"Manquant de sommeil, de nourriture et de vision, me voici encore, campé devant la table tournante”

Oui il reste plus que de la vie dans Still Life et ce n'est pas une nature morte non plus. En fait Still Life est le chef d'œuvre de VDGG malgré les apparences et la facilité qui pourraient placer Godbluff sur ce trône. En fait les 2/3 de la face 1 ont été enregistrées lors des sessions de Godbluff. Somptueux restants d'un groupe qui pondirent des albums comme des alcooliques de la musique. Trois en un an plus l'album solo de Hammill (Over) en 12 mois.

L'album s'ouvre avec le plus grand morceau de la deuxième époque : Pilgrims était le morceau que tous les fans voulaient entendre à l'époque. Il ne fut joué qu'une seule fois lors de la tournée Québécoise de VDGG en 76 (en rappel à Sherbrooke, lors du premier concert des 6 de la tournée folle).
On comprend pourquoi il ne fut pas mis sur Godbluff mais sur Still Life. Le son est moins dur, moins tranchant plus grandiose voire symphonique . Il y a dans cette ode à l'humanité des vertiges et des joies. On atteint le dernier cri de Pilgrims, l'orgue en seul coup balaie l'espace pour laisser toute la place au saxophone de Jaxon qui se met à chanter, danser , toucher les étoiles ! Tout est en harmonie totale et on s'étonne de tant de joie sur des paroles aussi noires. On ne se lasse plus d'écouter Pilgrims et il faudra attendre la version japonaise de Real Time en 2006 pour avoir une version live officielle. Du sublime VDGG.

Puis Still Life s'ouvre avec la voix précise et calme, après la furie très contrôlée de Pilgrims, de Peter. Son chant soutenu seulement par l'orgue religieux de Banton, s'élève comme dans une cathédrale . Le phrasé atteint lors du défilé de : “breathing, eating, defecating, screwing, drinking,
spewing, sleeping, sinking ever down and down” est tout simplement un cours de chant. Hammill développe ici des cascades de rythmes et sa voix a la souplesse d'un dauphin dans la mer. Rarement aussi cette voix n'a été aussi pure, si bien placée....et elle est maintenue. Le morceau prend une ampleur et une force incroyable progressant comme la Mort devant un nouveau client. Elle ouvre des galaxies...Oui comme disait Robert Fripp: “Hammill a fait pour la voix ce que Hendrix a fait pour la guitare”. ceux qui ne saisissent pas le génie de son chant, de son phrasé, de ses inventions sont de bien pauvres pèlerins au pays de VDGG. La finale de la voix accompagnée du piano puis d'un crescendo doux et subtil est une des merveilles de l'album.

On enchaîne avec : “ La Rousse” tirée aussi des sessions de Godbluff à laquelle elle n'appartenait pas, très clairement. Mais on y retrouve un soupçon de “ce je ne sais quoi” qui appartient audit album . Mais La Rossa doit beaucoup plus à l'esprit de Still Life. Morceau puissant qui vous entraîne définitivement dans la puissance de l'album. Hammill est en parfait contrôle de son chant des “orteils à la tête”. Jaxon tient un rythme d'enfer et l'orgue balaie constamment le morceau dans une mer submergée par ses vagues. Quand arrive le break chanté : “Think of me what you will” alors la c'est un orgasme...La Rousse est au lit pour sûr mais Hammill se demande s'ils faisaient l'amour maintenant est-ce que tout serait changé ? Cette femme inaccessible une fois consommée, les mots seraient perdus pour un paradis gagné ? Tout le mystère de la relation, de la sexualité , de la séduction est interrogée dans La Rossa. Tous les ponts sont brûlés et le singe aveuglé par ses chaînes demande à être pris , en dépit de tout, se noyer dans le corps de la femme au plus profond de la nuit quel qu’en soit le prix et il hurle : “DONNE MOI LA VIE”. On reste flabergasté, cloué par l'ensemble et la fusion orgasmique entre les paroles et la musique.

