Paul Bley, musicien canadien de formation classique, s’intéresse à ce qu’il y a de plus innovant en jazz et invite deux musiciens aux sonorités inouïes à se joindre à lui pour une série de sets au « Hillcrest Club » de Los Angeles. C’est ainsi qu’Ornette Coleman et Don Cherry accompagnés du batteur Billy Higgins allumeront les premiers feux de ce qui s’appellera un peu plus tard le free-jazz. C’est aussi en ces lieux que se fera la rencontre avec une autre figure emblématique de ce bouleversement : Charlie Haden.


Quelques morceaux resteront figés hors du temps par Paul Bley lui-même qui se transforme pour l’occasion en preneur de son. On entend de temps à autre des bruits de conversation, des tintements de verres et de vaisselle, l’ambiance est là, plongée au cœur de la nuit de L.A, entre chiens et loups, le jazz se cherche, se trouve et se métamorphose à la chaleur du feu sacré qui brûla ces nuits-là, élargissant avec entêtement le champ des possibles.


Ce disque est le précieux témoignage entre ce qui fut et ce qui sera, un pont entre le be-bop et le free jazz, entre l’audace de Charlie Parker et la témérité d’Ornette Coleman. Ce véritable document, témoin d’une musique en train de naître, représente le chaînon qui prolonge le bop vers le free, en justifie la démarche et en déroule le chemin. Enregistré en 1958, six mois après la sortie de Somethin' Else, l’album ne paraîtra qu’en 1971, dévoilant à postériori que le Free est une évolution avant d’être une révolution, un prolongement plutôt qu'une cassure, c’est en effet par un ancrage solide des racines que se nourrit la liberté.


Tout commence dans la tradition, par une reprise de Charlie Parker "Klactoveesedstene", le canevas traditionnel, thème-improvisations-thème est respecté, mais Ornette prolonge la musique de Charlie Parker déroulant des solos démesurément longs, à la façon de John Coltrane. Une musique nouvelle s’esquisse, Don Cherry semble prendre une longueur d’avance, il a déjà réinventé les sons de la trompette, loin de Clifford Brown, Dizzy ou Fats Navarro, on entend ici ses chorus dessiner l’avenir du jazz. Il commente les thèmes en se moquant des règles, les sons de sa trompette répètent, prolongent, déstructurent et reconstruisent…


Retour à une certaine tradition, "I remember Harlem" est un hommage à Roy Eldridge que Paul Bley adore, il nous livre ici quelques solos audacieux. Suivent deux compositions d’Ornette Coleman qui occupent toute la face deux, The Blessing et Free. « La première tentative de ce qui sera plus tard appelé le free jazz » commente L. Goddet sur les notes de pochette...


Une réédition agrémentée de 4 titres supplémentaires est aujourd’hui disponible, curieusement sous le nom d’Ornette Coleman (Complete Live at The Hillcrest Club).

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le 12 mars 2016

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