Kendrick Lamar est un rappeur californien et donc de la côte Ouest. Il grandit à Compton l’un des Hoods les plus pauvres de Los Angeles. Quartier dont de nombreux rappeurs reconnus du mouvement ont eux-mêmes émergés. On peut bien sûr prendre l’exemple du groupe NWA qui émerge à la fin des années 80 et qui va placer LA sur le devant de la scène du Rap du début des années 90. Un « mouvement » dans le Rap va notamment émerger durant cette période, faisant alors la réputation d’une partie du Rap californien et favorisant l’émergence d’artistes comme Dr Dre, lui-même issu de Compton de Ice Cube ou encore d’Eazy-E. Et cette naissance d’un mouvement, est celle du « Gangsta’ Rap ». Des nuances vont alors être apportées par cette innovation dans le Hip-Hop qu’apporte le « Gangsta’ Rap », par ses dénonciations, par ses sonorités et par sa violence. Une violence qui est omniprésente à Los Angeles dans les 80’s ainsi que dans les 90’s, marquée par l’émergence du Crack ainsi que l’augmentation croissante des gangs mais aussi du racisme au sein de la Police de la ville (LAPD). C’est dans ce contexte que ce mouvement très important va donc naître et ce il est très important. Pour comprendre les inspirations des rappeurs de Compton ou même de Long Beach comme Snoop Dogg.
En effet, à la fin des années 80 les importations de Cocaïne aux Etats-Unis sont croissantes et nombreuses, alimentées par la montée du « Narco-Banditisme ». Elle est alors de plus en plus présente dans les villes américaines. Pendant une dizaines d’années, le marché est très concentré sur Miami, par la facilité d’importation par les Caraïbes, remontant très souvent jusqu’à la côte Est. Mais dans les années 80 et durant les années 90, les cartels mexicains vont connaître une véritable expansion, collaborant avec les cartels Colombiens, ils vont ouvrir une nouvelle porte d’entrée à l’importation de cette drogue ultra rentable. De plus, cette proximité avec l’Amérique Centrale, va favoriser l’émergence des gangs, culture omniprésente en Amérique Centrale. Notamment dans des pays comme le Mexique mais aussi dans des pays comme le Honduras ou encore le Nicaragua. Des gangs comme la MS-13 vont alors émerger dans les différentes grandes villes de Californie ou les diasporas hispaniques sont très nombreuses. Los Angeles est l’exemple flagrant de cette émergence des gangs, de cet apport d’une culture violente présente en Amérique Centrale. Les gangs ne vont pas se développer que dans cette communauté hispanique qui en est l’origine. Mais elle va aussi se développer chez d’autres communautés comme les afro-américains et les asiatiques. On voit même l’émergence de Gang lié à « l’extrême droite » américaine comme les Skinheads. Ici, nous allons surtout nous intéresser aux gangs majeurs liés à la scène Rap de LA. Ce sont des gangs à majorité Afro-Américaine, ayant une rivalité incongrue, où la violence est maître, pour un territoire parfois minime, comme une rue ou un petit regroupement de maisons. Car à cette époque, dans des quartiers comme Compton l’une des seules solutions pour se protéger de cette violence accrue, était de rentrer dans un gang sois même pour avoir une « protection ». Durant cette période, rares sont les jeunes adultes n’étant pas affiliés à un Gang. Ainsi, les gangs qui nous intéresse par leur présence importante dans le Rap sont les « Crips » et les « Bloods ». Deux gangs ayant donc une rivalité très forte comme j’ai pu le dire et qui prend racine dans la communauté afro-américaine. On reconnaît ces deux gangs par leurs couleurs, le bleu pour les Crips et le Rouge pour les bloods. Ces deux gangs sont très présents dans le quartier de Compton et se mènent un véritable duel de territoire, pour la vente de drogue mais aussi dans le quotidien en général. Un membre des Crips ne pourra par allez dans un secteur des Bloods même pour manger au fast-food. Compton est alors sous tension permanente durant ces années et d’autres facteurs vont venir s’ajouter à cette violente guerre de gang. Le racisme et la violence au sein de la Police de Los