Pour moi, Mahler est aux symphonies ce que Wagner est à l'opéra : à la fois celui qui a poussé le genre à sa perfection absolue et celui qui l'a dynamité, qui fut tellement révolutionnaire que la suite ne put plus être comme avant. Les symphonies de Mahler se rattachent indubitablement au romantisme, il s'inscrit incontestablement dans la lignée d'un Beethoven, mais en allant beaucoup plus loin, en étant beaucoup plus monumental.
"Monumental" est l'adjectif qui me vient le plus vite à l'esprit en parlant de Mahler en général. Après tout, sa première symphonie n'est-elle pas surnommée "Titan" ? Jetons un coup d’œil sur la durée : cette troisième symphonie dure (selon les chefs, bien sûr) environ 1h40 (quand une symphonie de Mozart dure en moyenne 20 minutes). Il possède 6 mouvements (alors que les symphonies classiques en ont trois ou quatre). L'orchestre est énorme et doit s'accompagner de deux chœurs et d'une mezzo-soprano.
Sa composition elle-même est très novatrice. Ainsi, on trouve deux mouvements avec des voix. Et l'Adagio, le mouvement lent, qui normalement est au milieu de la symphonie, se trouve ici propulsé à la fin (ce que je n'ai rencontré nulle part ailleurs, mais ma connaissance en la matière est limitée).

L'unité de la symphonie répondrait, d'après ce que j'ai lu, à un projet de Mahler (certains prétendent que cette symphonie est censée figurer la Création de l'univers).
En tout cas, cette musique exceptionnelle me transporte littéralement et fait naître en moi des images quasiment obsédantes.
Ainsi, prenons le premier mouvement, d'une longueur exceptionnelle (plus d'une demi-heure à lui tout seul). Les cuivres imposent d'emblée une ambiance particulière. Il n'y a pas de mélodie à proprement parler, on a l'impression d'une musique statique. On n'avance pas. Il n'y a pas de vie. Comme un paysage désertique, monolithique, minéral. L'aspect répétitif du mouvement renforce encore cette impression de stagnation. Puis, surgissant de loin, on entend une mélodie joyeuse, légère. Comme une marche, un défilé qui répand la vie dans cet univers mort. Une mélodie qui s'efface puis revient à intervalles réguliers, prenant de plus en plus d'ampleur jusqu'à la fin du mouvement, où elle emporte tout sur son passage.
Les mouvements 2 et 3 sont légers, presque aériens, festifs, printaniers. J'oserais dire : primesautiers. Cette légèreté se retrouve aussi dans l'emploi de l'orchestre : Mahler n'utilise qu'une partie partie des instrumentistes, ce qui, après l'énormité du premier mouvement, donne une impression presque reposante.
Toujours en contraste, le 4ème mouvement apparaît d'emblée plus sombre, avant qu'on se rende compte qu'il ne s'agit que d'un rêve. C'est l'arrivée des chants, et ici, plus particulièrement, de la Mezzo-Soprano interprétant un texte extrait d'Ainsi parlait Zarathoustra, de Nietzsche. Un texte sur le rêve et la joie. Il est directement enchaîné avec le 5ème mouvement, beaucoup plus joyeux et retrouvant la vie qui avait envahi le monde. Le Chœur entame un air qui pourrait nus faire penser à un chant de Noël.
L'adagio qui sert de 6ème et dernier mouvement est un de mes morceaux préférés dans la musique classique. je considère Mahler comme le roi, le dieu de l'adagio. Je n'en connais aucun qui soit aussi beau que ceux qu'il a composés (écoutez aussi l'adaghietto de la 5ème symphonie, qui ouvre Mort à Venise, de Luchino Visconti, ou encore l'adagio qui sert de mouvement unique à la 10ème symphonie inachevée). En tout cas, ce mouvement (lui aussi d'une longueur exceptionnelle, puisqu'il approche la demi-heure) est une élévation spirituelle. Le sentiment d'une paix infinie se répand sur les auditeurs. La symphonie monumentale s'achève, se clôt (car c'est une clôture) sur un bonheur inégalé, une plénitude qui se veut peut-être comme l'union à une force supérieure (Dieu ou la Nature ?).

S'il y a un nom de chef d'orchestre qui est lié à celui de Mahler, c'est bien Leonard Bernstein. Mais j'ai une particulière admiration pour l'interprétation des symphonies enregistrée (pour Deutsche Grammophon) par le Philharmonique de Vienne dirigé par Pierre Boulez. Boulez est vraiment un chef prodigieux, surtout pour els œuvres modernes (de Stravinsky à Ligeti, par exemple). Ici, il est d'une grande justesse et dirige l'orchestre avec une finesse rare. Les moindres petits détails de la très riche partition sont reproduits avec subtilité. Il sait donner de l'ampleur lyrique quand il le faut. C'est tout simplement prodigieux.
SanFelice
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le 20 juil. 2013

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