Cet épisode s’inspire, de manière parfois condensée, mais avec une appréciable fidélité, de « La Guerre des Gaules », de César, Livre I, chapitres XXXI à LIV. Avec ce volume se termine l’année militaire 58 avant Jésus-Christ, soit la première année de la guerre. Le lecteur curieux d’évaluer le scrupule historique de Simon Rocca lira ces chapitres de César, pour comparer avec son récit. En gros, après avoir battu les Helvètes, César tente de négocier, puis bastonne Arioviste, le chef des Germains, qui profitait de la fuite des peuples gaulois pour se tailler un petit Empire personnel.

L’insertion des personnages fictifs dans cet ensemble joue sur plusieurs registres : pour des raisons de clarté scénaristique, et de cohérence d’ensemble, le personnage central est Ambre, la rouquine d’une quinzaine d’années, dont tout le monde est amoureux. Mais, comme Simon Rocca a pris le parti de donner à chaque épisode le nom d’un des héros de cette série, il donne – fugitivement – ici, seulement dans la planche 1, la parole au personnage éponyme du titre du récit. Ici, c’est donc Garak, le voleur, plutôt sympa et anar dans le Tome 1, plus cupide et cynique dans le tome 2, et ça ne s’arrange pas dans ce tome 3, où il donne la priorité à sa soif de l’or sur le bel amour bien romantique qui l’unit à Ambre ; laquelle Ambre préfère, elle aussi, ce voyou. Les filles sont comme ça, les mecs ; si vous voulez séduire, faites-vous mafieux à gros biscotos, poilu un peu partout et brutal plus que de convenance ! Quand on voit à quel point la moralité de leur chéri leur apparaît secondaire, vous auriez tort de vous gêner !

Ambre se dénude enfin complètement dans de belles scènes de quasi-viol, et ce déshabillage sait nous titiller le tempérament. Pour en rajouter une couche dans le sado-maso, Ambre est toujours en position de victime, de souffrante, d’asservie : elle passe d’un esclavage à un autre, d’une captivité à une autre. Bel instrument pour Simon Rocca, car cela permet de susciter un sentiment de continuité entre les batailles successives, et les tribus gauloises ou germaines entre les mains desquelles Ambre va se jeter.

Milon, médecin surmené (il y a du boulot, dans toutes ces batailles !), et sorcier étrusque qui commande aux orages, est particulièrement bien venu pour tirer les héros d’un mauvais pas. Son rôle dans cette série est assez riche : il introduit le seul élément de surnaturel qu’on ait pu repérer jusqu’ici, il est doux, courtois, un peu fragile, romantique, instruit, ce qui n’empêche pas qu’Ambre, au caractère incendiaire, fasse des manières pour aller avec ce brave type.

Cloduar poursuit son rôle d’Obélix ; c’est tout juste si, sur son passage, on ne voit pas ses ennemis projetés en l’air par paquets de douze, comme dans « Astérix ».

César est fort bien restitué. Sa calvitie est moins apparente que dans le tome 1 (il a plus de cheveux au sommet du crâne). Son air toujours sombre, impérieux et autoritaire répond bien à l’image qu’on peut se faire de lui vu de notre époque, mais répond moins bien à ce que disent de lui les sources antiques, qui en font un portrait plus cool, plus capable de détente et d’amitié. A mi-chemin entre le bien et le mal, César devait être figé dans cette configuration pour s’adapter à tous les évènements de la Guerre des Gaules, tels que Simon Rocca entreprend de les adapter. En tout cas, il paie de sa personne : bien que fort intéressé par Ambre, il ne lui saute pas dessus sauvagement ; et, lors du combat contre les Germains, il combat à pied parmi ses légionnaires !

Sans vouloir faire dire à Simon Rocca ce qu’il n’a probablement pas voulu dire, on constate que les trois amoureux sympas d’Ambre représentent les trois fonctions duméziliennes : César, le « roi », chef politique ; Cloduar, la fonction guerrière ; Milon, le médecin-sorcier.

L’affreux Didius, trafiquant d’esclaves sadique et vicieux, est maintenant bien assis dans son goût pervers pour toutes les atrocités et les lâchetés ; auparavant, Ambre le détestait, mais on n’avait pas tellement le sentiment que le personnage était si détestable que cela. Un parfum de mutilations physiques tourne autour de lui...

La nudité n’est pas le monopole d’Ambre : Garak et ses copains, prisonniers des Helvètes, puis d’Arioviste, nous présentent tous leur attributs, surtout dans des situations humiliantes et périlleuses qui rend leur nudité encore plus dramatique (planche 1).

Mitton semble se réjouir d’avoir davantage de corps nus à dessiner, et il y réussit bien, le bougre ! Quant aux couleurs, qui sont passées de Brigitte Findakly à Chantal Chéret, elles présentent des contrastes moins criants que dans les deux premiers tomes : les lourdes ombres à l’encre de Chine se font plus discrètes, et l’ensemble est baigné d’une belle lumière qui ajoute à l’attrait du récit.
khorsabad
9
Écrit par

Créée

le 8 nov. 2014

Critique lue 114 fois

1 j'aime

khorsabad

Écrit par

Critique lue 114 fois

1

Du même critique

Gargantua
khorsabad
10

Matin d'un monde

L'enthousiasme naît de la lecture de Gargantua. Le torrent de toutes les jouissances traverse gaillardement ce livre, frais et beau comme le premier parterre de fleurs sauvages au printemps. Balayant...

le 26 févr. 2011

36 j'aime

7

Le Cantique des Cantiques
khorsabad
8

Erotisme Biblique

Le public français contemporain, conditionné à voir dans la Bible la racine répulsive de tous les refoulements sexuels, aura peut-être de la peine à croire qu'un texte aussi franchement amoureux et...

le 7 mars 2011

35 j'aime

14