Angeles par exemple. En effet, la LAPD de l’époque était l’une des polices les plus violentes, racistes et corrompus du pays donnant naissance à une haine au sein de la communauté de ces quartiers. Un sentiment de rejet qu’on retrouvera dans ce fameux « Gangsta Rap » notamment avec NWA et son « Fuck The Police ». Une violence dans la police qui ira jusqu’au scandale après la bavure de Rodney King, automobiliste afro-américains, non armé et tabassé à mort par la LAPD. Un scandale qui donnera suite à des émeutes historiques en 1992 à Los Angeles et notamment dans des quartiers pauvres comme Compton où les inégalités sont multiples et que la violence des gangs est à son apogée. Les gangs aux rivalités ultimes comme les Crips et les Bloods iront jusqu’à s’unir dans ces émeutes pour dénoncer les conditions de vie dans ces quartiers à l’abandons. C’est ce contexte qui va marquer l’émergence du Gangsta Rap et des artistes comme Dr Dre, Snoop Dogg ou encore Ice Cube. Et surtout qui va les inspirer. Des artistes qui inspireront eux-mêmes Kendrick Lamar dans sa carrière, mais aussi et surtout dans cet album. Car cet album sent le Rap Californien à plein nez, il sent ce G-Funk qui a fait la réputation de LA durant ces années 90’s. Et ça fait plaisir de retrouver ces inspirations musicales remises au goût du jour par Kendrick.


Après la réussite de son album « Good kid, M.a.a.d City », où déjà Kendrick place les premières bases de son amour pour son Los Angeles natal. Il évoque avec poésie sa communauté mais surtout il la représente, face aux maux que peut connaître les habitants de Compton. L’augmentation de la pauvreté et des inégalités ont forgés la vie du rappeur, il a vu sa ville évoluer, son hood évoluer. Lui permettant d’avoir une réflexion sur ces problèmes de société. Et cette réflexion, on la retrouve grandement dans l’œuvre de l’artiste. Kendrick va en effet montrer ce dilemme entre la volonté de ne pas tomber dans le piège du « jeu » de la rue. D’où la dualité rien que dans le titre de l’album « Good Kid, Maad City », « bon gosse » contre « ville folle » grossièrement en traduction française. Cette dualité entre ces deux contraires, va se poursuivre dans l’album « To Pimp A Butterfly ». Entre la fidélité pour Compton et la poursuite de sa vie, fidèle à des valeurs loin de cette violence. Une vie loin de la violence qui est mise sous pression par la popularité croissante de l’artiste. Kendrick va alors reprendre ce paroxysme entre deux vies différentes tout en perpétuant les sonorités du G-Funk Californien, marque de fabrique de LA et de Compton. G-Funk qui est une « sous-catégorie » du Gangsta’ Rap et qui s’inspire énormément du Funk comme a pu le faire Dr Dre dans ses productions. En plus des sonorités du G-funk, Kendrick va apporter un coté jazz aux productions de son album en choisissant des producteurs différents de son précèdent album. Un jazz très inspiré de la scène de la Nouvelle-Orléans, avec de vrais instruments comme des trompètes ou un piano. On a alors des sonorités différentes mais qui s’harmonisent tout en s’inspirant de cette culture afro-américaine. Le jazz et le funk étant des mouvements ayant une grande importance, au sein de cette même communauté. Une communauté que Kendrick souhaite mettre à l’honneur par son art et qui a influencé l’artiste en lui-même. Par exemple, la référence au G-funk et donc au funk de Kendrick sera à son pic avec « King Kunta », où Kendrick rend honneur à cette mouvance avec une aisance terrible. La production est en parfaite adéquation avec les lyrics de l’artiste, on ressent dès les premières notes les inspirations Californiennes. Et quand on voit le clip de ce morceau, ce que je vous décris est d’autant plus flagrant, quand la vidéo nous plonge en plein Compton. Une introspection avec l’artiste dans son quotidien, entouré des siens qui ira jusque dans l’épicerie du hood. En plus des sonorités et de cette fidélité à ses origines, Kendrick va donc garder cette dualité entre fidélité à Compton et sa volonté de s’élever et d’éviter le piège de la rue.
