1988 est une année centrale pour Batman, entre Killing Joke et A Death in the Family, le moins qu'on puisse dire c'est que l'univers du chevalier noir évolue. Véritable ère de la modernisation, Batman, trop lisse dans les années 60, voit son monde redécouvrir un réalisme fatal. En effet, pour faire face à Marvel et à sa période "sombre" (annonçant la naissance d'Image Comics), DC va mettre en place une véritable modernisation, allant de la 1988 à 1995, aboutissant ainsi à l'époque moderne. A Death ine the Family est connu pour être le moment où on laisse le public choisir si Robin doit vivre ou mourir, non pas le Robin historique : Dick Grayson, devenu depuis quelques temps déjà, Nightwing, mais Jason Todd, devenu Robin depuis 1983. Le moins qu'on puisse dire c'est que Todd aura un CDD non-renouvelable. En effet, les lecteurs ne vont pas vraiment l'apprécier, on peut les comprendre : Dick a cessé d'être Robin car il avait un côté trop rebelle ... Or le nouveau Robin est justement un rebelle, ancien petit délinquant, manquant de calme et de sérieux, il prend son costume après seulement 6 mois d'entrainement.
Dans ses conditions, rien d'étonnant à ce que le public ait voulu le voir mort. En même temps, c'était aussi l'occasion de faire s'engouffrer le réalisme dans le monde de Batman : la mort ! La mort est quasiment absente, de manière ironique, chez Batman, les morts sont soient dans le passés, avant d'être justicier masqué (les parents Wayne, les parents Grayson) soient des anonymes qu'on remarque à peine en arrière plan. Ici, c'est différent, un personnage principal, Jason, va mourir, marquant ainsi de manière définitif Batman.

Tout le long de l'histoire, on sent la tension monter, on sent que quelque chose de grave va arriver, jusqu'à la mort de Robin, abattu par le Joker. La Némésis de Batman a été trop loin : il a mis fin aux jours de l'enfant prodige ! Cette scène est d'ailleurs d'une grande violence, puisque Jason, qui doit avoir environ 16 ans, se fait battre à coup de barre de fer, recouvrant le Joker de sang tant la scène est violente !
Après ce passage, on a le droit à la suite du combat entre Batman et le Joker, un combat qui devra être définitif, quand bien même cela serait illégal vu la nouvelle position diplomatique du Joker. Il y a un goût d'histoire final, de dernier affrontement, même si on sait tous que cela ne peut pas être le cas. C'est aussi l'occasion d'avoir un Superman, qui apparait/disparait bien trop facilement à mon goût.
Nous avons ensuite la naissance d'un nouveau Robin, une naissance qui est longue. En effet, la caractéristique de Tim Drake (en plus d'être un fouineur à tendance chouineur) est de ne pas vouloir être réellement Robin. Bien sur il l'espère, mais uniquement parce qu'il voue un véritable culte à Batman&Robin. Tout ce qu'il espère c'est que le duo dynamique se reforme et en cela, on peut voir une sorte d'incarnation du lectorat. Robin doit exister, quitte à être différent. Et comment pourrait-il être différent ? En n'étant pas comme Jason. Le nouveau Robin ne sera pas un rebelle, ou sur de lui, il ne sera même pas un combattant. Non, le nouveau Robin comprendra immédiatement tout le symbole qu'est le costume, il comprendra le danger, il préférera la réflexion à l'action. D'ailleurs, si Drake m'a passablement énervé dans cette histoire, j'ai quand même bien envie de le revoir rapidement à ses débuts de Robin (avant qu'il ne devienne l'inutile Red Robin).

