The Way of All Flesh
7.7
The Way of All Flesh

Album de Gojira (2008)

Tout album de Gojira est imprégné d'un imaginaire cohérent et mystique, qui passe d'abord par l'image, ce qu'elle représente et ce qu'elle nous évoque.
Je me souviens d'une interview de Joe Duplantier qui expliquait que pour écrire ses chansons il dessinait d'abord un "sketch" (sans l'humour) et écrivait les paroles ensuite en se servant du dessin comme matière première, où est cristallisée sa pensée.
Cette façon de créer se retrouve dans la composition musicale. En effet, la musique va également représenter une image et par conséquent illustrer les paroles (et non pas seulement les accompagner), ce qui fait des morceaux compacts où la voix et la musique sont interdépendantes.


Oroborus : cercle vicieux, serpent qui se mord la queue. On est ici dans la symbolique de l'infini, de l'éternel recommencement (ici, de la vie : "Oroborus symbol of eternal life", "Death is just an illusion") qui est en filigrane sur l'ensemble de l'album. Musicalement c'est bien imagé : tapping qui donne un son circulaire, la cymbale qui imite le sifflement du serpent (flagrant dans l'intro).


Toxic Garbage Island : là on est dans le militantisme écologiste et alarmiste qui est très connu du groupe. Le protagoniste est un sac en plastique nageant dans l'océan comme une fantôme ("Mysterious form, soul in the dark"). Le titre renvoie à l'île formée par les déchets dans le Pacifique (mesurant d'une à trois fois la superficie de la France, tout de même), métaphore de l'absence d'une prise de conscience collective ("The world is sliding away in a vortex of floating refuse"). Il nous invite à ouvrir les yeux avant qu'il ne soit trop tard ("Plastic form dead things, it is now so clear / How could I fail to understand"), et insiste, par la répétition finale, sur la présence saugrenue et irrationnelle de plastique dans les océans. Pour illustrer cela, la musique est quelque peu confuse, chaotique, mais contrôlée ; elle évoque la façon dont se déplace un sac plastique dans l'eau, au gré des courants et des vagues.


A Sight to Behold : également écologiste et alarmiste, on se tourne ici vers la surexploitation des ressources naturelles ("We drain the oceans and suck all the blood out of the soil"). Sacrifice de la Nature sur l'autel de la vanité et de l'ignorance ("We all behave like children, taking off the head of our / Teddy bear to see what's inside, taking, not giving back"), qui nous mènera à notre perte ("Tossed in the blaze, naked on the flame"). On note la référence à Mantus, divinité des enfers dans la mythologie étrusque, mais également celle d'un "giant snake", peut-être le Python céleste dans l'hindouisme, symbole de destruction et de renouveau, et donc du caractère cyclique du monde. En termes de composition musicale, on remarque surtout l'utilisation du vocodeur, qui donne un son robotique et illustre notre comportement d'Homme-machine, qui se voit comme tel et non comme faisant partie d'un tout : de la Nature. Il nous enjoint donc à avoir à un autre point de vue sur le monde ("I have to stay away from me") qui permettra de voir la réalité profonde des choses par le biais de l'introspection ("Don't have to stay away from me"), mais ne nous laissera pas avoir de réponse ("But I still don't get the point, what's worth destroying all the worlds").


Yama's Messengers : Yama, dieu hindouiste de la mort. Les "Messengers" semblent être les serviteurs de Yama qui emmènent le défunt dans son royaume, où toutes les actions de son existence son jugées ("The time has come for retribution / Now they're counting my actions"). Ce jugement semble être une autopsie douloureuse, où le corps semble se détruire, se dissoudre en vue de la réincarnation. L'ensemble sonne comme le jugement de l'humanité ("I've killed so many, I don't want to count / I spent a life raping the world"), qui finit par une demande de pardon ("Both far and near before you now I come, please help creator, faultless one").


The Silver Cord : l'interlude de l'album. Le cordon d'argent serait le lien entre le corps physique et le corps astral. Pour l'anecdote, Joseph Duplantier a créé son propre studio : Silver Cord Studio.


All the Tears : métaphore de la vie. La naissance ("I am joining now the river flow"), les souffrances ("I will have to be strong / But for now I cry all the tears"), la mort ("I left my boat behind, I am not taking it").
A mon avis le sujet principal est la difficulté de vivre à contre-courant ("I don't want to destroy / The only chance I have to survive down here"), étant Sisyphe face à d'autres Sisyphe ("They all want, they struggle, they fight and try to dry their tears").
La musique m'évoque les mouvements de l'eau, le "river flow" qui représente le cours de la vie et ses remous.


