Epuisé
6.9
Epuisé

BD de Joe Matt (2007)

Autarcie sexuelle, bavardage et frustrations

Environ cent vingt pages de ligne très claire, avec des décors simplifiés, et rituellement huit vignettes strictement de même taille, bien en rang sur chaque page. Au moins, la mise en page n'aura pas demandé trop d'efforts d'imagination. Déjà, la maniaquerie et le goût de l'ordre et du rangement méthodique se pressentent.

L'ombre avouée de Robert Crumb plane sur le graphisme, comme sur le type de récit, qui se complaît dans des débats bavards du héros, avec des copains ou en soliloque, sur le côté minable de son addiction à la masturbation, devant des cassettes porno qu'il collectionne comme des oeuvres d'art, en se livrant à un travail acrobatique et minutieux de redécoupage des ces chefs-d'oeuvre gluants de foutre et de sécrétions visqueuses, afin d'éliminer de ces films tous les passages qui lui déplaisent.

Cette confession rousseauiste, qui sollicite beaucoup de Kleenex pour éponger les moments d'extase, oscille entre les remarques psychologiques pertinentes, et les autoflagellations morbides de vivre tellement seul, à l'écart des normes, sans copine, dans un ascétisme financier qui pousse le héros à vivre dans un appartement minuscule et minable, où même les toilettes doivent être partagées. L'idéal de ce mec, c'est l'autonomie sexuelle et l'état de rentier : n'avoir pas besoin de fille pour jouir, se constituer (au moyen d'économies de bouts de chandelle) un capital suffisant pour que les intérêts suffisent à le faire vivre sans bosser.

Ultra-névrosé, obsessionnel comme beaucoup de personnages de Crumb, ce héros vide si souvent ses glandes qu'il est "épuisé" pour faire son boulot de dessinateur de BD. Immature, fixé à l'adolescence, ne craquant que devant les gamines de quinze ans, ce personnage se met volontairement en conserve et s'auto-protège jusqu'au délire contre les risques de la vie (dont la vie en couple n'est pas le moindre !).

On pourra apprécier les références savantes en matière de strips anciens de BD de grande presse (et aussi en matière de films pornos), les réflexions très vraies sur la crétinisation autiste du monde actuel (pages 15 et 16), sur le mérite des mères (pages 68 et 69), les souvenirs du héros sur ses premiers contacts avec les filles, la morale conventionnelle, serinée par les copains, sur l'harmonie nécessaire des âges dans un couple (pages 79 à 82)...

Malgré tout, cet album est tellement bavard, sent tellement le renfermé, la mesquinerie, l'égoïsme et la névrose que le lecteur, même s'il peut se reconnaître ponctuellement dans tel ou tel vice, a du mal à garder le moral en se demandant si on peut vraiment vivre une vie si irrespirable.
khorsabad
5
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le 25 janv. 2014

Critique lue 427 fois

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