The Buddha of Suburbia (OST)
6.1
The Buddha of Suburbia (OST)

Bande-originale de David Bowie (1993)

Pour beaucoup, Black Tie White Noise constitue l’album de la renaissance de David Bowie, la pierre angulaire indicatrice du regain artistique mettant fin en 1993 à une décennie de détachement et d’égarement. Pour l’artiste lui-même, c’est plutôt la formation du groupe Tin Machine qui marque dès 1987 son réinvestissement musical. Quant à moi, n’ayant écouté aucun album de cette supposée traversée du désert, je ne peux en tout cas que constater que si Black Tie White Noise est réellement une résurrection, alors les albums qui le précédaient devaient être relativement piteux, tant celui-ci est inégal, capable certes de toucher au génie (« Jump They Say ») mais aussi de se complaire dans le médiocre (« The Wedding Song »). L’envie artistique y est clairement présente mais le résultat laisse plutôt à désirer, bien qu’intéressant (et même souvent agréable) dans sa tentative de concilier le rock FM, les influences funk qui avaient fait le succès de Bowie sur Let’s Dance (lui aussi produit par Nile Rodgers) et des sonorités plus modernes, proches de celles du rock industriel.


Si grand retour il existe, The Buddha Of Suburbia semble en avoir bien plus la stature. Le successeur de Black Tie White Noise, sorti la même année, n’a lui rien d’inégal ; il est même surprenant de constater qu’il parvient à résumer l’ensemble de ce que constituent les années 90 pour Bowie, évoquant notamment ses trois albums suivants bien avant leur conception. Pourtant, l’origine du projet tient plutôt de l’anecdote : il s’agissait pour l’artiste d’improviser en quelques jours sur une poignée de partitions instrumentales composées pour un téléfilm. Le résultat est finalement relativement long, et aussi consistant qu’inspiré. Se basant sur une liste de souvenirs et d’influences remontant aux années 70 (consignée telle qu’elle dans le livret), il accorde une place prépondérante aux expérimentations instrumentales, rappelant en cela sa démarche sur la trilogie berlinoise. Les effets synthétiques sont alors omniprésents, présageant le virage rock indus de 1. Outside et le drum and bass d’Earthling.


C’est cependant par une chanson pop-rock éponyme très efficace que s’ouvre The Buddha Of Suburbia, classique mais très réussie, proche par sa légèreté et sa maestria mélodique de celles qui constitueront ‘Hours…’, son dernier album du millénaire. La suite, « Sex And The Church », voit la voix de Bowie électroniquement déformée pour une litanie orgiaque (le fond instrumental recèle de discrets gémissements) déstabilisante mais aussi jouissive dans sa façon de ne baser ses paroles que sur la sonorité des mots, sans accorder aucune importance à leur signification.


« South Horizon » est peut-être le morceau le plus éloigné de ce qu’a pu faire Bowie ailleurs : sorte d’improvisation jazzy où se défoule le fidèle pianiste Mick Garson, auteur des dissonances expérimentales d’Aladdin Sane et également présent sur « Looking For Lester », instrumental de Black Tie White Noise d’une veine similaire mais bien moins réussi. Mais ce morceau rappelle surtout que le chanteur avait tourné l’année précédente pour David Lynch dans Twin Peaks : Fire Walk With Me : « South Horizon » ne dépareillerait pas sur la bande originale d’un film du cinéaste – et Twin Peaks plus que tout autre. À se demander si, même s’il ne l’évoque pas dans sa liste d’influences (qui se restreint il est vrai aux années 70), Angelo Badalamenti n’aurait pas directement inspiré Bowie. 1. Outside sera bien sûr lui aussi rempli de morceaux lynchiens, avec leur ambiance de film noir et leurs pianos discordants (au point que Lynch utilisera un extrait de cet album pour ouvrir et fermer son long-métrage suivant, le gigantesque Lost Highway), mais « South Horizon » est sans doute le titre le plus emblématique de l’influence entre les deux artistes. Et quand on y pense, il est remarquable de constater que le réalisateur composera des chansons assez proches de « Sex And The Church » quand il s’essayera lui-même à la musique sur Crazy Clown Time


« The Mysteries », nouvel instrumental, reprend cette fois-ci les sonorités de Low et "Heroes", Bowie ne cachant pas que Berlin reste une des influences majeures de The Buddha Of Suburbia. Le morceau est lent, sombre et atmosphérique, peut-être moins riche musicalement que les instrumentaux des années 70, mais provoquant des sensations similaires. Après cette belle parenthèse hébétée, « Bleed Like A Craze, Dad » renoue avec cette légèreté rappelant ‘Hours…’, mais sur un mode plus excité et sans aucune considération pour la notion de songwriting : là encore, les paroles se fondent avant tout sur une sorte d’écriture automatique.


« Strangers When We Meet » est a contrario une chanson à la mélodie des plus raffinées, tellement bonne que l’artiste la reprendra pour conclure 1. Outside. Le chant y est puissant et lyrique avec une pointe de nostalgie, et le titre de se révéler comme le joyau de l’album et un petit frère de « "Heroes" ».


« Dead Against It », plus primale, possède déjà les qualités d’Earthling, Bowie posant une voix empreinte de douceur et de légèreté sur une accélération rythmique sautillante avançant à contre-courant du chant. « Untitled No. 1 » est quant à elle beaucoup plus douce, le chanteur adoptant un mantra pour livrer une mélopée incantatoire ensoleillée.


« Ian Fish, U.K. Heir » est le dernier instrumental de l’album, du même moule que « The Mysteries » (et donc des instrumentaux de la période berlinoise) mais à l’atmosphère beaucoup plus indicible : il s’agit ainsi d’un morceau d’ambiance à la mélodie difficilement identifiable. On distingue quelques notes de guitare et des sons fantomatiques avant de rentrer dans une transe seulement interrompue par « Buddha Of Suburbia », reprise du morceau d’ouverture très similaire à ce dernier mais auquel vient s’ajouter un solo de Lenny Kravitz.


The Buddha Of Suburbia n’est pas le meilleur album de David Bowie, mais tout y est vraiment bon. Et j’ai surtout pour la première fois l’impression de tenir chez cet artiste une sorte d’œuvre-somme : lui qui n’a cessé d’explorer sur chacun de ses essais un genre différent, de le pousser dans ses derniers retranchements pour façonner quelque chose de nouveau, il semble ici ne faire qu’annoncer les prochains univers qu’il va côtoyer à l’avenir. Il ne s’agit donc pas de l’œuvre-somme de sa carrière, mais j’ai bien le sentiment que The Buddha Of Suburbia, tout en étant l’un de ses albums les moins connus, est le plus représentatif des années 90 tels qu’il les a vécues musicalement. Bien moins dansant que Black Tie White Noise, il s’attache néanmoins à garder une tonalité très légère, moins radicale qu’à l’accoutumée (encore que des titres comme « Sex And The Church » puissent surprendre et que la musique sache rester complexe) tout en demeurant ambitieuse. Un passage obligé avant de pouvoir plonger dans les ténèbres abyssales de 1. Outside ?

Skipper-Mike
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le 7 oct. 2017

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Skipper Mike

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