9 ans après un album qui voyait la séparation définitive de Kate et Jonathan, revoilà ce dernier dans une aventure qu’on n’attendait plus. Le lecteur sent immédiatement le changement. L’album est plus épais que les précédents : 56 planches. Il succède à une histoire en deux albums et à quelques BD sur un format plus grand, comme si Cosey se sentait désormais un peu à l’étroit dans le format classique de la BD franco-belge. L’impression est vite confirmée en parcourant l’ouvrage : le nombre de vignettes par planche est étonnamment faible. Du coup je me suis amusé à faire un petit calcul statistique qui confirme l’impression. La moyenne est légèrement inférieure à 6 vignettes par planche sur l’intégralité de la BD et pas moins de 20 planches comptent exactement 6 vignettes. Pourtant, on remarque que ces planches sont organisées de façons très variées, ce qui n’étonne absolument pas l’habitué des albums de l’auteur. Mais cela saute moins aux yeux que d’habitude, car Cosey a laissé de côté son goût pour des formats originaux. Malgré des tailles classiques ou allongées (dans les deux sens) toutes les vignettes sont rectangulaires et quasiment toutes sagement séparées par un fin liseré blanc. Je remarque également l’utilisation d’un papier de meilleure qualité que pour les précédents albums : plus glacé. C’est d’autant plus perceptible que Cosey laisse éclater son goût pour les couleurs vives. Le jaune, le orange et le bleu outremer qui dominent la couverture sont très présents dans tout l’album. Jonathan n’est plus le jeune idéaliste épris de liberté et très cool. Comme son dessinateur, il a muri. La mentalité profonde reste la même, mais Jonathan a beaucoup voyagé, rencontré énormément de monde et il a pu se faire son idée de la réalité. Or, la réalité n’est pas toujours très brillante.

Jonathan est en Chine ! Eh oui, la nation qui oppresse le Tibet cher à son cœur dans une dictature qui fait des dégâts dans une indifférence quasi générale. Cette indifférence est évoquée sans détour dans les 4 premières pages de l’album. Un texte signé Claude B Levenson qui présente Cosey et son engagement en faveur du peuple tibétain. On lit notamment à propos de l’aventure qui suit « C’est un hommage à la puissante beauté et à l’éclatante lumière d’un pays, d’un peuple, qui ne veulent pas crever de nos indolences, de notre égoïsme. » Autant dire que si Jonathan est en Chine, ce n’est pas en simple touriste. Comme il le dit à la planche 28 « J’aime beaucoup les chinois. En Chine. » Jonathan est à la recherche d’une chanteuse, ce qui permet à Cosey de réaliser un album voué à son goût pour certaines musiques, traditionnelles comme occidentales (Jonathan joue de la guitare). Philosophie affichée dès le haut de la première planche « La musique n’est qu’une ornementation de l’Eternel Silence sur lequel elle se déploie » aimait à répéter Jigme Kyé. Dans le cas de Yamtzung-La Voix ajouta-t-il un jour « il s’agit de la parure réservée aux plus somptueux jours de fête. »

Originaire du Tibet, Yamtzung est une chanteuse venue se produire à Lhassa sous la surveillance du colonel Jung Lan. Ce colonel est une jeune et charmante chinoise qui annonce à Yamtzung qu’elle n’a pas l’autorisation de se produire en Occident. Décision du Comité Populaire de leur Académie Militaire que Yamtzung accepte. Retour à Lanzhou où elle espère que Tsarong finira par la rejoindre. Celui-ci est interné dans un camp de réforme par le travail… Le contexte politique est immédiatement posé. De son côté, Jonathan rencontre un vieil ami à Bodnath au Népal. Son ami lui transmet des informations incertaines à propos de Jigmé Kié ainsi que sur Yamtzung. De fil en aiguille, Jonathan est amené à rencontrer le colonel Lan. Celle-ci lui rappelle irrésistiblement Li Fu, poète dissident chinois auteur du roman « Celui qui mène les fleuves à la mer » Or Li Fu agonise en prison…

J’ai eu un peu de mal à rentrer dans cette BD, probablement parce que je ne voyais pas trop où Cosey voulait en venir. C’est un album qui ne se digère pas en une demi-heure comme certains des précédents. L’auteur y met toute son indignation vis-à-vis de la situation politique qui conduit le Tibet à une agonie injuste. Il prend son temps pour faire sentir la complexité de la situation. Une situation politique dont chacun souffre à sa façon, parce que les individus sont confrontés à quelque chose qui les dépasse. Au travers du personnage de Jonathan (son double), Cosey fait ce qu’il peut pour améliorer le sort de quelques-uns.

Et puis Cosey montre que l’art est un excellent moyen pour échapper à la folie d’un monde qui peut broyer les individus. Il fait passer de façon très naturelle son goût pour la beauté, qu’elle soit intérieure, musicale ou esthétique. Enfin, la chute astucieuse est bien dans l’esprit de la série, même si cette fois elle ne vient pas de Jonathan !

Une BD que Cosey suggère de lire en écoutant « Sacred healing chants of Tibet » ainsi que les autres œuvres citées dans le récit. Un récit qui comprend de nombreux renvois vers les notes de la page 5 qui accompagnent une bibliographie témoignant de toute une vie de découvertes.
Electron
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le 18 mars 2013

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