Varech
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Varech

Album de Henri Texier (1977)

Ces lignes s’écrivent le lendemain du sacre de l’équipe de France de football. 20 ans que l’Hexagone attendait le retour du trophée Jules-Rimet dans ses contrées, consacrant une jeune équipe bouillonnante de talents. Le temps est alors venu pour les hommages en tout genre, qu’ils soient politiciens, populaires ou étrangers. Henri Texier, du haut de ses 73 berges, a certainement dû apprécier, comme bon nombre d’entre nous, la victoire de nos bergers, étant parvenu à faire rentrer le ballon-mouton à 4 reprises dans les buts-bergerie croates. Henri Texier, lui, a reçu son plus bel hommage 2 ans auparavant, en 2016, année de la déconvenue des Bleus en finale de l’Euro : un prix in Honorem, décerné par l’Académie Charles-Cros, pour l’ensemble de sa carrière. Qui sait, peut-être que c’est le contrebassiste qui a montré la voie aux valseurs du ballon rond. Lui qui a connu de tant glorieux coéquipiers (entre autres Chet Baker, Art Taylor, Kenny Clarke…), joué dans les plus éminents stades (les suintants caves et clubs parisiens), été un des joueurs précurseurs des rencontres jazz en France. Une Contrebasse d’Or vient tout simplement sanctifier le grand qu’il est. L’occasion est rêvée de jeter notre dévolu de supporter dans l’un de ses grands moments : Varech s’élance sur la pelouse.


Imaginer le jazz français sans Henri Texier, c’est comme invoquer la victoire finale des Bleus en oubliant l’action de Didier Deschamps : impossible, intolérable, importun. Le jeu est mis en œuvre par un artisan qui, infatigable et insatiable, compose sans relâche. Assisté par un soupçon de génie, il imprime de sa pâte l’histoire de son domaine de prédilection. Tout comme le football français doit énormément au 3e personnage de l’épopée du ballon rond à avoir remporté la Coupe du monde en tant que joueur et en tant qu’entraîneur, le jazz hexagonal a vu les crampons d’Henri Texier laisser sa trace sur le terrain du chabada. Deschamps a les Bleus générations 2018, Henri Texier a Varech, tous deux étant monumentaux.


Le match commence. Les « Là-Bas » résonne dans l’antre. Sauvage, déterminé, acrobate, il regarde droit devant, vers les cages adverses. Il semble savoir, dès les premières minutes, qu’il va marquer, que le match sera pour lui. La basse retentit, semblable à des crampons feu follet, dans Quand le Blues s’en ira. Le combat est haché en milieu de terrain, devenu no man’s land pour tous ceux qui n’aimeraient se faire emporter par le rythme tourbillonnant invoqué par le coach Texier. Les sonorités enfoncent les lignes adverses, Texier maîtrisant de bout en bout les combinaisons apprises sur les instruments qu’il use dans cette partie. L’éléphant, Varech, ou L’écluse témoigne de son extraordinaire conduite de balle-mélodie, sa voix faisant même tressaillir la montagne N’golo Kanté alors que Neymar se jette immédiatement à terre, démuni. Dominateur dans le jeu, il laisse parler sa technicité dans Terre-Basse où, simple, des petits ponts de contrebasse, des passements de jambes de cordes, des roulettes de maracas font frissonner l’assistance. Alternant avec cette facette romantique du sport beau, sublimé dans Angèle, il enfonce le clou par une efficacité chronique, commune à toutes les phases de jeu qu’il introduit dans la rencontre de cet album. Enfin, la partie s’achève sur une dernière envolée du Zinédine Zidane du jazz : défiant la défense adverse, histoire de les faire danser une dernière fois, L’ultime Danse nous rappelle l’universalité du football et de l’héritage laissé par chacune des contrées à ce sport parmi les sports. Texier puise dans l’influence nord-africaine, haletante avec les gazons désertiques, le renard des sables devenant le renard des surfaces ; eurockénne avec la nervosité et son bitume, la rigueur de son organisation parvenant à un jeu solaire paroxystique. Il faut tout pour un football d’exception, il faut tout pour un album remarquable, il faut tout pour faire un monde.


Le match se clôt. Sous l’œil guilleret d’un stade enchanté de la prestation donnée en son sein, Deschamps et Texier se congratulent, tous deux émus. Ce qu’ils ont réalisé est immense. L’amour du jeu et le goût de l’aventure soulèvent la Coupe.
Une fois la fête ayant battu son plein, Henri Texier se dépêche de retourner à son antre. Il lui est venu l’idée d’incorporer des vuvuzelas dans ses prochaines compositions. C’est sûr, le doublé historique en Coupe du monde est à portée de mélodies.

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le 16 juil. 2018

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