On pourrait penser que l'histoire c'est juste ça, la mort d'un Robin et la naissance d'un nouveau. Heureusement l'histoire est plus poussé que ça et offre beaucoup de bonnes choses, ainsi que de nombreuses autres, plus mauvaises, il faut le reconnaître.
En terme graphique, on est dans la bonne palette de la fin des 80's. Visuellement c'est beau, ça pas si mal vieilli que ça et pour l'époque les couleurs sont même assez bonne. Le dessin est claire et plutôt jolie. Le seul reproche visuel réel que j'ai envers cette époque est la question du cadrage : je le trouve toujours froid, peu dynamique et fortement kitch. Heureusement, la seconde partie de l'histoire contre Double-Face dynamise beaucoup ça. Au passage, j'aime bien le character design du Joker de l'époque. A l'inverse, celui de Robin m'a toujours soulé (son costume n'ayant pas évolué depuis 1940 !). Idem pour Nightwing, on est dans les années 80, Dick Grayson n'a pas encore eu son beau et nouveau costume.
Par contre, ce qui est franchement moyen c'est que toute les mères potentiels de Jason Todd (ce qui est quand même à la base de l'histoire) se trouvent au Moyen-Orient ... On passe d’Israël, au Liban, à l’Éthiopie comme si on changeait d'arrondissement parisien ... Je comprend la volonté de faire "aventure à l'étranger", mais 3 pays pour le prix d'un seul, ça fait quand même exagéré ! Surtout que sur les 3 candidates possibles, 2 sont en rapports avec le Joker ! On touche aussi un relatif point faible de l'histoire : la présence quasi-comique du Joker à chaque page. Heureusement la fluidité de la narration arrive à faire passer ça. Outre cela, chaque mini-aventure du duo dynamique au Moyen-Orient est plutôt intéressant.
On a cependant une vision politique assez intéressante, même si elle peut sembler incroyable aujourd'hui : l'Iran est une base de terroriste qui n'a qu'un seul but : détruire l'ONU et les Etats-Unis. Ils vont donc engager le Joker pour réaliser un gigantesque attentat. Et les Etats-Unis ne vont rien faire pour l'empêcher, car ils sont contre les attaques préventives : il faut respecter le droit international, vous comprenez ! Lire ça après la guerre d'Irak donne un côté presque comique à la situation. Mais je trouve que c'est historiquement révélateur d'une vision américaine à la fin des années 80. Rien que pour ça, c'est intéressant.
La seconde partie de l'histoire est passionnante en terme d'aventure : pendant que Tim Drake essaie de convaincre Dick Grayson de redevenir Robin, Batman va enquêter sur Double-Face. Une très bonne histoire sur Harvey Dent où il y a une véritable recherche dans la mise en page afin de montrer l'opposition entre les deux hommes Dent/Batman, chacun essayant tellement de comprendre l'autre qu'il finit par s'auto-oublier. Très bonne aventure qui se solde par la renaissance d'un Robin.
L'autre point sympathique est la présence des Teen Titans. Si certains sont inutiles, d'autres sont bien sympa (Starfire, Cyborg) et c'est agréable de les voir et de relier, de ce fait, tout l'univers DC.

Malgré une narration fluide, le scénario a quelques nœuds qui rendent certains passages indigestes. De la même manière, visuellement ça oscille entre des passages trop figés et des scènes géniales qui n'ont absolument pas vieilli. On regrettera également les erreurs temporels (Tim Drake a 13 ans, il a été voir le cirque Haly quand il avait entre 3 et 7 ans, Dick Grayson a été Robin pendant 12 ans de son côté : impossibilité temporelle), ce qui est assez grave quand c'est dans une période narrative aussi courte. Malgré le côté kitch de certains moments, on est surtout marqué par les deux principaux combats contre le Joker et Double-Face ainsi que par la profondeur de Batman. Le poids du deuil est évident et on assiste à un véritable tournant dramatique dans l'histoire du comics (même si depuis 2005, cet épisode a perdu de son charme).
Une grande histoire qui souffre, malgré tout, de quelques défauts, cela faisant donc baisser la note.
mavhoc
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le 10 janv. 2014

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mavhoc

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