Zola au pays du soleil levant
Loin du Roi Léo et autre Astro Boy, Osamu Tezuka offre à son public une œuvre en 3 volumes (assez conséquents) qui respire le drame familiale dans un décors de Japon post-WW2.
Ayako c'est l'histoire de Jiro Tengé, prisonnier de guerre, de retour dans sa famille en 1949. Les Tengé sont une famille de riche propriétaire terriens dont les nouvelles lois installés par l'occupant américain ont mis à mal les terres. La famille Tengé a donc perdu une partie de ses richesses et le père, qui dirige toute la famille (et quasiment tout le village, dans une ambiance très féodale) a eu, pendant ce temps, un nouvel enfant : Ayako, une petite de 4 ans, dont la mère est en réalité Sué, l'épouse de Ichiro, l'ainé de ses enfants.
Vous commencez à vous perdre au niveau des noms ? J'en remet une couche alors : les Tengés ont encore deux autres enfants, Naoko, une lycéenne qui se cache pour soutenir le parti communiste japonais et Shiro, le plus jeune, particulièrement intelligent et malicieux.
Bref, on revient à Jiro, il est de retour au Japon mais entant qu'espion à la solde des américains. Or, suite à un meurtre qui tourne mal, la famille est forcée d'enfermer Ayako dans une cave et de faire croire à sa mort, étant donnée qu'elle est devenue un potentiellement témoin gênant. La pauvre Ayako, 4 ans, est alors enfermée pour 22 longues années. Les 3 tomes vont suivre sa vie sous la forme suivante : le tome 1 est une introduction, le tome 2 l'enfermement et le troisième et dernier, la libération.
Alors, oui, techniquement je vous ais spoilé le final du premier tome, sans vous dire, cependant tout ce qui se développe à travers ça. Car le génie de Tezuka est de nous montrer l'évolution d'une société, cette fusion étrange entre la modernité qui voit le jour et vie encore traditionnelle, emprisonnée dans des principes féodaux.
A travers son récit, Tezuka ne cache rien, il réfléchit à l'évolution du Japon d'après-guerre, à sa manière de se remettre sur les rails, à son rapport avec les Etats-Unis. Il offre une réflexion profonde sur l'ensemble du système japonais, celui de plusieurs époques.
Mais Tezuka offre aussi une histoire d'êtres humains, d'individus. Dans la famille Tengé, le vice a élu domicile. Les Rougon-Macquart s'y sentirais chez eux, car aucun membre ne paraît bon, ne paraît réellement gentil. Tezuka propose en effet, de montrer que même les héros (Ayako, Sué, Naoko, Jiro, Shiro) ont tous des vices en eux. Tous, d'un point de vue ou d'un autre sont détestables. De l'autre côté, les "méchants" (Ichiro, le père) voient des justifications apparaître (la pression familiale, le besoin de reconnaissance pour Ichiro) ou en tout cas, leurs qualités sont mises en avant (la bonté du père envers Ayako, sa force de caractère).
Seuls les policiers ont le droit à une belle mise en avant. Pour autant, leur sort n'est pas parfait.
Un des points forts du récit est que derrière le style calme de Tezuka, derrière son coup de crayon très doux, on a une véritable violence. On sent la puissance et l'intensité des sujets traités. Le sexe et le meurtre sont omniprésents et clairement Ayako n'est pas à faire lire à n'importe qui.
L'histoire avance, évolue. On regrettera certaines ellipses temporelles trop grandes et des déplacements géographiques parfois trop important. On pourra trouver dommage les changements de narrateur et le fait de perdre de vue certains personnages pendant pas mal de pages. Certains choix scénaristiques apparaitront même comme surprenant, mais globalement l'oeuvre est parfaitement réussie sur les deux premiers tomes. Seul une partie du troisième baisse un peu le niveau. Mais les deux premiers me faisaient mettre un 10 tant c'est réussi.
Ayako est une leçon d'histoire, une leçon de style, de dessin, de mise en page. C'est, comme souvent avec Tezuka, grandiose. Mais la noirceur du récit et des propos ne cachent pas la luminosité du génie du Dieu du manga !