Adoration for None : duo vocal avec Randy Blythe (Lamb of God), qui donne un ton beaucoup plus trash, sa voix guttural s'alliant bien avec celle davantage criée de Duplantier, qui semblent se répondre.
Thème du self-made-man version mystique (" I decide to grab my life / With my hands", "I only adore the fact that we are the / Creators / Of our own lives"), pas besoin d'un dieu pour être soi et s'épanouir en tant que seul juge de soi-même ("There is no room for your judgment / My life is mine alone", "Responsible for my own life / I'm reborn again and again"). Nos actes font qui nous sommes, et nous devons devenir qui nous voulons ("Driven to increase my own power / By creation the purest choice").
Musicalement, ça dépote, énergique et sonne comme une révolte. C'est dense et varié, changement de rythme, de ton, etc.. On peut compter cinq sections, bien distinctes les unes des autres. Cette complexité se trouve dans la majorité des titres de Gojira, mais il me semble qu'elle est plus flagrante ici (et dans The Art of Dying)


The Art of Dying : c'est pour moi le morceau central de l'album, de par le thème abordé (comment faire face à la mort) et la structure.
Intro à base de mantras et une explosion musicale. La voix y est davantage imprégnée de colère, ronde et râpeuse. Un outro magnifique, répétitif mais avec quelques subtiles variations.
Le sujet est la préparation à la mort : le recours à l'introspection ("I've been given the gift of so small hope deep inside / I haven't close my eyes in a long time, I am trying"), avoir une vision bien claire de la vie et de la mort ("I try to keep my eyes open, I am realizing / This life and death more precious than anything"), mener une vie spirituelle et non matérialiste ("I won't bring no material in the after life / Take no possessions, I would rather travel light").


Esoteric Surgery : sur le fait que nous puissions nous soigner par nous-même par le pouvoir du psychique. Cela sous-tend la capacité de notre cerveau à avoir une influence sur notre corps, et donc de le soigner ("You have the power to heal yourself"). Le corps se détruit, se régénère, aléatoirement ("Flesh bodies mute and blinded roaming uncertain, lost / Infected misinformed"). C'est la force spirituelle qui peut guider ces changements, en contrôlant les cellules ("There is a secret code, the structure of the mind").
Batterie qui tend à la virtuosité, riffs épiques, voix parfois aérienne. C'est pour moi l'une des plus belle de l'album.


Vacuity : celle que j'apprécie le moins. A côté du reste de l'album, ce titre est bien fade. Il y a de bonnes idées, mais ça manque d'originalité. Encore le thème de la difficulté de vivre une vie que l'on construit nous-même ("The sickness of this world is destroying all the dreams"), il faut donc aller chercher au plus profond de soi et briser les barrières avec force introspection ("The only way to find the power is to look inside").


Wolf Down the Earth : encore écologiste, sur la façon dont l'humanité détruit le monde ("Burning all that, burning all that"), et que chaque individu y est soumis ("They teach you how to conquer and rule the world"). Mais il y a un message d'espoir, celui que les générations futures changeront les choses ("Inside the womb the new blood gets ready to fight").
On retrouve encore la musique imagée (je ne sais comment dire) du hurlement du loup.


The Way of All Flesh : bon là on est sur la mort. Le protagoniste est sur le point de mourir ("Pacify the disturbances of the mind / I face my own death), et fait part de ses ressentis et questionnement.
La mort est généralement érigée comme la plus grande peur, et là on a l'impression que ce n'est pas grand-chose, puisque résurrection.
Le titre est très bon dans son ensemble, mais la fin est particulièrement belle, avec un tapping qui répond au début de l'album (Oroborus) et semble boucler la boucle (cette impression étant plus forte lorsque le CD est relancé automatiquement).


Finalement, The Way of All Flesh est la métaphore d'une certaine vision de la vie. C'est un album solide, avec peu de faiblesses, original sur le fond plus que sur la forme, contrairement à From Mars to Sirius qui a apporté une vraie bouffée d'air frais dans le metal. Mais il y a toujours la technicité perfectionniste, une grande imagination musicale, et cette forme d'honnêteté que je ne saurais expliquer, qui vient sans doute du caractère très personnel des textes de Duplantier. Je n'adhère pas complètement à l'omniprésence de l’ésotérisme, mais ça a le mérite de questionner et de voir la vie (ou la mort) autrement.

Gwynplaine
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le 31 mai 2018

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