Ce tome fait suite à Monstress T02: La Quête (épisodes 7 à 12) qu'il faut impérativement avoir lu avant. Il faut absolument avoir commencé par le tome 1 pour comprendre les liens et les histoires personnelles de chaque protagoniste. Il comprend les épisodes 13 à 18, initialement parus en 2018, écrits par Marjorie Liu, dessinés, encrés et mis en couleurs par SanaTakeda. Seul le lettrage a été confié à Russ Wooton. Il comprend également les couvertures alternatives réalisées par Kris Anka, Sanya Anwar, Irene Koh, Russ Wooton, et une carte du monde.


Maika Halfwolf est en train de rêver à un moment d'intimité avec Tuya qui lui indique que ne pas l'écouter est ce qui l'a mise dans le pétrin. Elle réveillée par Kippa (la renarde) et se rend aux côtés de la capitaine Syryssa en train d'observer les navires de leurs poursuivants, avec Old Tooth et Ren Mormorian. Old Tooth descend l'échelle de coupée en cordage pour se mettre à l'eau. Une fois immergée, elle appelle le gardien de la frontière qui se manifeste dans l'instant. Il laisse passer le navire de Syryssa ; il refuse le passage aux autres navires, avec la force nécessaire pour faire respecter sa décision. À la cour de l'Aube, la Reine des Loups évoque la situation politique avec la Baronne. Elle passe ensuite au sujet qui l'intéresse : le fait que la Baronne connaisse sa petite fille Maika. À Pontus, une île refuge, Maika, Ren et Kippa se trouvent dans un bar pour faire le point. Ils se font servir un repas, mais le serveur indique que Ren doit monter à l'étage car les chats ne sont pas servis dans la grande salle. Ren accepte sans faire d'histoire. Une fois installé, il commence à manger sa première brochette de souris, tout en contactant ses supérieurs, pour le compte de qui il agit en tant qu'espion. Dans la salle du bas, le serveur apporte un message à Maika alors qu'elle est en train de se restaurer. Il s'agit d'une invitation à rejoindre quelqu'un au Café des Poètes. Elle demande à Kippa de finir ses boulettes rapidement.


Au Café des Poètes, Maika et Kippa retrouvent Corwin bien vivant. Kippa est ravie de constater que la table est dressée avec plusieurs desserts. Ailleurs dans une gare monumentale, le premier ministre des humains et l'amiral Brito reçoivent deux agents : Lady Atena & Resak. Ils évoquent la situation tendue au sein du sénat de la fédération, avec les manœuvres de la Mère Supérieure, mais aussi les arcanics qui n'attendent qu'une provocation pour entrer en guerre. Lady Atena insiste sur le danger représenté par les Cumaea qui accumulent du Lilium. L'amiral Brito explique à Lady Atena & Resak qu'il souhaite qu'ils se rendent aux négociations qui doivent se dérouler entre les humains et les arcanics pour espionner ces derniers. Il leur promet que le premier ministre va s'occuper de la Mère Supérieure. Au Café des Poètes, Corwin explique qu'il apprécie beaucoup cet endroit pour la pâtisserie de Serica Thistler qui a préféré s'installer dans ce quartier pauvre pour que le plus grand nombre puisse profiter de ses gâteaux. Il explique à Maika que quand elle a placé le morceau de masque sur son visage, elle en a activé les 5 parties. C'est à ce moment-là que Vinh Nem, l'ingénieure royale, fait son entrée.


