"You're under arrest / 'Cause you're the best !"

En 1984, Gainsbourg débutait « Love on the beat » avec les cris de jouissance singuliers d'une Bambou ayant l'âge d'être sa fille, puis le concluait en dévoilant l'organe fragile de sa propre progéniture. Après ce grand écart ambigu entre sexe sans tabous et fruit défendu, on pensait la boucle bouclée. C'était sans compter sur la fascination qu'il éprouvait depuis toujours pour les femmes plus jeunes (Bardot, Birkin...), et le trouble qu'exerçait indéniablement sur lui la transformation physique de Charlotte. Trois ans et des milliers de paquets de Gitanes plus tard paraîtra donc « You're under arrest », témoin d'une relation amoureuse interdite entre un homme âgé et une gamine délurée. Et ultime bras d'honneur menotté de l'artiste envers la morale bien-pensante.
Gainsbarre, son autre lui, tremperait en effet dans une sombre histoire de détournement de mineures, si l'on en croit la pochette du disque. Les photos sont peu flatteuses, mais la mise en scène est parfaite, et le dossier semble chargé : empreintes digitales, profils, motif de l'inculpation, fringues de clodo, barbe de dix jours, tampon rouge, vieille machine à écrire dégueulasse. Le portrait même du type en cavale, courant derrière les problèmes.
Ici, le problème s'appelle Samantha. Le chanteur nous refait le coup de la muse musicale, façon Melody ou Marilou. Comme la leur, l'histoire de Samantha semble plutôt dramatique, cocktail alarmant de sexe, drogues et rock'n'roll. Elle est jeune, très jeune. Trop jeune aux yeux de la loi, mais déjà trop adulte dans sa tête, pour s'adonner ainsi aux pratiques les plus débridées. On imagine que son enfance lui a été volée. Le narrateur, quant à lui, a l'étoffe d'un petit truand pervers, d'un tocard qui traîne dans les quartiers louches du Bronx, où même les flics sont corrompus (voir le texte de « You're under arrest ») ; un paumé, mais qui sait se rendre attachant par son cynisme (« Glass securit ») ou sa sensibilité lucide. On emploiera donc volontiers, pour le qualifier, le terme « d'antihéros ». Gainsbourg, passé derrière la caméra pour tourner des clips ou des films, semble avoir conçu cet album comme un court-métrage, avec son intrigue un peu floue, son univers cradingue, ses personnages torturés, ses scènes intimistes ou impudiques (l'épilation sur « Dispatch box » !). Un mélange de pathos et d'érotisme provocateur qui n'est pas sans rappeler, au final, sa propre vie à l'époque.
Après écoute, l'aspect tragique se révèle toutefois très relatif. Il n'y a guère que dans « Aux enfants de la chance » (sorte de rédemption tardive concernant l'abus de substances illicites) ou « Gloomy Sunday », concentrant solitude extrême et envies suicidaires, que celui-ci prend l'auditeur à la gorge. Même la fameuse « Mon légionnaire », racontant la mort d'un soldat, fait preuve d'un certain détachement, aussi bien dans les paroles que la musique, entraînante, rythmée. Dans l'ensemble, les influences funk, plus marquées encore que sur « Love on the beat » (en particulier au niveau des basses et des guitares), mêlées à des chœurs lumineux, rendent le disque paradoxalement « enjoué » et dansant. De la liaison à sens unique qu'il décrit sur la plupart des morceaux, notre faux héros ne semble donc vouloir garder que des souvenirs vaporeux, pour éviter de souffrir. Le groove lascif vient contrebalancer ses pensées négatives, ses expériences sexuelles sans lendemain.
Car pour ce qui est de la thématique majeure, il ne faut pas se leurrer, Gainsbarre reste Gainsbarre, et « You're under arrest » sent le plan cul à plein nez. A tel point que les rimes en « x » sont légion : trop racoleur pour certains, astucieux pour les autres. Et s'il est vrai que cette œuvre ait pu être créée comme un film, on pensera forcément à un porno... Mais d'auteur ! Nous ne sommes pas là dans une débauche sans queue ni tête (pardon) ; les textes restent intelligents, travaillés, pleins de trouvailles malicieuses, de double-sens sournois, de jeux de mots roublards, de références cinématographiques ou littéraires, voire de poésie (« Mon glass securit éclate en petites particules / J'évite de les mettre en orbite sur ta chrysalide...», dans « Glass securit »). Sans parler de l'utilisation massive mais maîtrisée, et à présent coutumière, du « franglais » ; citons encore « Five easy pisseuses » (« De mes cinq petites pisseuses, j'ai préféré la six / J'les avais limées, limées, limite jusqu'à l'intox... »), « Suck baby suck » (« Suck baby suck / Sur le laser de Chuck Berry Chuck...»). Des titres marquants qui constituent la partie émergée de l'iceberg. Car cet album, c'est aussi, comme je l'ai déjà précisé, la triste résignation d'un sentimental éconduit, qui voudrait voir naître l'amour là où il n'y a, de la part de sa compagne immature, que de la baise (« Shotgun ») ou des jeux égoïstes et dangereux (« Baille baille Samantha »).
Alors voilà. Tel épris qui croyait prendre. Au final, notre type se retrouve en tôle, et Samantha, on ne sait pas ce qu'elle devient. On n'a jamais trop su ce qu'elle était, d'ailleurs, à part une lolita camée. Mais ce qui compte, en fait, c'est l'histoire, cette romance déglinguée qu'ont vécu les deux personnages principaux. L'alchimie improbable de leur attirance / répulsion. Son mystère. Et c'est pour essayer de le résoudre qu'il vaut la peine de se pencher sur ce disque.

