La biographie du célèbre dessinateur qui n'existait pas

La couverture dénote au milieu des autres albums publiés chez Urban Comics. Intrigante avec sa mosaïque de styles graphiques, elle incite au feuilletage. Surprise, Charlie Chan Hock Chye, une vie dessinée n'est pas une BD classique. A première vue, elle ressemble plus à un catalogue d'exposition qui retracerait l'œuvre d'un artiste qu'à une bande dessinée linéaire. Ma curiosité attisée, je me suis plongée dans cette drôle de biographie et j'ai été complètement bluffée.


De quoi ça parle ?


Fixant le lecteur derrière ses larges lunettes noires aux verres épais, Charlie Chan Hock Chye se souvient. La Malaisie, Tezuka... La destinée de son pays natal se mêle avec ses souvenirs de lecture. Du haut de ses 72 ans, le vieux monsieur au crâne dégarni cerclé d'épais cheveux blancs qui vit à Singapour se demande s'il n'était pas destiné à devenir "le plus grand dessinateur de BD" de cette île de l'Asie du Sud-Est.


Et pour nous en convaincre, Charlie va nous raconter sa vie. Celle qu'il a entièrement dédiée à la bande dessinée. Charlie Chan Hock Chye, une vie dessinée est son histoire, sa grande rétrospective, mêlant habilement ses archives personnelles (photos, croquis, peintures originales, planches) couvrant la période 1944-2012 et des extraits de ses bandes dessinées les plus emblématiques.


Fils unique d'émigrés malais, Charlie Chan Hock Chye débute son récit l’année de ses 10 ans, lorsqu'il aidait ses parents en tenant parfois l'épicerie familiale, un job qui lui permettait de griffonner fiévreusement entre deux clients. Au milieu des années 1950, ses premières planches sont consacrées à la contestation étudiante et témoignent de son admiration sans bornes pour le mangaka Osamu Tezuka, le créateur du célèbre Astro, le petit robot. Par la suite, il ne cessera jamais de dessiner, tentant en permanence de raconter à sa manière l'actualité mouvementée de son pays d'adoption. Une vie de labeur, entièrement consacrée à sa passion et toujours intimement liée à la destinée de Singapour que Charlie raconte, non sans une pointe d’amertume.


Sauf que… Charlie Chan Hock Chye n’existe pas. Il n'a jamais existé. Ce personnage est le fruit de l’imagination de Sonny Liew, un auteur de bande dessinée malais qui a créé de toutes pièces cette impressionnante biographie totalement fictionnelle, prétexte à raconter son pays d'adoption, Singapour, et à témoigner de son amour pour la bande dessinée et de la difficulté de vivre de cette passion.


Pourquoi j'adore ?


Parce que Sonny Liew est un génie. Découvert en France l’an passé par le biais de The Shadow Hero (éd. Urban China) – dont il assurait le dessin sur un scénario de Gene Luen Yang –, où il dépoussiérait élégamment les comics américains en racontant l'histoire du premier super-héros asiatique, le dessinateur malais dévoile avec Charlie Chan Hock Chye, une vie dessinée l’immense palette de son talent.


Véritable exercice de style compilant des techniques ultra-variées (peinture à l’huile sur toile, lavis à l’encre sur papier, croquis, études de personnages, photo, etc.) au service d’une imagination sans limites, il invente une vie tout entière mêlée à une carrière, occasion parfaite pour nous narrer l’histoire de Singapour, ancienne colonie britannique devenue indépendante en 1965.


Charlie Chan Hock Chye, une vie dessinée est un album déstabilisant d’une richesse inouïe. On s’en empare en pensant lire une biographie dessinée avant de comprendre que tout cela n'est qu'un fabuleux prétexte à une narration plus ambitieuse, à la fois récit historique, rétrospective artistique et analyse sociologique. Un ouvrage dans lequel on aurait pu aisément se perdre. Mais le tour de force de Sonny Liew est de réussir à nous proposer un récit fluide et passionnant.


Et finalement, cet ouvrage aux multiples lectures se résume à un terrible constat. Il est extrêmement dur de vivre de la bande dessinée, a fortiori si l’on vit dans un pays où la liberté d’expression est menacée. Non, Charlie Chan Hock Chye n’a jamais existé. Mais il devait y avoir des dizaines de Charlie à Singapour dans les années 1950. Et c’est à tous ces artistes anonymes que Sonny Liew rend hommage dans son album.


C’est pour vous si…


Vous êtes, tout simplement, un amoureux de la bande dessinée. Car Charlie Chan Hock Chye, une vie dessinée est un ouvrage qui trouvera sa place dans toutes les belles bibliothèques de bédéphiles. Plus ludique (et plus audacieux) que les ouvrages très théoriques de Scott McCloud, l’album de Sonny Liew est déjà assuré d'une place dans mon top 10 des meilleures bandes dessinées de l'année 2017.


Critique publiée sur Pop Up'.

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le 6 févr. 2017

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Elodie Nelson

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