Entre la parution du premier tome et du deuxième, cette série s'est retrouvée bardée de prix, recevant 5 Eisner Awards (meilleur scénariste, meilleure série ouverte, meilleur artiste peintre / multimédia, meilleure série pour adolescent, meilleur artiste de couverture), 1 Hugo Award (meilleure histoire dessinée), 1 British Fantasy Award (meilleur comic/roman graphique). Cerise sur le gâteau, la couverture comprend un compliment de Neil Gaiman. Le lecteur se souvient encore du tome 2, de sa mythologie aussi riche que personnelle, de l'héroïne tourmentée et complexe, et de la situation géopolitique s'avançant inexorablement vers une guerre. Il a donc hâte de découvrir la suite. Durant les épisodes 13 à 15, il se croit revenu dans le premier tome en ce qui concerne l'intrigue. La scénariste commence par un retour en arrière avec Tuya dont le lecteur ne sait pas grand-chose. Puis elle passe à la cour de l'Aube où le lecteur doit faire un réel effort de mémoire pour se souvenir de qui sont les 2 femmes en train de dialoguer, et quels sont les enjeux sous-entendus. Quelques pages plus loin, c'est le premier ministre de la communauté des humains qui se livre à un jeu de manipulation avec 2 agents pas faciles à resituer, pour à nouveau des enjeux à demi formulés. Avant la fin du premier épisode, un nouveau personnage (Vinh Nem) fait irruption, sans que le lecteur puisse cerner facilement son allégeance, ses motivations, ses objectifs. À la fin du premier épisode, une reine et son amante se font assassiner dans la piscine par 2 autres femmes que le lecteur ne situe pas non plus. Comme dans le premier tome, Marjorie Liu semble prendre un malin plaisir à éviter que les personnages s'interpellent par leur nom (ne serait-ce qu'une fois), comme un fait exprès pour larguer le lecteur. Il peut y avoir un côté ludique dans ce genre de narration, sous réserve qu'il soit possible de se souvenir facilement des différents gugusses, ou que leurs propos soient intelligibles sur le moment.


Cependant le lecteur s'accroche car il se retrouve totalement captivé par les dessins de Sana Takeda qui n'a pas volé ses récompenses. Elle réalise toujours ses pages à l'infographie, avec le même degré de méticulosité. À nouveau il retrouve la même qualité de dessin dans les pages intérieures que pour la couverture. L'apparence de la mise en couleurs est somptueuse de bout en bout, avec des compositions chromatiques d'une grande richesse de nuances, faisant de chaque page un spectacle, avant même de lire le détail des dessins. La variété des verts et des gris est inimaginable, et leur déploiement participe d'une structuration globale, créant une ambiance extraordinaire, avec un degré de sophistication tel que la myriade de nuances forme un tout cohérent qu'il n'est pas possible de décomposer en couleurs naturelles, ou camaïeux, ou luminosité. Cet effet est atteint par l'expertise de l'artiste, utilisant aussi bien des tâches de couleur, des dégradés progressifs, des lissages d'une teinte à l'autre, un recouvrement différencié des traits de contours. L'utilisation des différentes techniques va de la colorisation naturaliste la plus précise pour des petits éléments, à une approche globale pour donner à voir les énergies manipulées par certains personnages, et invisibles aux êtres humains normaux. Au départ, le lecteur remarque des petits flocons blancs qui ne semblent être des effets de lumière dans les rues de Pontus. Dans la deuxième partie, il observe la présence de petits flocons noirs. Il comprend qu'il s'agit d'une autre forme de représentation des énergies magiques accessibles par certaines castes.


L'intelligence graphique de la mise en couleurs est d'un tel niveau, que même lorsque les formes détourées par un trait sont réduites à leur plus simple expression et peu denses, le lecteur absorbe quand même une quantité élevée d'informations visuelles. Si la scénariste semble prendre un malin plaisir à ne pas aider le lecteur à identifier les personnages, au contraire l'artiste met en scène des personnages à la forte présence graphique. Le lecteur les reconnaît à l'instant, et prend son temps pour les détailler. Il regarde la forme élancée de Maika, son visage jeune, doux et lisse. Il sourit devant l'air mignon de Kippa avec sa tête évoquant vaguement un renard. Il voit que Ren (le chat à 2 queues) n'a rien de mignon, même quand il se lèche la patte. Zinn a conservé son apparence qui n'est pas anthropomorphe et sa texture peu ragoutante. Les différentes femmes qui apparaissent disposent d'une classe folle que ce soit la Reine des Loups avec son pelage soyeux et ses manières douces cachant une volonté inflexible, la jeune Baronne ressemblant à une enfant avec un regard ferme, les 2 sœurs-frères dans leur habit noir ajouré, ou encore la baroque Vinh Men et ses andouillers. Chaque personnage féminin exsude une sensualité irrésistible et sophistiquée dépourvue de vulgarité, même la première conseillère dans son fauteuil roulant, malgré son œil unique milieu du visage. Aucun homme ne fait le poids en leur présence, même Corvin avec ses larges ailes.


