J'évoquais dans ma chronique de L'Asile d'Arkham (Grant Morrison & Dave McKean ; 1989) le regain d'intérêt que connut l'industrie du comics pour le personnage de Batman suite à la courte série Dark Knight (1986) de Frank Miller, en soulignant que comme la plupart des créations à vocation commerciale les productions ainsi engendrées ne présentaient pour la plupart qu'un intérêt limité. Ce Justice digitale se place à part dans le lot, pour deux raisons : la première concerne l'univers de ce récit puisqu'il s'agit à ma connaissance de la première aventure de Batman dans un environnement cyberpunk, alors que la seconde concerne la facture puisque ce comics fut tout entier dessiné sur ordinateur – soit une technique à l'époque pour le moins balbutiante et donc bien plus difficile à mettre en œuvre que de nos jours.


Si le récit présente en lui-même assez peu d'intérêt, car en dépit d'une idée de départ assez originale son exécution laisse hélas pas mal à désirer, il mérite malgré tout qu'on s'y attarde. Malgré les clichés habituels – même pour l'époque – sur les cités du futur proche informatisées à outrance, le manque d'inspiration parvient à dissimuler ces maladresses en situant le récit dans un univers de super-héros qui, comme la plupart des itérations de ce genre précis, ne se caractérise pas par une profondeur quelconque du propos ni une véritable complexité psychologique. Encore que je devrais plutôt dire le prolongement d'un univers de super-héros puisque, ici, le super-héros et le super-vilain sont en fait tous deux morts depuis des lustres, mais la magie du virtuel et des réseaux saura les ramener. Au moins en partie...


Et peut-être pour faire correspondre le thème du récit à la facture de l'ouvrage, Pepe Moreno choisit de le réaliser entièrement sur ordinateur. À moins que ce soit son intérêt pour l'infographie et l'informatique qui l'ait poussé à choisir un univers cyberpunk, ce qui n'étonnerait pas... Quoi qu'il en soit, Justice Digitale s'affirme surtout comme un excellent moyen de mesurer le sens de l'expérimentation graphique de l'auteur, même si celui-ci utilisait souvent des techniques originales – à défaut de vraiment expérimentales – dans la plupart de ses productions jusque-là. Et comme les limites technologiques de l'époque ne permettaient que très difficilement à un artiste isolé de faire mieux que ce que propose Justice Digitale, on peut pardonner les diverses maladresses ainsi que les quelques solutions de facilité qui pointent leurs pixels ici et là.


Par contre, ce qui intéresse davantage, c'est que Justice digitale reste à ce jour encore la dernière incursion de l'auteur dans le domaine du comics, du moins pour ce que j'en sais. Il s'est par la suite consacré au jeu vidéo avec la création de Hell Cab (1994) et de la série des BeachHead (2000-2002), qui connut son succès. Justice digitale se présente donc comme une étape importante dans la carrière de cet artiste hors norme puisqu'elle signe son passage d'un média à l'autre.


Mais c'est aussi une aventure de Batman pour le moins atypique, sur le fond comme sur la forme, et qui vaut bien le coup d'œil si vous aimez les productions qui sortent des sentiers battus.

LeDinoBleu
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le 17 sept. 2011

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