L’inconstance, je connais : j’ai été mariée.

Ce tome est le premier d’un diptyque. Il a été suivi par ‎Lady Elza, tome 2 : La vente Coco Brown (2011). Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario et par Philippe Wurm pour les dessins et les couleurs. Sa première publication date de 2011. Ce personnage est issu de la série précédente réalisée par les mêmes auteurs : Les Rochester, six tomes de 2001 à 2009.


Dans un immense manoir perdu dans la campagne anglaise, par une belle journée d’hiver après une chute de neige, Lord Palfy évoque avec son interlocuteur, un pasteur, sa cousine Elza Rochester, divorcée de Jack Lord, un chenapan.il lui a offert l’hospitalité car elle semble connaître quelques difficultés. Le pasteur rétorque qu’une femme ne peut les éviter, c’est dans sa nature. À la demande de son hôte, le Lord explique ce qu’il en fut : un veuf dont Elza est l’amant, et dont l’autre amante, Agatha Switch, n’apprécie pas la concurrence, ce qui provoque une scène de ménage au cours de laquelle Agatha manie un revolver et se blesse au pied, et Elza se retrouve à prendre la fuite sur les toits londoniens. Arthur Woolnich, le veuf, redescend l’escalier quatre à quatre pour aller protéger ses enfants de son amante armée, pendant que Elza, en bas et guêpière avec un imperméable, fait une rencontre inattendue sur les toits : Doug Banket, riche entrepreneur, totalement éméché en pleine crise parce que son épouse Janet le trompe. Afin de lui redonner le moral, elle ouvre son imperméable et il se précipite sur elle, la faisant basculer dans le vide. Elle est rattrapée dans la toile tendue par les pompiers. Pour les remercier, elle ouvre son imperméable. Banket glisse et chute à son tour : il s’écrase par terre dans l’indifférence.


Dans le château, le pasteur s’exclame que cette cousine sent le soufre : non, répond Lord Palfy, Fougère de Roger & Gallet, avec une touche de Mitsouko de Guerlain. Il continue : elle a évité le pire, c’est-à-dire la vengeance d’Agatha Switch qui s’est plainte à son frère, Albee Switch, truand et assassin. C’est la raison pour laquelle il l’a invitée à passer quelques jours à la campagne, et il lui a parlé de l’Excentric Club. Il a d’ailleurs demandé à son neveu Jimmy d’emmener Elza chez Tuba Longfree. Cette dernière est en train de s’exercer au tuba dans son cottage, en présence de son grand-père. Jimmy et Elza, cette dernière en talon haut, arrive à proximité de la demeure. Ils sont accueillis sur le perron par le grand-père qui recommande à la jeune femme de ne pas se laisser séduire par ce chenapan de Jimmy, car il pratique trop l’art de l’inconstance. Elle répond que l’inconstance, elle connaît car elle a été mariée. Ils s’assoient au coin du feu de cheminée, et Tuba vient leur apporter du thé. Jimmy suggère qu’Elza pourrait utiliser la longue-vue pendant quelques instants. Tuba accepte bien volontiers, malgré l’hésitation de son grand-père, tout en prévenant que la longue-vue est coincée dans une seule direction et qu’il n’y a rien à voir, juste des bancs de brume. Pourtant, une fois sur la terrasse, l’œil rivé à l’appareil optique, Elza distingue une tour assez massive.


S’il a lu la série originale Les Rochester, le lecteur se trouve fort aise de retrouver cette brune un peu maigrichonne et piquante, ainsi que, le temps de quelques pages, l’inspecteur Bleach. Sinon, il découvre une jeune femme consciente de ses charmes mais sans en abuser, qui semble avoir vécu des aventures par le passé, mais sans incidence sur celle-ci. Il constate que les auteurs n’ont pas souhaité inscrire leur récit dans une période précise : pas de téléphone portable, pas d’ordinateur personnel, pas de modèle de voiture révélateur, si ce n'est les feux à éclats d’une voiture de police qui laisse à penser qu’il doit s’agit des années 1980 ou 1990. La couverture présente une jeune femme longiligne dans des dessous chics. Effectivement, le récit commence par les conséquences d’une relation extraconjugale, et par la suite un homme effectue une timide tentative pour draguer Elza alors qu’elle n’est vêtue que d’un peignoir de bain. Mais ni le récit, ni les images ne jouent dans le registre de la titillation hormonale. La narration visuelle reste dans un registre tout public, à l’exception de ce corset avec une culotte riquiqui. L’artiste dessine dans un registre évoquant parfois celui d’Edgar P. Jacobs, en un peu plus aéré et une légère touche humoristique par moment, de temps à autre l’exagération d’un mouvement ou une mimique discrètement appuyée.


