Lire l'adaptation de La Quête d'Ewilan, c'est, pour moi, une sorte de cas d'école. Une situation amusante où je dois déjà réfléchir à ma méthodologie, et je vous invite, vous comme moi à réfléchir dessus. En effet, qui dit adaptation dit deux possibilités : doit on voir l’œuvre comme nouvelle ou avoir le regard de celui qui connait déjà l'original ? Doit on chercher des références, la mise en place, sous le support de la BD, la même histoire ? Ou à l'inverse doit on essayer de prendre naïvement le regard de celui qui ne connaît pas du tout ce qu'il va lire ? C'est en effet très compliqué, notamment vis à vis de la narration : le scénariste peut il se permettre d'aller vite, car les fans savent déjà ce qui va se passer, au risque de perdre le newbie ? Ce qui nous amène aussi à la question du public qui lira la BD : ne seront ils pas tous des lecteurs du roman, avant tout ? Je dois avouer avoir beaucoup de mal face à ce problème, en effet, bien des fois on a envie de dire « ha non, mais c'est pas comme ça », auquel cas, on prend le parti qu'il faut chercher à respecter l’œuvre d'origine (malgré le changement de média). Mais de l'autre côté, on a aussi envie d'explorer avec naïveté un nouveau regard sur le roman, se laisser bercer par une nouvelle interprétation des personnages et donc n'avoir aucun préjugé sur l’œuvre … Au final, suite à plusieurs lectures de la BD, la réponse que j'ai trouvé et que, comme le dit Aristote, la vertu se trouve dans le juste milieu. Il serait idiot de nier des connaissances que l'on a de l’œuvre originale, connaissances qui sont partagées par les créateurs de la BD, cependant, il ne faut pas les revendiquer avec hostilité et oublier la liberté primordiale qu'il y a dans ce changement de support. C'est une adaptation, et non une traduction pure … C'est donc armé de ce nouveau regard que j'ai attaqué, une nouvelle fois, La Quête d'Ewilan, tome 1.


Une adaptation, un changement de format, c'est deux thématiques principales quand on parle de la BD : le scénario et le dessin. Les deux ont été séparés dans le cas d'Ewilan, avec à la plume Lylian, et au crayon Laurence Baldetti, secondé de Loïc Chevallier à la couleur. N'ayons pas peur de le dire, j'aurais préféré me faire l'intégrale de Twilight qu'être à leur place : dans les deux cas, ils risquent de mécontenter des fans avec leurs partis pris. Pourtant, rien que pour ça, le trio part avec toute mon estime, il faut en effet oser se faire les fans de Bottero (ceux là même qui estiment que « Ellana Tome 1 » est une des meilleurs œuvres de la littérature française, c'est dire). Je pense donc faire une analyse tout ce qu'il y a de plus banal, d'abord le visuel puis ensuite le scénario. Allez, dans la joie et la bonne humeur on attaque le couple Baldetti/Chevallier.

J'avoue hésiter sur quoi parler en premier. Les points forts ou les points faibles ? Allez, on va commencer par un constat général : c'est plutôt beau. Très sincèrement l'ensemble des pages est cohérente, ça semble facile dit comme ça, mais c'est quand même assez dur que, quand le lecteur regarde une page en général, sans lire une case particulière, il trouve ça beau. Et là c'est réussis. Les couleurs fourmilles de milles et une variations et Loïc Chevallier nous offre un travail excellent.
Cependant Laurence Baldetti réalise un travail mi-figue mi-raison (pour reprendre une des expressions fétiche de Monsieur Bottero). En gros, madame Baldetti est une amoureuse du cinéma (enfin je pense) car elle nous offre toujours des cadrages très sympas. Changeants et évolutifs, ils apportent un vrai dynamisme à l'histoire. Et là, vous me direz qu'est ce que je lui reproche ? De toujours nous bacler les personnages qui sont en arrières plan ! Sérieusement quoi, on dirait une technique tout droit sorti du chapeau de Jim Lee (vous savez, le faux bon dessinateur). C'est typiquement le genre de détail qui m'énerve. Bon, je rassure tout de suite les lecteurs de cette chronique, Baldetti soigne quand même cela et on ne se retrouve pas avec des personnages sortis de Playmobil comme pour Lee (ça se sent que je suis particulièrement frustré par la baisse qualitative qu'il y a dans la carrière de ce gars?). Globalement même en arrière plan, les personnages gardent un visage à peu près humains, mais dans une dizaine de cases, Salim et Camille n'ont que 3 traits en guise de visages … Certains me diront que j'exagère pour peu de chose, mais une critique ne peut être constructive que si elle est juste.
Sinon, Baldetti n'a que deux autres défauts réels : les caricatures et les ombrages. Ces dernières sont changeantes au niveau des personnages, le traitement est parfois différent, donnant l'impression de changer de style entre certaines planches. En soi c'est jamais moche, au pire juste déconcertant, c'est pas très important. Pareil pour l'autre défaut. Plusieurs personnages (les Ts'Lichs, les jeunes racistes) sont un peu … caricaturés ?! J'avoue ne pas savoir si c'est une façon de dessiner spéciale ou un parti pris artistique visant à se foutre d'eux … Je présume que pour les nazillons c'est le second cas. Le problème du Ts'Lichs reviendra plus tard.
Et là, je vous vois tous vous dire « Ha mon dieu, qu'il est cruel, qu'il est dur ! » Vous avez quand même tilté que je fustigie Jim Lee ? Sans critiquer nullement Laurence Baldetti, je doute qu'elle ait un jour un CV aussi conséquent que celui de monsieur Lee, faut donc se rappeler que oui, je suis dur ! J'aime la BD et surtout, j'estime qu'une bonne BD doit n'avoir que des cases parfaitement réussis (David Mazzuccheli, pourquoi m'as tu montré tant de beauté?!) pourtant, au risque d'en surprendre plus d'un (j'ose espérer que si un jour Laurence Baldetti lit ses lignes, elle arrive à résister à l'envie de me poignarder avant d'avoir lu ce qui suit) je suis assez fan du travail de Baldetti.
Comme je le disais, avec Loïc Chevalier, ils ont crée un univers riche et coloré, qui respecte plus ou moins la série mais qui au moins attire l’œil, le captive et enflamme l'iris de nombreuses impressions poétiques. Les cadrages sont dynamiques, forts, changeants, et jamais figés (enfaite, si, ils sont figés quand ils doivent être figés, une belle maitrise là encore). Rien que pour cela, Baldetti&Chevalier font plus que leur travail et offre un beau résultat aux spectateurs.

