En forêt, elle Cythère l’apprentie sorcière

Cythère est une jeune rouquine (avec de grands yeux de petite fille qui découvre le monde), qui vit en pleine forêt, dans la maison de sa grand-mère la sorcière. La seule indication qu’on aura sur la vie familiale est que la grand-mère a une sœur prénommée Sarah, également sorcière de son état. Quant à Cythère, pas d’hésitation, elle est là pour apprendre de sa grand-mère, le « métier » de sorcière.


De la part de Fred, l’auteur de la série Philémon on attend évidemment un univers particulier, magique et enchanté. On n’est pas déçu, car l’apprentissage de Cythère réserve bien des surprises. La conception de l’album est particulière, mettant bout à bout et sans transition, 11 épisodes (initialement parus dans Pif) que Fred ne prévoyait pas forcément de voir ensuite édités groupés. Plutôt qu’un album classique, on a donc une succession de situations qui s’enchainent parfois sans véritable lien. Comme dans un conte, les épisodes sont un peu inégaux en intérêt. Ce qui fait ici défaut, c’est la véritable progression qu’aurait permis une intrigue prévue pour un album. D’ailleurs, on sent par moments Fred pris un peu par le temps, avec des dessins qui laissent un petit goût d’inachevé (voir la robe de Cythère sur la couverture, remplie avec un lignage horizontal un peu bâclé). A côté de cela, on se délecte de ciels caractéristiques, à la nuit tombante, avec des couleurs dans les bleus et violets constituants des nappes délicates. C’est fou comme Fred pouvait utiliser le même style tout en donnant à chaque fois l’impression de se renouveler. Bien évidemment, si on apprécie de retrouver un univers typique du dessinateur, Philémon et sa famille manquent un peu, même si d’autres hurluberlus viennent agrémenter les différents épisodes. On peut citer l’arbre pessimiste, le prince charmant qu’on ne peut apercevoir qu’une fois par an, un aérostier et le champignon carnivore dont la gueule ouvre sur un monde aux couleurs psychédéliques. Voilà qui rappelle furieusement les différents passages vers le monde des lettres de l’océan Atlantique. Dans cette optique, les corbeaux qui commentent les épisodes et un gendarme bêtement verbalisateur sonnent assez familièrement.


Fred détestait la logique et l’enfermement dans des codes rigides. Ce grand explorateur des possibilités offertes par la narration au moyen du neuvième art laisse ici libre cours à son inspiration sans chercher le sensationnel, ce qui peut expliquer que cet album paru initialement en 1980, ait dû attendre la fin 2014 (quelques mois après la disparition de son auteur) pour être à nouveau édité (avec un épisode en bonus à découvrir, puisque cette critique rend compte de l’édition originale).


L’univers enchanté et enchanteur est digne de l’inimitable inspiration de son auteur. Comme Philémon, Cythère découvre un monde fabuleux avec des yeux émerveillés, sa grand-mère étant une sorte de passeuse vers ce monde, passeuse vite dépassée par les capacités de son élève (qui se révèle très facétieuse). La facétie de Fred se sent bien, jusqu’à sa façon de nous amuser en montrant un personnage perdre soudain son calme, pour hurler son énervement (les lettres deviennent énormes et on sent qu’il éructe, Fred laissant ainsi échapper son exaspération vis-à-vis des absurdités humaines). Le lecteur est donc partagé entre son plaisir de se plonger dans un univers qui rappelle beaucoup le meilleur de Fred, mais aussi une certaine déception de retrouver en quelque sorte un succédané (succès damné) de quelque chose d’absolument inimitable. A sa décharge, on dira que Philémon est le chef d’œuvre indépassable de Fred.


La déception vient aussi des dialogues dont on pouvait attendre une série de mots d’esprit. Les situations s’y prêteraient, mais Fred n’a pas exploré cette voie. De même, il donne à sa jeune élève le prénom de Cythère, mais refuse la moindre référence par rapport à ce prénom original. Une allusion à Watteau aurait-elle été si terre à terre ?


Si les dessins donnent par moment cette impression de travail un peu bâclé, quelques-uns enchantent, pas forcément les plus colorés ou animés, je pense par exemple à une scène de pêche, un soir au clair de lune. C’est beau comme une aquarelle de la meilleure eau !

Electron
7
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le 8 nov. 2014

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Electron

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