Ce tome contient une histoire complète mettant en scène la créature de Frankenstein, après les événements survenus dans le roman originel. Il comprend les 4 épisodes, initialement parus en 2012 (numéros 1 & 2), 2014 (numéro 3) et 2018 (numéro 4), coécrits par Steve Niles & Bernie Wrightson, dessins, encrés par Bernie Wrightson (pour les épisodes 1 à 3) qui a également appliqué les nuances de gris. Pour l'épisode 4, Wrightson a réalisé le découpage des planches 1 à 19, et réalisé les dessins et l'encrage des planches 1, 2, 8, 10 et 11. Kelley Jones a dessiné et encré les planches 3 à 7, 9, 12 à 19 pour compléter l'épisode après le décès de Bernie Wrightson (27/10/1948-18/03/2017). Cet ouvrage s'ouvre avec une introduction d'une page rédigée par Steve Niles expliquant que ce projet fait suite à leur 3 précédentes collaborations (Dead she said, The ghoul, Doc Macabre) regroupées dans The Monstrous Collection of Steve Niles and Bernie Wrightson en VO. Il indique que le sujet et l'intrigue sont l'œuvre de Bernie Wrightson et que ce dernier avait lui-même choisi Kelley Jones pour terminer le dernier épisode, quand il avait compris qu'il ne pourrait pas le faire lui-même. Il se termine avec 20 pages reprenant des pages préparatoires de Wrightson.


Quelque part dans une zone rurale des États-Unis, à la fin du dix-neuvième siècle, ou peut-être au début du vingtième, le cirque Stenger's Funland s'est installé avec ses tentes, ses maisons, ses roulottes. Les curieux se pressent pour aller voir le monstre de Frankenstein dans l'une des tentes. La créature sait ce qui l'attend : dans un premier temps les curieux seront déçus car il ne ressemble pas à ce que la légende colporte sur son apparence. Il n'a pas de vis qui sorte du cou ou de la tête et cette dernière n'est pas plate. Déçu par son apparence, un gamin lui balance une tomate en pleine tête. La Créature sait qu'il est temps pour lui de réagir : il s'élance en avant, les bras grands écartés en poussant un cri. Tous les spectateurs sortent de la tente en hurlant, considérant qu'ils en ont eu pour leur argent, mais aussi réellement effrayés. Après la représentation, Frank (c'est ainsi que l'appellent les autres) rejoint ses collègues dans la grand tente. Ils l'ont accepté sans question, sans appréhension quant à son apparence. Il se souvient du moment où il se tenait dans le grand nord, sous la neige, devant un océan glacial, songeant à en finir avec la vie. À ce moment-là il avait entendu la voix du Baron Victor Frankenstein, l’interpellant en jugeant que c'était une issue trop facile pour sa créature. Il avait fini par se coucher dans la neige, et se laisser recouvrir d'une gangue de glace, en repensant à la manière dont il avait pris conscience de sa nature monstrueuse.


Des jours, des mois plus tard, sa tombe de glace avait fini par fondre et il avait repris conscience. Les morts qu'il avait causées lui pesaient toujours sur la conscience. Il avait repris sa marche, avec toujours l'idée d'en finir et le spectre de son créateur lui était apparu à nouveau. Cette fois-ci, la Créature s'approche d'un volcan en activité, tout en discutant avec son créateur de leurs échecs réciproques, l'un d'avoir donné la mort, l'autre de ne pas avoir réussi à créer un être parfait. Son corps finit recouvert par une coulée de boue qui forme une gangue protectrice autour de lui. Plusieurs mois plus tard, il est retrouvé par les membres d'une expédition et ramené dans la demeure du docteur Simon Ingles. Là, le docteur lui fait visiter toute une aile de son imposante demeure, et il y découvre une bibliothèque dont il va se plonger dans les ouvrages, profitant de cette hospitalité dépourvue de crainte.


En 1983, l'éditeur Marvel publie une édition de Frankenstein ou Le Prométhée moderne (1818) par Mary W. Shelley, comprenant une cinquantaine d'illustrations réalisées par Bernie Wrightson, sous le titre Bernie Wrightson's Frankenstein. L'artiste indique qu'il a passé 7 ans à réaliser ces somptueuses illustrations s'inspirant de l'œuvre d'artistes comme Franklin Booth, J.C. Coll et Edwin Austin Abbey. Lorsque l'éditeur IDW annonce le présent projet, il précise qu'il s'agit d'une suite directe du roman de Shelley tel qu'illustré par Wrightson. Dans son introduction, Steve Niles précise qu'il s'agit du projet de Wrightson qu'il n'a fait qu'aider à réaliser. Les auteurs effectuent bien la liaison avec le roman, la Créature éprouvant un dégoût de lui-même et cherchant à en finir. Ils utilisent des motifs propres à faire ressortir sa dimension gothique comme la manifestation du spectre de Victor Frankenstein, les individus au corps difforme du cirque montrés comme des monstres, les éléments déchaînés comme la mer ou la neige, l'imposante demeure du docteur aux pièces innombrables présentant des dimensions plus expressionnistes que réalistes. Il donne au lecteur, l'accès aux pensées de la Créature, distillant un état d'esprit désabusé sur sa capacité à avoir un comportement moral, désabusé quant à sa condition et à la réaction des êtres humains vis-à-vis de lui. Pour autant, il ne transforme pas son monologue intérieur en une succession de jérémiades, ou en un soliloque dépressif.


