Ce tome fait suite à Say You Want a Revolution (épisodes 1 à 8). Il comprend les épisodes 9 à 16, parus en 1995/1996.


La première scène correspond à un retour en arrière en 1992, mettant en scène un jeune Gideon Stargrave (King Mob) et John-a-Dreams (un précédent Invisible) découvrant une tête de pont de l'invasion extradimensionnelle. Ensuite, la narration reprend juste où s'était arrêté le tome d'avant : la cellule des Invisibles (King Mob, Boy, Lord Fanny, Ragged Robin et Jack Frost) coincés dans un moulin doit échapper à la brigade de Myrmidons alors qu'ils ne disposent que d'un couteau et un revolver. Épisode 10, Papa Guedhe (ou Baron Guédé, connu également sous le nom de Jim Crow) est appelé pour démêler une histoire de zombies, des possessions de corps d'individus noirs par de riches blancs. Épisode 11, de nos jours une créature horrible (le Moonchild) hante le château de Macbeth. Épisode 12, Bobby était l'un des gardes dans la maison de redressement où fut envoyé Dane McGowan. Qui était-il ? Épisodes 13 à 15, le lecteur découvre le passé de Lord Fanny. King Mob et Lord Fanny sont traqués par Lewis Brodie, un mercenaire à la solde de l'Église du Dehors (Outer Church). Épisode 16, Dane McGowan subit une nouvelle illumination imposée par des petits extraterrestres à la peau verte. Il doit aussi se battre contre Sir Miles Delacourt, un haut dignitaire de l'Église du Dehors.


Dès le premier tome, Grant Morrison plongeait dans les mystères de la révélation. Cette série est pour lui le véhicule par lequel il expose ses lecteurs à ses explorations ésotériques pour découvrir le sens caché du monde, le sens secret de la vie. La différence essentielle avec les autres comics de ce genre réside dans le fait que Morrison ne se contente pas d'utiliser les particularités superficielles de telle ou telle croyance. Le lecteur découvre que c'est un créateur passionné qui s'adresse à lui, un scénariste pour qui cette quête a revêtu un caractère vital. Et cette passion transfigure le récit, sans le rendre hermétique.


Heureusement, Morrison a choisi une structure narrative morcelée (une histoire différente par épisode, sauf 13 à 15) qui rend beaucoup plus facile la lecture de ces épisodes très denses. De plus il incorpore des éléments de fiction (les créatures issues de l'imaginaire de H.P. Lovecraft). Le lecteur lit bien une histoire prenante avec beaucoup de suspens et des personnages très particuliers et uniques. La brièveté de chaque histoire assure des respirations régulières bienvenues (et des recherches pour se renseigner sur un thème ou un autre).


L'immersion en territoire culturel commence dès le premier épisode avec le nom des hommes de main (les Myrmidons) qui renvoie à un mythe de la Grèce antique. Les dessins de Jill Thompson sont simples à lire, détaillés et réalistes à destination d'adultes (éloignés d'une esthétique ronde).


Avec le deuxième épisode, Morrison utilise la culture vaudou. Il ne se limite pas à évoquer les loas et Baron Samedi. Il utilise un personnage moins connu (Baron Guédé) qu'il rattache à l'histoire des noirs aux États-Unis en l'appelant Jim Crow (terme ségrégationniste pour désigner les noirs après la guerre de sécession). On est loin de superpouvoirs à l'ersatz de vaudou, mais bien au coeur de ces croyances, dans une présentation respectueuse (même si Morrison invente Baron Zaraguin pour les besoins de l'histoire). Les illustrations de Chris Weston sont détaillées avec un encrage un peu baveux qui apporte une touche âpre parfaitement adaptée.


L'épisode avec Moonchild renvoie à la fois à Lovecraft, mais aussi à Aleister Crowley, marié à un retour à la chasse à courre avec des humains comme gibier. John Ridgway est parfait pour faire ressortir la noirceur de ces pratiques, comme il l'avait déjà prouvé dans Original Sins.


L'épisode d'après déconcerte par sa simplicité car Morrison propose l'histoire d'un homme de main (dans une chronologie un peu bousculée quand même). Il souhaite montrer comment un individu peut passer dans le camp des "méchants". Steve Parkhouse ("Bojeffries saga", avec Alan Moore) a un style un peu anguleux et un peu cartoon déconcertant, mais très prolétaire dans l'âme.


L'histoire de Lord Fanny se déroule au Mexique et utilise les arcanes de la mythologie aztèque (à commencer par Quetzalcoatl, mais bien plus encore). Morrison s'approprie cette mythologie pour travailler sa cosmogonie et un autre rite de passage, assez éprouvant, mais non dénué d'humour. Le lecteur retrouve les dessins de Jill Thompson aussi féminins qu'adaptés aux horreurs du récit. Enfin Dane McGowan continue de chérir sa liberté et sa rébellion. Les dessins de Paul Johnson dispose d'un encrage légèrement soutenu parfaitement adapté.


Morrison construit un édifice d'une rigueur impressionnante où beaucoup d'éléments ont plusieurs significations (par exemple les dieux vaudous sont parfois appelés les Invisibles). Il y a également un certain nombre d'éléments récurrents de natures diverses. Le lecteur retrouve la même phrase dans différents contextes ("It's only a game. Try to remember."), comme un leitmotiv. Parmi ces éléments récurrents, il y a aussi le graffiti "Barbelith" ("inscription sur le mur", signe de destin funeste, évoquant un passage du Livre de Daniel dans l'Ancien Testament), le rouge à lèvre de Lord Fanny (offert par sa grand-mère), le livre "The killing moon" de Kirk Morrison (une autre identité de King Mob), etc.


Le lecteur plus averti repérera également des clins d'oeil inattendus à des dessinateurs de comics comme Rob Liefeld (page 10, épisode 13), Dave Gibbons (p11, é13), Gilbert Hernandez (p12 à 15, é13) Frank Miller (p16/17, é13), Howard Chaykin (p9, é15). N'oublions pas quelques références à la culture populaire comme Pamela Anderson, la Princesse Diana, la chanson "Bad" de Michael Jackson, etc. Morrison rajoute une couche d'ésotérisme avec les menstruations d'un arbre, le troisième oeil, la symbolique du ruban de Möbius, et le nombre 23 élevé au rang de symbole, etc. Sean Phillips se déchaîne pour des couvertures mémorables dont celle de l'épisode 15 avec des lèves de bouche féminine à la verticale (symbole sexuel par excellence).


Grant Morrison poursuit son voyage en immersion profonde dans l'ésotérisme, dans de brefs chapitres qui aèrent la lecture et facilite l'assimilation de la myriade d'informations et de réflexions. Il joue également avec les motifs visuels, la chronologie bousculée et il n'hésite pas à mettre côte à côte plusieurs cosmogonies à l'échelle planétaire. Les différents illustrateurs réussissent à mettre ce voyage hallucinant en images intéressantes et lisibles. Les Invisibles continuent leur combat contre l'invasion dans Entropy in the U.K. (épisodes 17 à 25).

Presence
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le 16 sept. 2019

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