Black Hole parvient tout au long d'un gros volume à nous mettre mal à l'aise. C'est un exploit. J'ai beau aimer lire des comics (ou des romans graphiques), je conserve toujours une distance, j'embarque moins que dans un film par exemple, ou de manière moins directe. Le malaise ici naît du bizarre, de choses ordinaires qui semblent cacher quelque secret moite et inavouable, et d'un symbolisme peu subtil mais troublant (les lèvres d'une plaie qui font références aux lèvres du sexe féminin, les symboles phalliques, omniprésents). S'y ajoutent la difformité corporelle, des excroissances honteuses. On est au carrefour de Lovecraft et le Maupassant des contes fantastiques dans cette lente dérive nauséeuse et angoissante d'un monde familier vers une destination inconnue et repoussante. Le dessin, maîtrisé mais relativement simple, sans virtuosité, sans détails inutiles, allant au plus direct, participe à la réussite de ce titre, puisqu'on ne s'attarde pas sur le style, on n'admire pas le trait ; on suit une histoire, on s'y enfonce même.
Qu'est-ce qui leur arrive, à ces adolescents ? À travers une galerie de personnages, Charles Burns explore de manière métaphorique les troubles de cette période éprouvante, les changements du corps, de la biologie interne, les bouleversements, la confusion entre amour et désir, le rejet par les autres. Également les beuveries et la drogue, la découverte du sexe et des maladies qui viennent avec.
Bien qu'on puisse s'attendre à des éclaircissements sur diverses questions (les difformités corporelles par exemple), l'auteur n'en fournira pas et au fond on s'en fout un peu. Drôle de talent pour créer un suspense, et contenter le lecteur sans fournir de réponses.