Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’attente fut de courte durée, pour une fois. En effet, début octobre, Beach House annonçait la sortie imminente d’un nouvel album intitulé « Thank Your Lucky Stars » ; soit seulement un mois et demi après le précédent. Si le groupe se défend d’avoir sorti un compagnon de route à « Depression Cherry », pas plus qu’une collection de faces B ou de chutes de studio, il ne s’agit pas non plus, d’après eux, d’un disque surprise, mais bel et bien de leur nouvel album en bonne et due forme.


Enregistré durant les mêmes sessions que « Depression Cherry », fin 2014 et début 2015, ce sixième disque fonctionne, quoi qu’en dise le groupe, par contraste avec ce dernier. Les chansons y sont plus courtes, l’album aussi, et les morceaux retrouvent la concision et l’efficacité des premiers enregistrements. Comme pour le précédent, les fans pouvaient découvrir avant sa sortie trois nouveaux morceaux : « Majorette », « One Thing » et « She’s So Lovely », en se rendant sur le site officiel du projet. Là, il leur était demandé de sélectionner trois titres parmi la discographie du duo, et de ce choix dépendait le nouveau morceau que l’on pouvait découvrir. Si le groupe a toujours entretenu cette proximité et cette interaction avec son public, c’est sur ce sixième album qu’elle est la plus palpable, le disque faisant presque office de confession intime à son public, avec sa pochette en forme de photo de famille ancienne, abîmée par le temps, mais retrouvée au fond d’un tiroir.


Côté musique, rien à redire : Alex et Victoria sont décidément dans une forme olympique pour sortir en si peu de temps deux albums d’une aussi belle qualité. L’émotion qui se dégage de « Thank Your Lucky Stars » est cependant légèrement plus sombre et mélancolique que sur « Depression Cherry », qui était un disque remarquablement lumineux et aérien. Sur « She’s So Lovely », les claviers esquissent une petite mélodie très triste qui prend une tournure étrange et fragile en montant dans des aigus inattendus. De même, « All Your Yeahs » cache, sous ses aspects de petite ballade innocente, une fibre beaucoup plus bouleversante à mesure que la chanson se déroule et dévoile un remarquable crescendo mélodique. Plus loin sur l’album, c’est un autre duo de chansons qui fonctionne à merveille : l’enchaînement « Elegy To The Void » (un titre qui résume parfaitement la gravité dont se pare le lyrisme du duo sur ce disque), avec « Rough Song ». Il y a quelque chose d’inquiet, de résolument pessimiste dans la dream pop de Beach House sur cet album. Comme si la féérie rêveuse cédait peu à peu sa place à une amertume ou à un sentiment de peur. En live, « Rough Song », pour l’instant seul morceau de cet album que le groupe daigne mettre en valeur, se pare de sonorités plus agressives, voire presque sales, qui confirment ce virage étonnant. Quant à « Elegy to The Void », qui est déjà considérée par beaucoup comme un des sommets discographiques du groupe, elle installe, avec un sens aigu de la dramaturgie musicale, une ambiance remarquable grâce à ses claviers tournoyants.


En quelque sorte témoin de l’ambivalence qui a toujours fait partie de la musique de Beach House, ce sixième album révèle, pour une fois, une facette plus emplie de noirceur qu’à l’accoutumée, mais ne se refuse pas à l’habituelle soif de lumière ; en témoigne l’extase d’un « Allelujah » lâché vers la fin de « Rough Song », la douceur caressante de « The Traveller », où Victoria Legrand approche la sensualité tragique d’une Beth Gibbons, ou encore l’orgue grésillant de « Common Girl », qui évoque la fragilité de « Auburn and Ivory » sur le tout premier album du groupe.


Si tout est bon sur « Thank Your Lucky Stars », le seul défaut du disque est peut-être de ne pas avoir autant de titres marquants que le précédent, ou bien d’être sorti un peu trop dans son ombre pour réellement être apprécié à part. Il offre néanmoins une remarquable synthèse entre les différentes influences revendiquées par le duo et la variété de styles et de nuances qu’ils ont su aborder avec talent au cours des cinq précédents albums. Reste alors à apprécier le fruit de ce travail sur scène, où le groupe excelle à transcender ses plus beaux morceaux.


Originellement publié ici

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le 5 nov. 2015

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