Survival
6.9
Survival

Album de Forest Fire (2008)

C’est marrant, la façon dont une simple intonation de voix peut faire resurgir un pan entier d’histoire. Comment, parfois, un unique trait chanté résume et conditionne tout le reste. Par exemple, le sort de Survival est réglé au bout de vingt-huit secondes, le laps de temps nécessaire à Mark Thresher pour sortir de sa glotte et commencer à psalmodier. “I make windows/To see what I don’t know”, clame-t-il avec un accent suraigu qui incise l’esprit à la manière du jeunot Mick Jagger, ouvrant ainsi une fenêtre spatio-temporelle qui nous trimballe quarante ans en arrière. Comme MGMT avec Pieces Of What ou Women avec Group Transport Hall l’an passé, de son ouverture déliée I Make Windows à la féminité langoureuse de Sunshine City, de la ritournelle qui trésaille Fortune Teller à la ruade velvetienne Promise, cet essai inaugural s'arroge un héritage hippie et lysergique qu’il pille jusqu’au trognon, jusqu’à l’os, jusqu’à l’overdose. Un larcin éhonté que l’on aura bien du mal à dénoncer, tant il s’effectue avec l’aplomb de l’insouciant qui pense encore détenir la clé du monde dans sa poche, pour qui rien n’est interdit et pour qui tout pourra toujours recommencer. À l’accusation de brigandage, on ajoutera même celle de sévices à la personne. Un tortionnaire qui s’amuse à envoyer poindre le folk et sa mélodie vers un ciel vierge de turbulences avant de les plonger l’instant d’après dans un chaudron d’acide aux ébullitions malsaines. La gravité de la joute est amplifiée par des paroles qui alternent sentiments lumineux et pulsions assassines avec, en point d’orgue, le diptyque Steer Me-Survival, où Mark Thresher s’époumone d’abord comme un jeune homme aux idéaux périmés sur fond de distorsion qui hurle comme une armée de revenants, avant de faire vrombir les cuivres et l’acoustique pour claironner sa rage de subsister coûte que coûte. On nous dit que Survival a été enregistré de manière éparse entre New York et Portland sur une période de huit mois, pourtant, aussi régressif soit-il, la force de ce premier album réside dans sa densité coulée, dans cette impression de giclée corrosive qui dissout peu à peu les réticences et les repères. En vingt-huit secondes chrono, pour être précis. (Magic)

bisca
7
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le 27 mars 2022

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