Passons à Lylian, un scénariste que j'ai grandement apprécié pour ces partis pris … Pour le moins culottés parfois. Avant la sorti de l'album, il avait prévenu que plusieurs passages avaient été simplifiés pour que ça tienne en 68 pages, sans pour autant que l’œuvre ne perde en cohérence. Et bien, vous me croirez ou non … Mais il est y parvenu. C'est déjà pas mal ça !
L'ensemble de l'histoire avance avec tranquillité, si les débuts peuvent parfois sembler incohérent, je me rappelle avoir eu le même sentiment avec le roman de Pierre Bottero, comme si pour certains passages il fallait forcément avoir lu plusieurs fois l’œuvre pour vraiment comprendre. Bon y a quand même une scène ou deux, où franchement la transition n'est pas évidente et où on se dit « un simple encadré aurait rendu ça si simple » … D'ailleurs, dans ces moments là je suppose qu'ils ont préféré ne pas en mettre afin de ne pas surchargé l'oeuvre. En effet, il y a beaucoup de notes au début, ce qui rend parfois la lecture presque compactes, c'est déjà un vrais défis de ne pas trop en mettre, étaler juste ce qu'il faut.
Globalement on a le droit à des « simplifications » de scènes assez intéressante, je pense notamment au passage où on voit la vie de Salim dans son appartement avec sa famille. 5 cases. Nous n'avons que 5 cases. Et c'est tellement suffisant, pas besoin de plus, en 5 cases, la narration et le dessin font merveille. Quand je vous dit que Laurence Baldetti est efficace, elle seconde parfaitement Lylian pour que le lecteur ressente en quelques cases toute la puissance d'une scène.
La longueur des dialogues, et des monologues est aussi bien géré de la part de Lylian qui apporte les explications nécessaires en temps et en heures, apportant donc de légères modifications à l'histoire pour rendre cela plus cohérent et plus facile à lire. Quelque part il facilite même la tache du néophyte.
L'histoire subit bien entendu quelques modifications (retour d'Edwin, explication de Duom, etc …) pourtant ils semblent toujours justifier et couler librement, sans qu'on ait le sentiment que Lylian les ait imposer, comme si ils étaient également là dans l’œuvre originelle (encore que … Le retour d'Edwin frôle quand même le stéréotype).
Enfin, ultime talent de Lylian : il rentabilise la BD ! Celle-ci se lit facilement mais pas d'une traite, on peut donc profiter de notre achat et non pas le finir en 5 minutes en se disant « bon, ba voilà ». Cela est réalisable grâce à une narration construite et un scénario bien amené, et ça, c'est cool !