On remarque ce choix par sa volonté de sobriété tout d’abords. En effet, il ne boit pas d’alcool et prend aucune drogue, même le cannabis qui a une présence culturelle importante dans le Rap, est pour lui une consommation qu’il évite à tout prix. Cette volonté est portée par les années passées, son histoire où il a vu sa communauté se détruire par la drogue et par l’alcool. Et dans cette communauté il y a ses proches, des proches qui ont été touchés par ces inégalités, par cette pauvreté et les problèmes sociaux qu’elle engendre. Un des amis proches de Kendrick est par exemple décédé à cause de la guerre des gangs au sein de Compton. Il lui fait référence et lui rend hommage au sein de ses projets et c’est ainsi que découle cette réflexion de sobriété face à la drogue dans ce cas. Une guerre de la drogue qui a totalement détruit sa communauté et qui était déjà présente dans le G-funk de Dr Dre. Sauf qu’ici, Kendrick ne glorifie en rien les gangs et la violence, contrairement au G-funk qui utilisait cette violence ironiquement pour dénoncer leurs conditions de vie. L’artiste apporte donc une réflexion autre, qui reste logique à la dualité qui hante l’artiste tout au long de l’album. Pour compléter cette réflexion, il apporte une vision beaucoup plus objective sur l’image de Compton. Prenant alors parti ni pour la violence des gangs ni pour les politiques qui laissent à l’abandon des quartiers comme Compton comme on peut le voir dans le titre « Hoods Politics ». Des politiques à LA faites d’inégalités quand on voit l’augmentation exponentielle du pris de l’immobilier dans la ville des anges et dans la Californie en général avec l’émergence de la Silicon Valley. Ainsi, des quartiers comme Compton connaissent eux aussi une augmentation des loyers significative qui a des répercussions sur la communauté du rappeur. Kendrick va alors présenter à la perfection la dualité entre attachements et défauts de Compton, entre fidélité à sa communauté et élévation personnelle.
Une réflexion et élévation personnelle qui seront très centrales dans cet album et qu’on retrouve autour du morceau « U ». Où il y évoque ses émotions les plus personnelles, parfois tabous dans le Rap. Dans ce morceau, il y évoque une dépression et son questionnement sur ce qu’y la provoque, sur ses racines. Des racines qui se rapproche de Compton et de cette dualité de vouloir sortir de cette violence ainsi que les conséquences qu’on cette violence sur l’artiste, et donc sur ses proches. Une réflexion qui encore une fois prend ses origines dans les inégalités qu’il a pu traverser et que les afro-américains de Compton doivent traverser. Des épreuves qu’il dénoncera tout en encourageant sa communauté à se « level up » au travers du célèbre et significatif morceau « Alright ». Où les paroles de Kendrick poussent son hood et sa communauté vers le haut. Une réflexion qui servira d’exemple et de courage et qui fera de cet album un véritable porte-parole du Rap Californien et surtout du Rap actuel qui a longtemps été associé à une apologie de la violence.


To Pimp A Butterfly est alors pour moi l’un des albums les plus importants du Rap Us de ces dernières années. Kendrick rend hommage à sa communauté de façon parfaite, en perpétuant les origines culturelles de celle-ci. Qu’elles soient du Jazz de la nouvelle Orléans ou encore du Funk et du G-funk de Californie. Il s’inspire de son vécu au travers de ses paroles mais aussi au sein de ses racines culturelles, faisant la force musicale de l’album. De plus, parallèlement il porte un message et une réflexion qui lui est propre et qui poussera vers le haut sa communauté. Aujourd’hui ce n’est pas pour rien que lorsque des manifestations contre le racisme ou les bavures aux Etats Unis, le morceau « Alright » est scandé par la foule. Montrant à la perfection la résonnance des propos de Kendrick mais aussi la volonté de s’exprimer autrement, que par la violence. L’artiste de Compton perpétue alors l’engagement de ses ainées, Dr Dre ou Ice Cube en apportant une pierre personnelle à l’édifice de « GoodKid » face à la « Maad City ».

Asmara24
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le 21 mars 2022

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