Le lecteur passe donc de spectacle magnifique en spectacle grandiose, page après page : le gardien de la frontière surgissant des eaux, la vue du ciel de Pontus, la riche décoration intérieure du Café des Poètes, les arches métalliques de la gare, le contraste entre les ténèbres de la sœur-frère et son animal de compagnie d'un blanc éclatant, l'approche sur l'eau du temple abritant le bouclier, la vision du spectre d'un ancien dieu dans le ciel, et tout cela rien que dans le premier épisode. Le lecteur est totalement sous le charme de cette narration visuelle, si riche et pourtant d'une lisibilité évidente. L'artiste sait rendre les personnages mignons et terribles à la fois, gentils et tragiques, par leur apparence, et aussi par leur langage corporel et les expressions de leur visage. Totalement conquis, le lecteur se laisse porter par les images, même s'il regrette de ne pas réussir à assembler les pièces du puzzle. Il lui semble aller de soi qu'un magnifique jardin avec des fleurs dont il éprouve la sensation de sentir le parfum, puisse coexister avec des robots dont les bras se terminent en tronçonneuse, tellement les dessins intègrent ces éléments dans un monde cohérent et logique.


Puis le lecteur passe à la deuxième moitié du récit qui se focalise sur le développement de la situation de Maika, resserrant la narration avec une unité de temps et de lieu. Il reprend pied dans l'intrigue, tous les enjeux sont explicites, l'action est spectaculaire. Il retrouve le thème principal du tome précédent : la coexistence de 2 psychologies au sein d'un même individu et la nécessité de travailler de concert. Il voit comment des éléments introduits précédemment prennent du sens (les 2 parties du masque). De plus, en ayant introduit plusieurs races, plusieurs factions, plusieurs alliances, Marjorie Liu a bâti une situation où tout peut arriver, rien n'est prévisible. Le lecteur retrouve l'excitation de la découverte d'une intrigue où rien ne semble assuré à l'avance, avec des personnages complexes, comportant leur part d'ombre (de manière évidente pour Maika).


Comme dans le tome précédent, la scénariste termine chaque épisode par une page où le professeur Tam-Tam donne une leçon d'histoire à ses jeunes élèves : sur l'histoire de Morika Halfwolf sa sœur, sa mère, sur la première ère des anciens dieux qui ne sont pas des dieux, qui sont aussi imparfaits que les humains, sur les horreurs des anciens dieux, et le revirement de l'un d'eux qui a généré une religion sur la base d'un contre sens, sur la persécution inexpliquée des chats par la Fédération, sur les autres mondes (royaumes terrestres, royaumes du rêve, royaumes des hauts anciens, Abbadon, les contrées ténébreuses). Par ce dispositif, elle apporte des renseignements qui nourrissent l'histoire du monde, sans alourdir la narration. Pour le coup, le lecteur se prête volontiers au jeu de la lecture de ces textes pour en apprendre plus sur le contexte et l'histoire, et mieux le comprendre.


Dans un premier temps, le lecteur voit ses craintes fondées, par une intrigue pas toujours assez explicite et des personnages difficiles à situer, mais la beauté des planches le fascine au point de faire fi des obstacles à sa compréhension. Puis, la deuxième moitié du récit le récompense au-delà de ce qu'il pouvait espérer, avec des planches toujours exquises, et une intrique devenue totalement intelligible, un suspense haletant, des enjeux clairs, des personnages substantiels, un récit épique et dramatique, un monde d'une richesse inouïe, des alliances complexes, des stratégies à double détente, des plans qui ne résistent pas aux imprévus.

Presence
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le 3 août 2019

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