo-soul des dernières années pour ne pas y voir un travail phénoménal.


Tout le long, Inflo est l’artisan de la vision cinématique et florissante de Simz. On a peut-être là l’album de le plus orchestral du hip hop, une direction qui est annoncée dès l’arsenal symphonique d’Introvert, utilisé avec un dosage et une richesse qui montre d'emblée la maturité de l'artiste (le dernier tiers est superbe). On retrouvera ce côté orchestral et onirique dans les différents interludes, mais je dois avouer qu’au moins deux des trois plus longs m’ennuient un peu. Chaque interlude indépendant est comme une porte vers une nouvelle pièce dans la tête de Simz. Dans la première, on retrouve les morceaux les plus tourmentés et ambivalents : l'introversion face à la célébrité et les enjeux sociaux dans Introvert, le relation amoureuse toxique et l'opposition des lignes vocales dans Two Worlds Apart, l'amour et le ressentiment envers son père dans I love you/I Hate you, l'insouciance et la violence dans Little Q. Par ailleurs, les cinq morceaux ont tous un sample vocal dans le beat, pour la texture ou comme accroche. De Speed à I See You on retrouve une Simbi confiante et apaisée. Rollin Stone et Protect My Energy sont les morceaux atypiques, le premier étant minimaliste avec un beat trap, tandis que le deuxième est pop avec Simz qui s’essaie au chant. Le duo formé par Point And Kill et Fear no Man (quelle transition !) puise dans la musique traditionnelle de l'ethnie Yoruba (à la base du genre musical Afrobeat), et l'album s'achève sur une note calme et (encore plus) introspective avec How Did You Get Here et Miss Understood. Presque à chaque fois, le résultat est bluffant.


Il est évidemment trop tôt pour avoir digéré SIMBI et jouer le jeu des comparaisons, mais avec des morceaux comme Introvert, Woman, I love you/I Hate you, Standing Ovation, et une telle alchimie entre MC et producteur sur 19 pistes, disons qu’on a au moins un des albums majeurs de l’année

Zephir
8
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le 6 sept. 2021

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