Les temps n'ont pas changé et Steven Wilson ne fait toujours rien comme beaucoup aimerait lui entendre faire. C'est même un sacerdoce comme il l'affirmait récemment : "Je me confronte toujours aux attentes de mon public. Je leur donne rarement ce qu'ils veulent." Dont acte. Après s'être fendu de la déflagration post-confinée The Future Bites (2021), qui lui valu une belle descente de son piédestal patiemment érigé par quelques chefs-d'œuvre, notre ami s'était attelé à une série de podcasts (The Albums Years) avec son comparse Tim Bowness, quelques nouveaux classiques remixés, avant de publier une auto-biographie ("Limited Edition of One", 2022) et surtout relancer Porcupine Tree après un hiatus d'une douzaine d'années : un album, une tournée, un café et l'addition s'il vous plait ! Pour celui qui n'envisageait plus la guitare autrement que remisée au fond d'un placard, le vent avait tourné et lui-même n'allait donc pas tarder à réévaluer les choses et jouer la corde de l'alliance des genres.

"Come see the fool / He’ll swindle you out of the game / Bow down to him / But don’t ever give him your name" (Inclination)

Avec The Harmony Codex, son septième album solo, Steven Wilson s'engage donc sur la voie d'un compromis musical qui fait des étincelles sur une dizaine de titres et autant d'univers musicaux symbolisés par la cover et ses dix cubes de couleurs assemblés en escalier. Comme une relecture de ce qu'il aura produit depuis Insurgentes en 2009. Avec des bouts de Grace for Drowning, The Raven That Refused to Sing, Hand.Cannot.Erase, To The Bone et The Future Bites, le chanteur/compositeur anglais ne s'oblige pas à se réinventer mais s'accorde un pas de côté en regardant dans le rétroviseur. La démarche n'est évidemment pas sans risque. S'il confère à l'album un son particulier, magnifié par une production aux petits oignons, le risque de paraître incohérent prêtera évidemment le flan aux critiques. Surtout, cette versatilité pourrait au final ne contenter pleinement personne. Comme une frustration coincée entre plusieurs eaux. Pour autant, ce nouvel opus ne s'épargne pas grand chose et s'affranchit des contraintes.

"No longer slaves / We’re just the lonely souls that took their place" (Beautiful Scarecrows)

Album cinégénique tant chaque extrait s'avère singulier, sans véritable connexion avec le précédent si ce n'est son appartenance plus ou moins lointaine avec l'histoire éponyme proposée comme un indice dans le dernier chapitre de Limited Edition of One. Mais plus encore, The Harmony Codex demande de l'attention. Il faut s'y attarder, y revenir, s'y promener au gré des envies. Chipoter. Chaparder. Entre titres immédiatement prégnant et d'autres faussement anodins, le charme de l'ensemble s'insinue comme un poison lent. L'énergie est toujours là. Diffuse. Jouissive invitation aux voyages. Ni dépressif. Ni anxiogène. Le disque posé-là est une fois encore la réaction au précédent. Le paradigme change moins qu'il ne se distend. Après la l'électro-pop à géométrie variable de The Future Bites, que chacun pourra juger à l'aune de ses préférences, que ce soit un pari osé ou une dilution pure et simple, voire simpliste, Steven Wilson devait revenir sur ses propres faits d'armes sans oublier le reste. Si David Kosten intervient une fois encore sur trois morceaux, cela ne l'inscrit pas pour autant dans la même inclination.

"I came here searching for something / But I don’t remember what that thing is anymore / Did I dream you? / Or are you dreaming me now?" (Harmony Codex)

S'il déconstruit avec enthousiasme sa musique, Wilson n'oublie jamais de la reconstruire, qu'il soit épaulé par le claviériste Adam Holzman sur le synthétique "Economies of Scale" ou qu'il magnifie le puissant "Rock Bottom" composé par Ninet Tayeb qui fait une nouvelle fois fondre les potards d'émotion. Un sommet. Autour, l'album ne s'interdit aucune excursion plus ample et rythmée, avec le violon de Ben Coleman, la batterie martelée de Nate Wood et le saxophone débridé de Theo Travis qui s'entrechoquent sur le crissant et rêche "Impossible Tightrope" qui serpente entre Pink FLoyd, King Crimson et Magma sans perdre sa signature originale. Monumental. Le fil se déroule pendant un peu plus d'une heure dans un labyrinthe musical fascinant dans lequel le chant de Wilson prend toute sa dimension en jouant avec les bordures. Entre contre temps et signatures espiègles ("Inclination"), une respiration en forme de ballade épurée ("What Life Brings"), l'occasion de baguenauder entre un trip-hop mutant ("Actual Brutal Facts" avec la présence de Jack Dangers, co-fondateur du groupe Meat Beat Manifesto) et dix minutes d'un space-rock élégamment atmosphérique ("Harmony Codex") qui fait mouche. La grisaille mélancolique n'est pas oubliée ("Time is Running Out") avec ses climats frondeurs ("Beautiful Scarecrow" et la trompette de Nils Peter Molvear) qui bousculent et basculent avant le mirobolant "Staircase", déployé comme une synthèse parfaite, évidente d'un trip célébré à l'unisson. Tenue par Craig Blundell, Nick Beggs et Niko Tsonev, la première partie s'offre des colifichets électros sur fond de rythmique rock avant d'envelopper l'auditeur dans un surprenant voile de délicatesse autour de la voix de Rotem Wilson. Et nous inviter à repartir pour un tour.

"Automaton drone / You’re lost with no phone / And the home you made your own / Can never be paid for" (Staircase)

Ligne de conduite. De son studio aménagé au nord de Londres, le compositeur évite toute facilité ou besoin impérieux de reproduire ad nauseam les formules qui firent son succès. Quitte à dérouter ou décevoir. D'autres s'y sont risqués, épuisés à sauter d'un monde à l'autre. Sans transition. Sans âme. Sans attache. Avec le somptueux The Harmony Codex, aucun compromis embourbé ni retour aux sources, mais plutôt cette volonté inextinguible de voyager à travers les univers musicaux de son compositeur, fussent-ils aussi éloignés que l'électro et le jazz-fusion. Avec un sens du songwriting qui unit les âmes sœurs sur un fil tendu, en équilibre, Steven Wilson puise dans ses inspirations sans s'épuiser et imprègne un charme irrésistible à ce nouvel album. En pur alchimiste.

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le 6 sept. 2023

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