Il faut reprendre son souffle dans la chambre en cherchant des diamants dans la mine de sulfure. C'est “ My Room” et sa douceur pénétrante. Morceau unique dans la carrière de VDGG qui tient presque plus de la carrière solo que du flamboyant VDGG. Mais avec la symbiose des instruments et le saxophone de Jaxon, presque jazzy, doux et romantique, les drums discrets et intelligents il devient totalement déchirant après le constat d'échec de “ How could you let it happen?” Rêves, espoirs et promesses ne sont que des fragments tirés du temps , toutes ses choses dont on parle avant ou après l'amour , tout ce qu'on se jure n'attendent que le moment d'être brisées. Dur constat sur l'amour et le saxo déchire une dernière fois l'espace de son cri . La basse de Banton, rarement prise, ronde et sonore vient compléter le trio avec Hammill au piano. Les cymbales de Evans sur les envolées de flûtes finales nous ensorcellent. Jamais morceau n’eut une telle sonorité chez VDGG et on comprend pourquoi le groupe, à ma connaissance, ne le joua jamais en concert.

La flute ouvre l'orgie du morceau qui suit: “Somehow there must be more?” on se demande bien comment le groupe va en donner plus ? Et là toute référence, toute description, toute tentative de rendre compte de la somptuosité de ce morceau de 12 minutes est vaine. “Childlike Faith In Childhood's End” est un immense vertige , une plongée dans le précipice de la vie et de la mort.Il faut entendre comment Hammill chante : “"Why do we see through the eyes of creation?" son “creation” vous ouvre le corps en deux...et arrive la phrase suivante où il vous déchire ce qui vous reste d'âme.... JAMAIS Hammill ne fut aussi grandiose avec une économie de moyens. C'est juste fabuleux. Il chante:
Adrift without a course,
it's very lonely here,
our only conjecture
what lies behind the dark.
Still, I find I can cling to a lifeline,
think of a lifetime which means more than my own one,
dreams of a grander thing than we are.
Time and Space hang heavy on my shoulders...
when all life is over who can say
no mutated force shall remain?
On se demande bien comment le morceau va se relever de cela....mais VDGG est immense, ne doutons jamais de lui ....et “épeuré nous aussi par le silence de Dieu et parfois de l'humanité ” nous nous relevons emporté jusqu'à la fin. Van der Graaf est lancé comme jamais et plus rien ne peut l'arrêter. Nous touchons ici au Supper's Ready du groupe. Plus précis, plus efficace, plus apocalyptique par la thématique, que son Plague sur “Pawn Hearts” et VDGG rejoint ici tous les enfants de ce monde . Mais peu ont le talent de l'écouter et de se libérer des chaînes de la création.
Oui tous les junkies ...mais laissons Hammill conclure ce monument de l'histoire du rock progressif:
Nu face aux galaxies, nous devrons être effectivement...Grandiose ! Par ce morceau on comprend pourquoi il y a VDGG et tout le reste à sa suite...:

“All the jokers and gaolers, all the junkies and slavers too,
all the throng who have danced a merry tune...
human we can all be, but Humanity we must rise above,
in the name of all faith and hope and love.
There's a time for all pilgrims, and a time for the fakers too,
there's a time when we all will stand alone and nude,
naked to the galaxies...naked, but clothed in the overview:
as we reach Childhood's End we must start anew.

And though dark is the highway,
and the peak's distance breaks my heart,
for I never shall see it, still I play my part,
believing that what waits for us
is the cosmos compared to the dust of the past.

In the death of mere Humans Life shall start”

PS: Sur la réédition de 2005 il n'y avait que GOG qui pouvait suivre cela. La version de Gog jouée de 75 à 76. Cette version dépasse l'originale de celle de In Camera (album solo de 74 de Hammill). Ils la jouèrent en 76 à Montréal. Je fus pris de vertiges devant une tel abysse et mes yeux se couvrirent d'eau . On ne peut aller plus loin ...plus loin c'est la mort...Hammill est déchaîné, Jaxon envoie son saxophone au fond des enfers et tout le groupe plonge dans l'abîme.... Vous devez comprendre ce que Hammill chante pour saisir toute la démence qui propulse le groupe. Nous sommes ici dans les mêmes eaux que Genesis sur Supper's Ready et son apocalypse en 9/8 qui incidemment parle de Cog et Magog. Ce morceau était souvent enchaîné avec “The Sleepwalkers”. Ici on entend les premières notes.....en effet à la fin du CD remastérisé, je marche comme un somnambule...

VDGG est en cette année 76 l'étoile au firmament de tout le rock progressif qui se meurt. Van Der Graaf lui est vivant et sort de la pyramide musicale comme le grand pharaon qu'il est régnant sur tous insolemment , majestueusement, divinement.

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le 17 juil. 2020

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