Manchester était une ville typique du nord de l’Angleterre dans les années 1980 : grise et d’une tristesse à en mourir. Un ancien vestige de l’ère industrielle. Vague souvenir d’une période économique florissante et dont le chômage galopant ne laisse pourtant pas deviner un passé aussi glorieux.


Il n’y a rien de surprenant que le post-punk ait pu germer et donner de belles pouces dans des conditions pareilles. La dépression de Joy Division, le spleen lucide des Smiths ou encore l’impertinence de The Fall… On ne peut que les comprendre d’être ce qu’ils sont. Avoir été engendré par un tel trou, ça ne rend pas optimiste.


Sauf qu’il y a un pépin dans l’engrenage.


Comment un coin aussi déprimant a pu être le théâtre de cette folie que fut le courant "baggy" ? Comment cette ville a pu devenir le relais entre la house des États Unis et l’acid house de 808 State ? Parfois, il ne vaut mieux pas chercher des explications là où il n’y en a aucune. Si Manchester s’est métamorphosée en "Madchester", c’est peut-être tout simplement parce qu’une poignée de personnes en avait assez de cette atmosphère maussade et qu’elles ont pris leur courage à deux mains pour mettre des couleurs dans leur quotidien !... Et aussi parce que New Order fut un ambassadeur de la dance au Royaume Uni.


Il fallait bien une bande pour lancer le mouvement. Un rôle aussi ingrat que prestigieux et que les Happy Mondays ont su jouer à merveille. Des prémices brutes et loin, très loin des tubes qu’ils vont créer une paire d’années plus tard. Car ce premier album à l’intitulé interminable est à l’image de ces compositeurs : idiot, moche, crade et cependant doté d’un groove primitif assez extraordinaire.


Les frères Ryders et leurs copains ont été marqués par The Fall. Par son groove métronomique inspiré du krautrock (« Russell »), sa froideur tirée du post-punk (« Little Matchstick Owen ») et par le chant… Disons particulier de Mark E. Smith.
Autant être clair dès le départ : Shaun Ryder chante comme un pied. Et je pense être encore loin de la vérité en disant ça. Ce type ne… Sait pas chanter ? Il gémit et chouine comme un camé à qui on lui aurait piqué sa seringue. Mais fallait-il s’attendre à autre chose de la part de cette petite frappe, dealer à temps partiel ?


Lui-même et son groupe ne savent pas (encore) écrire de chansons accrocheuses. Alors quand on a l’impression d’écouter une bande de la fête de la musique sur « Tart Tart », je devine vos réactions de stupeur en apprenant qu’ils ont été signés sur le label Factory et produits par John Cale dès leur premier jet.


Pourtant, pourtant… Squirrel and G-Man Twenty Four Hour Party People Plastic Face Carnt Smile (White Out) (ouf) fonctionne. Il marche puisque cette troupe de branleurs de première possède une rythmique dévastatrice. Ils sont le chainon manquant entre le post-punk, le baggy et ce qu’on appelle le lo-fi. Pas pour le son, censé être très sale, plutôt pour la démarche. Ce rock brinquebalant qui fera les beaux jours de Sebadoh ou encore des magnifiques Pavement. Complètement bancal tout en tenant miraculeusement debout grâce à des éclairs de génie mélodiques et d’écriture.


L’orchestre de Manchester n’en est pas encore là, étant donné que les mélodies sont aux abonnées absentes. Sauf que la musique compense ce défaut grâce à leur façon de jouer. Ils pratiquent une sorte de funk blanc, toutefois différent des Talking Heads. Un funk aussi urbain mais grisâtre. Du dance rock où les refrains sont plus scandés que chanté. Un rock plus proche du jam psychédélique que de la composition millimétrée.


A vrai dire, il s’agit carrément d’une sortie historique tant la personnalité de cette formation est forte et que sa descendance ne se limite pas seulement à un sous genre éphémère… Même si ça ne change rien à la qualité de la musique au final.
Surtout qu’il y a « 24 Hr Party People ». L’un des hits les plus connus du style d’accord, mais aussi le parfait étendard de cette époque, de cette génération, de cette musique. L’hymne des fêtards par excellence. De ces personnes qui ont laissé tomber tout dans leur vie pour faire la fête tout le temps et à n’importe quelle heure. Un appel au fun et à la défonce qui laissera des marques (ce clavier couinant et ce riff funky sont inoubliables). Car si les Mondays faisaient à peu près n’importe quoi en studio, ils étaient quand même en train de marquer le patrimoine musical Anglais de leur empreinte.


Leur talent était involontaire et c’était ça qui était si beau.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
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le 20 oct. 2015

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