Et maintenant, il est l'heure de parler de ce que tout le monde attend : les personnages. Leur transposition, que ça soit en terme de caractère ou de physique. C'est donc un travail conjointement effectué par les membres du trio, c'est aussi pour ça que je garde cet avis pour la fin.
Vous vous rappelez que même en ayant largement souligné les défauts de Laurence Baldetti (planches 13, case numéros 3 … Pitié, mes yeux ne méritez pas ça), je vous ais dit que j'avais adoré son travail ? La raison tient en trois mots : Ewilan et Salim!C'est génial ! Malgré des ombrages changeants sur le front de Camille, elle a tout le charme et l'aspect féérique du personnage. Je me suis arrêté sur plusieurs dessins (en classe, quand elle dessine, rigole, et bien sur la couverture) pour admirer le travail de Baldetti et Chevalier. Il émane d'elle cette force mystique, non pas de séduction comme une femme fatale (qui doit être réservé à Ellana) mais comme une fée, une magie de pureté, de sincérité et surtout un regard incroyable. Et là c'est réussi. Quant à Salim, c'est peut être encore plus réussi. En effet, si Camille semble être une adolescente qui a une sorte de charme étrange (émanant de sa nature étrangère, de son don, etc …), Salim lui représente parfaitement ce qu'il est : un enfant, un jeune adolescent qui est pourtant apte à faire plus qu'il ne devrait. Son regard est à la fois joueur, peureux et courageux. Il peut craindre la mort et lui faire face en même temps. Le regard. Que ça soit celui de Salim ou d'Ewilan, les deux sont réussis. Je sais, je n'ai parlé que du dessin. Pour le caractère, Lylian a repris exactement les mêmes que le roman d'origine. C'est parfait, y a rien à redire, on se laisse guider par eux.
Pour les Ts'Lichs c'est pareil, Lylian n'a guère changé le caractère. Par contre, en terme de travail, là Baldetti nous offre sa pire réalisation. Apparemment les Ts'Lichs doivent être effrayant … C'est loupé, ils sont plutôt ridicules. Je comprend le désirs de s'éloigner des illustrations des romans, mais là … C'est plus que moyen. On sent bien qu'ils sont un croisement entre un lézard géant et une mante religieuse, mais pour le reste, c'est loupé. Enfaite les proportions du corps semblent bien étrange. L'adversaire terrible semble ne pas être fixe, mais plutôt … visqueux ?! Ma grosse déception de la BD.
Passons à ceux qui sont plus sujets à débats maintenant. Edwin pour commencer. Physiquement comme moralement, il a été changé. En effet, il semble dès le début plus humain, il n'a pas un regard aussi froid, il a l'air plus jeune également et son caractère est directement plus chaud, plus humain, à peine deux-trois répliques vont nous permettre de voir son caractère bien forgé. Certains détesteront cette humanisation d'Edwin, d'autres aimeront, et enfin les derniers penseront peut être que c'est le hasard. Pour ma part, je me dis qu'il y a là un potentiel de liberté de la part des auteurs : assumer le choix, faire d'Edwin un personnage moins froid et ça dès le début. C'est bien entendu risqué, mais ça peut payer, c'est une décision artistique comme une autre. Je suis donc attentif sur l'avenir de ce personnage.
Duom a, à peu près, le même caractère, et un physique moins tassé, moins vieux, plus grand également (encore que … Il fait la même taille que des adolescents donc bon). Très différent de ce à quoi on pouvait penser (très élancé), mais c'est finalement plutôt une bonne chose. Le personnage semble s'annoncer plus important que prévu aussi, une bonne chose.
Bjorn subit pour sa part de gros changement, en effet, il n'est plus doté d'une lourde armure et d'une énorme hache mais est vêtu plus légèrement. De la même manière, il est grand et fin (comme Edwin pour ce dernier point) et non pas un gros guerrier comme il était mis dans le roman. Là dessus je suis plus sceptique sur ces changements, je pense qu'une opposition avec Edwin en terme (chevalier fort face à guerrier fin et efficace) était une bonne chose. On ne peut guère dire de Bjorn qu'il est gros dans la BD. Il semble cependant aussi festif.
Hans et Maniel souffre des mêmes changements physiques que Bjorn, ce qui me fait craindre que nous ne verrons pas de bon gros paladins mais que des personnages construits sur le concept du voleur … Dommage. Espérons juste qu'on nous fasse pas le coup de « ils sont grands et très musclés face à Edwin qui est fin et sec » car visuellement ça colle pas.
Pour les autres personnages (les parents adoptifs de Camille, les marcheurs, les personnages en arrières plans), c'est comme les décors : bien réalisés, bien amené et donnant vie au récit ! Vraiment cool là aussi.


On peut donc clôturer cette critique en remarquant que si le dessin n'est pas toujours au top, les cadrages et les couleurs sont très agréables et encadrent joliment des personnages séduisants pour la plupart. Le fait qu'il s'agisse du premier tome peut rendre la lecture moins plaisante qu'à l'avenir, en effet, on apprécie d'avantage l'histoire quand on est déjà dedans que quand on doit y rentrer petit à petit. Soulignons quand même que l'esprit du roman de Bottero a été respecté, ce qui me semble être important. On peut cependant regretter certains partis pris, qui entraineront des modifications, mais il faut espérer que ces modifications auront lieu, un changement, même léger dans le scénario, offre un espace de liberté aux auteurs qui leurs permet de réaliser de grandes choses, nous surprenant donc vraiment. La longueur de l'histoire est comme il faut, et nos yeux sont avides de voir la suite. J'ai beau critiquer pas mal de points (sous-entendant peut être trop gentiment quelques défauts), je me permet de mentionner que je suis assez dur en terme de BD. Là où je suis heureux … C'est que justement je suis heureux et satisfait de mon achat, ce qui devrait toujours être le cas, en matière de BD (et nous savons tous que ce ne l'est malheureusement pas). Pour terminer, il me semble que le pari a été gagné pour le trio Lylian, Baldetti, Chevallier, le tome 1 d'Ewilan est une réussite.
mavhoc
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le 20 oct. 2013

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