Susan Janet Ballion a mené une jeunesse turbulente accompagnée par la musique, que ce soit dans les boîtes disco ou en compagnie du Bromley Contingent. Cependant, avant le punk, la jeune femme a été particulièrement marquée par le glam dont elle a autant tiré l’influence vestimentaire que de ses amis à crêtes. En 1987, accompagnée par la même troupe que celle de Tinderbox ainsi que d’une poignée de musiciens additionnels, dont Martin McCarrick, et sous le nom que nous lui connaissons mieux, Siouxsie, se replonge dans la musique dont elle a hérité. Through the Looking Glass est né de l’envie du groupe d’en découdre à nouveau immédiatement après Tinderbox, est-ce par souci de ne pas passer trop de temps en phase d’écriture ou par réel désir de rendre hommage à d’influents artistes, les deux options sont peut-être compatibles. Car il est certain que si l’album est un album de reprises, l’intention derrière est sincère.

Première chose, John Valentine Carruthers est de retour à la guitare. C’est à noter car le poste a toujours été le plus instable dans le groupe. Je ne veux pas dévoiler la suite mais vous verrez que ce n’est pas près de finir. Deuxième chose, c’est l’arrivée de Martin McCarrick dont je parlais plus haut et qui, à partir de cet album, vient officiellement consolider le casting des Banshees avec ses cordes, ses claviers et ses tas d’instruments inédits.

Pour le reste, le noyau composé de Siouxsie, Severin et Budgie notre perruche préférée tient bon et semble plus soudé que jamais.

Le glissement semble toutefois largement engagé vers la pop et vers une mise en avant toujours plus évidente de la chanteuse devenue icône.

Jusqu’alors les Banshees n’avaient publié que deux reprises, deux morceaux de l’album blanc des Beatles avec Helter Skelter et Dear Prudence. A deux périodes différentes, les deux morceaux ont été des réussites, réappropriés avec respect. On peut éventuellement ajouter la curiosité Il Est Né le Divin Enfant, en français dans le texte (enfin il faut tendre l’oreille pour comprendre les paroles interprétées par Siouxsie, mention spéciale au quater-mille ans), dont on peut trouver une vidéo rigolote avec un Robert Smith qui frustre tout le monde en ne frappant JAMAIS dans ses cymbales !

Voici donc 10 nouvelles reprises, toutes de morceaux antérieurs à la formation du groupe qui fête à l’occasion ses 10 ans.

On commence en fanfare avec This Town Ain’t Big Enough For Both of Us de Sparks, et on sent que tout le monde est très motivé. La reprise est étonnante tant les bariolés et intenables Sparks semblent d’une toute autre planète que les sombres et sérieux Banshees. La fougue est un peu plus contenue que chez les américains, l’enthousiasme est là et la voix aux trémolos caractéristiques de Siouxsie apporte une dimension dramatique décalée. L’indispensable clavier de McCarrick n’a pas vraiment la même virtuosité kitsch que celui de Ron Mael mais c’est en tout cas un hommage vibrant, amusant et sincère. D’ailleurs, c’est la première fois qu’on entend le groupe sur un vrai morceau joyeux.

L’ambiance change en quittant les USA pour la RFA avec Hall of Mirrors de Kraftwerk. La reprise des Banshees habille le morceau dépouillé de ses arrangements plus chaleureux et de la voix de Siouxsie, autrement plus charnelle que celle du robotique Ralf Hütter. L’exercice est périlleux mais le thème du miroir colle parfaitement aux Banshees, non seulement avec le titre de l’album qui cite Lewis Caroll, mais également, on l’a vu, avec les thèmes de l’image et de l’apparence qu’on a rencontré et qu’on rencontrera encore chez les anglais.

Musicalement, le groupe a pris soin de ne pas surcharger le morceau malgré de nombreux ajouts dont la basse effacée de Severin, la guitare western de Carruthers et, évidemment, les claviers légèrement orientaux et mystérieux de McCarrick.

On poursuit d’ailleurs encore plus à l’Est, au cœur de la jungle indienne, puisque la reprise suivante, Trust in Me, n’est autre que la superbe chanson de Kaa du dessin animé de Disney tiré du Livre de la Jungle. Autant le dire, c’est superbe. Les percussions de Budgie, suffisamment ténues pour nous laisser plonger dans un sommeil hypnotique et la harpe féérique de McCarrick accompagnent une Siouxsie plus reptilienne que jamais dans la peau du sournois serpent susurrant ses suaves promesses. Le morceau gagne une dimension toute autre que celle offerte par les frères Sherman, dénuée de toute naïveté, aussi troublante que vénéneuse.

Défendre This Wheel’s On Fire ne sera pas aussi facile. Si j’aime vraiment bien le morceau, on peut s’interroger sur la pertinence de ses arrangements gothico-romantiques. Le clip est assez drôle avec ses chevauchées dans la forêt et ses coiffures improbables (mention spéciale à Budgie) et colle bien à la version des Banshees. Les cordes, plus ou moins synthétiques, et la prod typique des années 80 contrastent avec la simplicité de l’originale. N’ayant aucun attachement particulier pour l’originale de Bob Dylan, je ne peux pas en vouloir au groupe d’avoir livré sa version, certes un peu kitsch, mais encore une fois, et je me répète encore et encore, sincère.