Le lecteur découvre ce soin apporté à la dimension descriptive des dessins avec la première case qui est de la largeur de la page, une vue du dessus un peu inclinée permettant d’apprécier toute l’ampleur de la demeure, du château même de Lord Palfy, ainsi que les grandes surfaces de pelouse enneigée autour, puis les bosquets d’arbres. La seconde case propose une vue de la façade principale de la demeure à plusieurs dizaines de mètres de distance alors que le visiteur arrive par l’une des larges allées. Dans les pages huit et neuf, le lecteur suit le pas léger d’Elza sur les toits londoniens, avec à nouveau une qualité descriptive remarquable. En page onze, c’est une vue d’une partie des quais de Londres dans une case de la largeur de la page. En page trente-cinq, le lecteur marque une pause dans sa lecture pour apprécier une vue inclinée du dessus de la ville d’Ornfield, sous la neige. Suivent deux pages dans lesquelles Elza Rochester & Jimmy Palfy en parcourent les rues, permettant d’admirer l’architecture des maisons et celle de la tour, ou des espaces naturels comme les bois enneigés, une grande prairie. Le dessinateur soigne tout autant ses intérieurs : la chambre des enfants d’Arthur Woolnich avec leurs doudous, la bibliothèque et le salon du manoir de Lord Palfy, la grande pièce du cottage des Longfree, la pièce dans laquelle est enfermé Bob Byron.


L’histoire commence et le lecteur ne sait pas trop s’il doit tout prendre au premier degré, ou s’il doit y voir une touche d’humour pince-sans-rire de type anglais. La chute de Doug Banket dans le vide et dans l’indifférence indique une forme de comique, mais qui tombe un peu à plat. Par la suite, des touches d’humour apparaissent de ci de là, le plus souvent dans une situation ou dans un dialogue. Les premières ont du mal à faire mouche, car très appliquée, comme Elza maniant la queue de billard brutalement, au point d’envoyer une boule en dehors, la projetant contre Lord Harry Shok qui tombe dans vapes. L’humour des dialogues fonctionne mieux, que ce soit une remarque en coin (Lady Elza expliquant que l’inconstance, elle connaît car elle a été mariée) ou une pique gratuite contre le manque de courage des Français à la guerre. Le lecteur a donc tendance à mettre de côté ces tentatives pour se focaliser sur l’intrigue : aller récupérer la montre d’un poète assassin enfermé dans la tour de la ville d’Ornifield, celle-ci n’étant visible qu’à quelques individus qui ont le don, et ne se manifestant sur Terre qu’à de rares occasions. Cette mission s’avère plutôt facile, et le danger provient plus d’un individu qui souhaite en tirer profit après.


Le lecteur pourrait s’en tenir là : une aventure (presque) tout public, bon enfant dans le fond, avec un élément surnaturel essentiel à l’intrigue, bénéficiant d’une narration visuelle descriptive et réaliste, très solide. Toutefois, le scénariste intègre d’autres éléments non essentiels à l’intrigue mais l’étoffant pour lui donner une belle consistance : l’Excentric Club, l’histoire de ce poète écorcheur dont le nom évoque celui de Lord Byron (1788-1824), et dont le passetemps évoque celui d’un éventreur célèbre, tous les deux très Anglais. Le lecteur remarque également qu’il prend plaisir à la variété et à l’intelligence de la narration visuelle. L’artiste conçoit des mises en scène et des découpages de planches spécifiques pour chaque scène, venant souvent donner plus d’impact à une action, la rendant plus visuelle. Le lecteur le remarque dès la page neuf avec cette case tout en hauteur avec les cinq étages de l’immeuble sa toiture terrasse, les cases à côté montrant la chute de Lady Elza que le lecteur rapporte à la verticalité de la case en hauteur. En page 16, il éprouve la sensation d’être assis aux côtés de Lady Elza et du grand-père Longfree au coin du feu dans une lumière tamisée et tremblante. Pages trente-deux et trente-trois il assiste au plus étrange solo de tuba qu’il lui ait été donné de voir, la nuit, au sommet d’un petit mont, les pieds dans la neige, surnaturel. En page quarante-et-un, deux personnages courent pour échapper à un désastre dans quatre cases disposées autour d’une case centrale ronde où se trouve le cadran d’une montre à gousset. Page quarante-trois, il se produit un phénomène de dislocation donnant lieu à une multitude de petites cases carrées pour donner à voir cette fragmentation.


Contrairement à ce que pourrait laisser penser la couverture, il s’agit bien d’une aventure tout public, avec quelques touches d’humour, plus ou moins anglais. Phillipe Wurm réalise une narration visuelle remarquable, inspirée d’EP Jacobs, détaillée et enlevée, avec un découpage sophistiqué, pour raconter une aventure surnaturelle avec un déroulement qui ne repose pas sur la force physique du héros, mais sur l’aplomb de l’héroïne.

Presence
7
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le 5 mai 2023

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