Créée

le 22 déc. 2011

Critique lue 1.7K fois

11 j'aime

1 commentaire

Psychedeclic

Écrit par

Critique lue 1.7K fois

11
1

D'autres avis sur You're Under Arrest

You're Under Arrest
Psychedeclic
8

"You're under arrest / 'Cause you're the best !"

En 1984, Gainsbourg débutait « Love on the beat » avec les cris de jouissance singuliers d'une Bambou ayant l'âge d'être sa fille, puis le concluait en dévoilant l'organe fragile de sa propre...

le 22 déc. 2011

11 j'aime

1

You're Under Arrest
Angie_Eklespri
8

Tequila Aquavit

 Un dernier petit coup pour la route ? Serge a usé et exploité le filon jusqu’au bout, jusqu’au trou du cul. Le tempo laid back. En mâchant les mots derrière le micro, qu’on ne comprend...

le 14 mars 2019

5 j'aime

1

You're Under Arrest
DiraLark
10

Simply the best ?

Musicalement parlant c'est juste le meilleur album du gars, voire le meilleur album français de tout les temps : je ne vois juste pas qui pourrait prétendre s'y mesurer ... Toute la dynamique...

le 14 avr. 2020

3 j'aime

1

Du même critique

Disintegration
Psychedeclic
10

Le meilleur album des Cure

1988. Année calme pour les Cure : Le « Kissing tour » se termine, et il fut couronné de succès. Le groupe est devenu une figure majeure de la scène musicale internationale, à tel point que l'on parle...

le 22 déc. 2011

70 j'aime

5

Fenêtre sur cour
Psychedeclic
5

Simple vitrage

J'ai trouvé "Fenêtre sur cour" vraiment décevant... Mais il ne faudrait pas le dire, parce que vous comprenez, c'est du Hitchcock. C'est pourtant une oeuvre qui a extrêmement mal vieilli. Pendant...

le 16 oct. 2010

57 j'aime

16

Les Valseuses
Psychedeclic
5

Ca bande mou

Je vais finir par croire que j'ai un problème avec les films dits "cultes". En voici encore un encensé par la plupart des gens qui ne m'a que moyennement convaincu, même si je comprends bien pourquoi...

le 7 juin 2011

52 j'aime

3