L’ambiance est toute autre avec Strange Fruit, périlleuse reprise de Lewis Allan et surtout Billie Holiday. De façon évidente et intelligente, Siouxsie choisit respectueusement de ne pas tenter la comparaison avec l'interprète originale mais plutôt de reprendre de façon modeste et poignante ce morceau glaçant. La grande réussite est l’intervention d’un orchestre jazz à la manière d’une marche funèbre de la Nouvelle Orléans.

You’re Lost Little Girl, reprise des Doors, gagne une dimension plus sinistre que l’originale déjà assez sombre. Le lien entre les Doors et Siouxsie and the Banshees est loin d’être évident, pourtant le morceau est bien choisi et la magie fonctionne. D’ailleurs, la filiation sur les morceaux les plus contemplatifs des Banshees est repérable si on est attentif et, si discrète qu’elle fût jusqu’ici, elle se confirmera sur certains morceaux des albums suivants.

Mais stoppons tout. Car oui, voilà The Passenger, reprise de la meilleure chanson de tous les temps et par conséquent meilleure chanson d’Iggy Pop. La version des Banshees est, oui, vous allez voir c’est fou à lire, plus gaie que l’originale ! Les cuivres et les libertés que prend Siouxsie dans sa façon de chanter y sont pour beaucoup. Si la production est marquée par son époque, on l’ignorera assez volontiers tant la version des Banshees est contagieusement entraînante. Iggy Pop, bon public, n’hésite pas à couvrir cette version d’éloges, je ne peux pas décemment le contredire et je reconnais que j’aime tout spécialement cette version alternative par les Banshees.

J’espère que vous avez chaussé vos éperons et épousseté vos colts, car la reprise de Gun de John Cale ne manque pas d’une touche western. Mais pas seulement. Budgie et McCarrick ont sorti les percussions, le xylophone et le triangle tandis que les cuivres (toujours un peu synthétiques), les cordes (on est sur une reprise de John Cale) et la guitare déglinguée de Carruthers complètent le tableau. Siouxsie, très impliquée, joue de ses multiples registres. Je ne sais pas ce que pensent les plus attachés à la version originale, ni s’il s’agit là d’un blasphème (il en sera sans doute content puisque Siouxsie et Cale partageront la scène avec les Creatures en 1998), mais encore une fois l’alchimie fonctionne pour moi. D’autant plus que c’est peut-être le premier morceau où je peux tenter une filiation ou une comparaison audacieuse mais pertinente je crois, avec un autre groupe. Je me suis souvent fait la remarque que, comme souvent, trouver un équivalent français à Siouxsie and the Banshees était compliqué. Si ce n’est pas cette reprise qui m’a fait mettre le doigt dessus, elle me permet d’illustrer la révélation qui m’a un jour frappé alors que j’écoutais un autre album des Banshees en conduisant pour aller au travail : Les Rita Mitsouko ! Il y a une parenté évidente avec les Rita Mitsouko. C’est surtout dans le chant varié, puissant mais en quelque sorte primitif que partagent les deux chanteuses que j’ai retrouvé ce sentiment, mais également dans la singularité des groupes à poser des thèmes tragiques sur des mélodies accrocheuses voire naïves. Je ferme ce volet comparatif, je reviendrai sans doute dessus à un moment ou un autre quand l’impression se représentera.

Roxy Music est l’un des groupes que cite Siouxsie parmi ses favoris. C’est donc tout à fait logique qu’elle convie les Banshees sur la reprise de Sea Breezes. Là où la version de Brian Ferry et Brian Eno est d’abord totalement dépouillée avant de gagner temporairement en muscle avec sa section rythmique très glam-rock, la version de Siouxsie ondule dans des arrangement hypnotiques. La partie plus rythmée est bien présente mais elle tranche légèrement moins et sonne très Banshees, tout simplement.

L’étrange Little Johnny Jewel de Television est la dernière reprise de cet album. Siouxsie and the Banshees se concentrent surtout sur la partie II du morceau dans une version plus étoffée que son squelettique modèle. On retrouve les ambiances psychédéliques de Kaleidoscope et un peu de Tinderbox. Le groupe y prend le temps de construire son ambiance, moins étrange que l’originale mais où l’admiration est évidente.

En dix reprises, c’est un parcours mouvementé que nous ont offert les Banshees qui semblent s’être sincèrement plu à l’exercice tout en s’offrant certaines libertés qu’ils n’avaient jusqu’alors pas vraiment explorées. Chacune des reprises, et quelque soit le résultat, a fait l'objet d'un soin évident et chaque morceau a été habilement réapproprié par le groupe avec un respect total des originaux. L’apport de McCarrick sur les arrangements et la multiplication des instruments est énorme et il contribuera à définir ce que sera le son plus riche du groupe sur ces prochains, et derniers, albums. S’affranchissant de leur étiquette gothique alors que le mouvement bat son plein, Siouxsie and the Banshees préparent une nouvelle ère pour leur groupe marquée par plus d’expérimentations. Ah et oui, à la fin le groupe se sépare de John Valentine Carruthers, il s’agirait de ne pas trop s’attacher à un guitariste non plus.

I Reverend

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