Bill Evans - Jim Hall – Undercurrent – (1962)
Voici un classique du jazz et, sans doute même, cet album pourrait-il être qualifié de chef d’œuvre. On pourra cependant regretter sa brièveté, il file tellement vite, et en même temps tellement haut, qu’il suspend son vol tout là-haut et nous laisse ici-bas, pantois…
La pochette déjà surprend, en cette année soixante-deux, aucune inscription, ni titre, ni nom de musicien, simplement une mystérieuse photographie en noir et blanc qui attire immédiatement le regard. Disposez-la sur un mur au milieu de cinquante, elle conservera sa fonction hypnotique et attirera l’œil avec force…
La magie d’une femme flottante, habillée dans une robe légère, blanche, qui se découpe sur la masse sombre de l’eau. Elle semble suspendue sous la ligne d’eau, le visage caché, par la nécessité de respirer, bras tendus et jambes figées dans leur mouvement.
Viennent les vers de Rimbaud :
« Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir ;
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir. »
Cet album est le rare mariage réussi entre deux instruments harmoniques, rien ne se dispute et tout se complète comme un, juste tendre l’oreille et déjà tomber dans le ravissement.
Bill Evans vient de perdre son fidèle contrebassiste, Scott La Faro, dans un accident de voiture, à qui songe-t-il en enregistrant ces faces ?
Jim Hall est lui aussi tout simplement merveilleux, en fraternité complète envers le pianiste, l’un s’effaçant pour faire place à l’autre et le soutenant comme pourrait le faire le plus subtil des batteurs, ou le plus chaud des contrebassistes…
Ils sont quatre, ils sont trois, puis deux et finalement un, ce disque s’écoute avec le cœur…
Chaque pièce est une merveille, mais on peut pencher d’un côté ou de l’autre, l’extraordinaire « My Funny Valentine » dévoile déjà beaucoup, l’incroyable « Romain » étonne encore, ou le rêveur « I Hear A Rapsody », ou encore le tendre « Skating In Central Park ». La dernière pièce « Darn That Dream » clos les bans et laisse sans voix, et on repense au mélodique « Dream Gypsy », où que l’on regarde ne se trouve qu’une fragile beauté…
La pureté cristalline du son est recherchée sur un album comme celui-ci, on compte plus de cent quarante rééditions et chacune fait l’objet de commentaires, l’original fit longtemps sa loi, ce qui en fit un objet cher.
Mais le temps passant et la technologie évoluant, la version « Pure Pleasure » de deux mille douze, remasterisée ouvre la suite de magnifiques rééditions, pour un album de simplement une demi-heure… Mais il est des moments où la durée s’efface devant la masse, car ici passe des notes qui valent bien une demi tonne…