A vrai dire...

C'est dans le "Sixteen Candles" de John Hughes qu'il est possible d'observer "True" dans son élément naturel. Les premières notes du tube de Spandau Ballet résonnent dans le gymnase reconverti en piste de danse et les corps de sexe opposés se rapprochent immédiatement, avec un naturel désarmant. Quelques accords cristallins enveloppés par de subtils claviers suffisent pour constituer le compagnon idéal des émois adolescents, un des slows les plus élégants de la décennie.

Ce qui est plutôt ironique lorsqu'on s'intéresse à l'origine du morceau.

"True", troisième single de l'album éponyme, trouve son origine dans l'amour non-réciproque entre le compositeur de Spandau Ballet, Gary Kemp, et la chanteuse d'Altered Images, Clare Grogan. Bien qu'il soit aujourd'hui un grand classique de la new wave et un habitué des compilations 80's, le single nous fait oublier qu'il représente une curieuse étape dans la carrière de Spandau Ballet.

À leurs débuts, le groupe était motivé par la volonté de produire une musique inspirée par les sons dance du club Blitz de Londres, alors fréquenté par les membres du groupe. La volonté d'être un porte-étendard d'une génération ne réussit qu'un temps : après quelques succès, Gary Kemp commença à souffrir du syndrome de la page blanche, réussissant difficilement à produire les morceaux constituant leur deuxième opus studio, "Diamond".

"True", l'album, est un virage aussi stylistique que philosophique. Ce qui frappe à son écoute, c'est comment tout semble une évidence pour Spandau Ballet. Les morceaux s'enchaînent avec une grande fluidité. Les refrains restent en tête et invitent à les chanter à tue-tête. La recette est à peu près toujours la même mais ce n'est aucunement un problème, tant le disque transpire de sincérité.

Derrière le vernis pop faisant supposer que tout ce qui sonne bien est capable d'être énoncé clairement, la musique de Spandau Ballet est en vérité un amalgame d'idées et d'influences contradictoires. Le morceau titre convie ainsi à lui tout seul Valdimir Nabokov, Marvin Gaye, Al Green, Grove Washington Jr. et David Bowie. Excusez du peu !

Loin de constituer une bouillie indigeste, Spandau Ballet nous rappelle que la vérité s'exprime bien loin des sentiers bien ordonnés. "This is the sound of my soul", on ne pourrait pas l'exprimer plus justement. Bien que l'âme ne soit pas corporellement matérialisable, Spandau Ballet est l'un des représentants les plus organiques de la new wave, bien éloigné des heures les plus froides d'Ultravox ou la cérébralité déjantée des Talking Heads. Le choix de quitter le monde de la musique dance pour retrouver des racines soul est judicieux, cela se ressent notamment dans la manière dont les voix sont utilisées. J'ai notamment un faible pour la large tessiture émotionnelle de Tony Hadley ou la manière dont Gary Kemp s'y adjoint de manière fugace à travers de courtes harmonies, dédoublant un instant le sentiment exprimé, renforçant son pouvoir fédérateur, tel qu'il est possible de l'entendre sur "Gold", autre grand tube du groupe.

La musique de Spandau Ballet est un exemple parfait pour mettre en valeur les nombreuses qualités de la new wave. Au-delà de la musique même, il est vraiment agréable de pouvoir entendre une autre proposition de masculinité, notamment cette affirmation qu'il est possible d'exprimer ses émotions avec sincérité, sans devoir en passer par des mascarades faussement viriles. "True" porte définitivement bien son nom.

Source : https://www.theguardian.com/culture/2012/may/14/how-we-made-true-spandau-ballet