Bengt Frippe Nordström – The Environmental Control Office – (2003)
Voici un authentique enregistrement de jazz capté en club, comme l’aiment les puristes, nous voici en effet au « Fasching » à Stockholm, le quatre juin mille neuf cent quatre-vingt-huit très précisément. Bengt Frippe Nordström est réputé pour avoir produit le premier album d’Albert Ayler, « Something Different!!!!!! » enregistré le vingt-cinq octobre, à Stockholm, en soixante-deux.
Cette heure de gloire le marquera profondément et fera de lui un musicien tout à fait unique, on peut sans crainte dire de sa musique qu’elle est tout à fait inouïe. On peut supposer que le fait d’avoir côtoyé la légende a laissé sur lui une empreinte qu’il a su cultiver.
Ainsi son style au saxophone, ou à la clarinette, est-il très particulier. Il se caractérise par une sorte de lenteur assumée, il ne recherche pas la vélocité, d’ailleurs il semble avoir totalement zappé le be-bop et ses voltiges stupéfiantes. Lui, tout comme Ayler, puise dans les folklores traditionnels ou les comptines, ces airs anciens qui traversent les générations, ils seront ses premiers matériaux, avec lesquels il jouera.
Le premier Cd ne contient qu’une longue pièce de plus de cinquante minutes, « The Environmental Control Office » où il joue du sax ténor, en improvisant continuellement avec une belle intensité. Il est d’ailleurs familier des impros en solo qu’il développe, dit-on, avant tout le monde. Il est accompagné par Lars Svanteson au violon, dont il joue parfois en le maltraitant, pour lui faire sortir des sons inusités qui nous rappellent les audaces d’Ayler.
Il y a également un contrebassiste, Bjorn Alke, tout à fait excellent, ainsi que le maître de la batterie, Peeter Uuskyla, qui connaîtra une carrière intéressante auprès de musiciens free européens, comme Peter Brötzmann ou Mats Gustafsson, pour n’en citer que deux.
Sur le disque deux il embouche sa clarinette et semble tout à coup joyeux et « Swinging In Sweden » est bien plaisant et sautillant. C’était un artisan, il fabriquait lui-même ses albums en grande partie et les vendait de la main à la main, les acheteurs d’alors n’ont pas fait de mauvaise affaire en achetant ces albums, devenus très recherchés.
Non pas qu’il fut devenu célèbre ou même très connu, mais une poignée de fans ont su trouver l’intérêt de cette musique, si rare et originale. Bengt lui-même n’était pas un grand communicant, c’est avec ses instruments qu’il s’exprimait le mieux, comme sur « Fripping » si optimiste et même parfois guilleret.
Ce qui est certain, c’est que pour Bengt, la musique était un engagement sérieux et total, celui de sa vie très certainement, même si la reconnaissance n’est pas venue. A travers lui on entend encore sourdre la musique du vieil Albert, par bribes et par moments, comme un écho lointain qui surgit, déformé, ressassé, mais on sait qui habite son esprit, on le sent et le devine !
Voici ce que déclare le batteur Peeter Uuskyla, dans les notes de pochette : « C'est frais, comme des enfants jouant à un nouveau jeu » et d’ajouter un peu plus loin : « Tout était possible et rien n'était interdit… » La musique vivait en suivant le fil de la pensée, sur la dernière pièce de l’album, Bengt retrouve son ténor et sa voix grave qui dévale en escalier, d’un pas franc et décidé, mais lourd et appuyé.
« Fasching » s’appuie solidement sur la batterie de Peeter, qui balise le chemin, assise solide et structurante qui offre un équilibre où rien ne semble pouvoir arriver. Cet enregistrement est le dernier qui ait été publié par Maître Nordström, Frippe est en effet décédé en l’année deux mille, il sortira sous cette forme, par les bons soins de Jan Ström, trois années plus tard, sur le label Ayler Records, dont il fut le créateur et le premier propriétaire. Près de quatre-vingt-dix minutes d’une musique hors-normes.
Un nouveau Saint dans la galerie.