S'il a déjà lu des comics de Steve Niles, le lecteur sait qu'il va trouver une histoire linéaire simple, à l'intrigue légère. Au vu de ce qu'il découvre, il se dit que Bernie Wrightson a dû y contribuer car elle s'avère moins basique que du pur Steve Niles. Par contre, ils n'ont pas souhaité reprendre la structure de récits enchâssés du roman. Avec un peu de recul, le lecteur se dit que le premier épisode sert de transition entre le roman et l'histoire proprement dite de cette minisérie. Il s'agit d'établir l'état d'esprit du monstre et son évolution, ainsi que de montrer comment il passe de la falaise battue par la neige, à la demeure du docteur Simon Ingles. Il n'en reste pas moins que le lecteur est d'abord venu pour les dessins. S'il a suivi la carrière de Bernie Wrightson, il sait qu'il y a peu de chance qu'il retrouve les exquises illustrations de 1983 pour le roman. Il découvre la couverture sympathique et passe à la première page. La vue du ciel de l'installation du cirque montre des constructions assez simplifiées. Les 2 cases avec les gamins se précipitant vers la tente sont sympathiques, sans avoir le degré de détail obsessionnel des illustrations pour le roman. Les poses du présentateur sont assez convenues dans les 2 cases d'après. L'illustration suivante occupe une double page pour la révélation de la Créature devant le public. L'artiste s'est appliqué mais il n'a pas retrouvé la finesse des traits, ni même la richesse des compositions. Le lecteur revoit ses attentes à la baisse et se laisse porter par une narration visuelle efficace à raison de 3 ou 4 cases par pages, avec une Créature pas vraiment monstrueuse. Il établit tout de même la comparaison de ces dessins avec ceux de l'épisode 4 réalisés par Kelley Jones et il constate que Wrightson s'est plus investi dans les détails.


Dès la quatrième page de bande dessinée, le lecteur retrouve la sensation des pages de bande dessinée de Bernie Wrightson datant des années 1970/1980. Le choc de l'horreur visuelle est moins efficace, mais le goût de l'artiste pour les monstres reste évident. Puis la page 7 le transporte au bon vieux temps, avec la Créature de dos contemplant la mer agitée. Sans retrouver la myriade de petits traits fins, ou l'élégance des aplats de noir, le lecteur voit une composition saisissante : le positionnement des grandes masses et le rendu des textures, ainsi que l'attention portée à chaque centimètre carré de la page. Cette qualité se retrouve sur les 5 pages de la séquence. Bernie Wrightson change un peu sa manière de dessiner, ou plutôt de peaufiner ses cases dans les pages suivantes avec l'évocation du passé de la Créature. Là le lecteur retrouve la méticulosité du grand Wrightson donnant une consistance extraordinaire à chaque élément au point que le lecteur ressent l'impression d'être en train de les toucher. Il ne s'agit pas d'une séquence miraculée, car les compositions en double page dans l'intérieur de la demeure du docteur sont tout aussi somptueuses. Le rendu est un peu différent des illustrations du roman, car Wrightson fait usage de nuances de gris, mais aucunement pour cacher la misère. Les deux tiers des épisodes 2 & 3 ramènent ainsi le lecteur au bon vieux temps, mais plus simplement le projette avec une force de conviction remarquable dans ces endroits portant la marque des obsessions de son propriétaire. Les autres séquences de ces 3 épisodes bénéficient d'une narration directe, avec des dessins qui restent dans le registre de ces compositions en double page, même s'ils ne présentent pas le même degré de méticulosité.


Avec le quatrième épisode, le lecteur regrette bien sûr que sa santé n'ait pas permis à l'artiste de terminer son œuvre. Il se rappelle que l'influence de Bernie Wrightson était manifeste dans les premiers comics cde Kelley Jones au point d'y voir son fils spirituel sur le plan artistique. Jones s'appuie plus sur les nuances de gris pour finir les dessins. Il respecte l'esprit des croquis de Wrightson, sans y apporter le fini de l'artiste. Du coup, le lecteur prête plus d'attention à la structure des pages, à la manière dont Wrightson agence les cases et les prises de vue pour raconter son histoire. Il peut ainsi constater comment le positionnement et les postures des personnages participent à guider l'œil d'une case à l'autre, pour une lecture très fluide. Ainsi absorbé par la narration visuelle, il en vient presqu'à oublier l'intrigue. Wrightson sait doser les éléments réalistes et les éléments bénéficiant de la licence artistique pour renforcer les ambiances, souligner l'état d'esprit d'un personnage, jouer sur les émotions du lecteur. Sans être très originale, l'intrigue réserve quelques surprises et joue sur la dualité humain/monstre, et la relativité de ces deux conditions.


Pas forcément complètement confiant de la qualité de l'ouvrage, le lecteur ne peut résister à la tentation de retrouver ou de découvrir la Créature de Frankenstein mise en scène par Bernie Wrightson, maître de l'horreur gothique. Si l'entrée en matière peut lui sembler convenue et en deçà de ses espérances esthétiques, il découvre de fort belles pages de Bernie Wrightson, certainement pas venu pour cachetonner, mais totalement impliqué pour donner vie à sa vision de la Créature, pour opposer une forme de pragmatisme à l'avidité, et pour réaliser des planches habitées par une vision créatrice à la personnalité intacte.

Presence
9
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le 22 juil. 2019

Critique lue 290 fois

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